mercredi 16 décembre 2015

Interlude

Léger contretemps dans ma communication annoncée pour cause de nouvelle venue dans la famille. Pour patienter, ces deux photographies de svastikas repérés dans le hall d'un immeuble des années 30, situé boulevard de Sévigné à Rennes. Je n'ai pas réussi à savoir qui a réalisé ces étonnantes mosaïques, peut-être Odorico ?


lundi 16 novembre 2015

Le cimetière du Nord, mémoire de marbre



Toute proportion gardée, avec son style de jardin à l’anglaise, le cimetière du Nord est un peu le Père-Lachaise de la capitale bretonne. « Le Berlinguin », c’est ainsi que l’on appelait à ses origines, en 1789, le cimetière communal qui fut établi au Gros-Malhon par la Communauté de Ville pour remplacer les cimetières paroissiaux qui venaient d’être supprimés. Cent ans plus tard, ce grand cimetière étant devenu insuffisant, on dut songer à en établir un second, sur la paroisse de Saint-Hélier. Ce cimetière de l’Est, inauguré en 1887, fut également surnommé à ses débuts le « Roque Mignon », du nom d’un célèbre cabaret proche à la lugubre légende. L’endroit n’avait pas bonne réputation auprès des anciens rennais qui lui préféraient le cimetière du Nord, malgré des émanations d’odeurs céphalalgiques, comme le signale L’Ouest-Éclair au lendemain de la fête des morts de 1901, à propos d’un groupe de pèlerins rennais « Péniblement surpris en percevant très nettement une odeur nauséabonde qui ne pouvait provenir que de l’égout des terres le long de la route de Saint-Grégoire. Il était impossible de s’y méprendre : c’était bien l’exhalaison des fonds du cimetière qui se manifestait ! On se souvint qu’il y a quelques années la municipalité interdit radicalement les inhumations dans le cimetière du Nord à l’exception de celles faites dans les concessions perpétuelles. Puis, après un moment de fermeté, elle céda aux instances du public et les enterrements ont repris à se diriger nombreux du côté du Gros-Malhon, tant – par une étrange superstition – il y a de vieux rennais qui redoutent d’être enterrés à Roc-Mignon, c’est-à-dire au cimetière de l’Est. Cependant, il ne faudrait pas que cette tolérance devint abus et qu’il en résultat un danger pour la sécurité publique. On nous affirme que les terres du cimetière du Nord n’ont plus de puissance d’absorption… Est-ce vrai ? Et si cela est, que compte faire M. le Maire de Rennes ? » Cette décision de fermeture du cimetière du Nord fut très mal perçue par les Rennais des quartiers bourgeois du nord de la ville, qui rechignaient à franchir la Vilaine pour se faire inhumer au nouveau cimetière.

Cimetière des riches contre cimetière des pauvres ?
Lors du Conseil municipal du 16 juillet 1887, il a été décidé « La fermeture complète de l’ancien cimetière, sauf pour ceux qui auraient des concessions. Cette mesure s’impose car depuis longtemps déjà la terre est saturée à l’excès de matières organiques, qu’il en résulte que son pouvoir dissolvant n’a plus d’action et que la décomposition n’est plus complète, ce qui fait que le temps réglementaire pour l’ouverture des sections est insuffisant et que l’on retrouve lors des fouilles des matières organiques encore intactes. Il est pénible pour  ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir des concessions de retrouver disséminés à la surface du sol les restes des personnes qui leur furent chères. Du point de vue de l’hygiène et de la salubrité ces inconvénients ne sont pas moins grands, surtout par les grandes chaleurs ». Le cimetière du Nord serait-il resté la nécropole des privilégiés de la ville ? Ce problème d’achat des concessions avait fait l’objet de nombreuses réflexions lors de ce Conseil du 16 juillet. Les membres des commissions concernées, en accord avec le maire Le Bastard, voulaient partager la ville en deux zones pour permettre aux familles des cantons nord de pouvoir « Réunir leurs nouveaux morts à ceux déjà enterrés dans l’ancien cimetière ». Cela fut refusé au vote par la majorité des membres qui ont estimé « Que cela aurait créé des réclamations incessantes de la part des habitants des cantons sud, réclamations fondées, attendu que jusqu’à ce jour nous n’avons eu qu’un seul cimetière pour toute la ville ; que d’ailleurs le but que l’on se proposait de laisser l’ancien cimetière se reposer pendant quelques années pour permettre à la terre de reprendre ses propriétés naturelles n’aurait pas été atteint, que toutes les familles auraient acheté des concessions pour pouvoir se réunir à ceux des leurs qui les ont précédé dans ce champ du repos. Par conséquent, les inconvénients que signalions tout à l’heure se perpétueraient sans que l’on puisse sérieusement intervenir. De plus aucune concession ne serait prise dans le nouveau cimetière, et il y aurait eu là comme une sélection faite malgré nous : le cimetière des pauvres et le cimetière des riches. » En conséquence, le 20 juillet 1887, un arrêté est publié dans la presse « Considérant que l’état du cimetière du Nord ne permet plus d’y faire de nouvelles et nombreuses inhumations, sans porter atteinte au respect du aux morts et à l’hygiène publique, et qu’il convient par conséquent de l’abandonner pendant un temps indéterminé. A partir du 1er septembre 1887, il ne sera plus fait d’inhumations ordinaires dans le cimetière du Nord et il n’y sera plus accordé de concessions, sauf les exceptions ci-après. Le cimetière de l’Est sera ouvert au public à la date susvisée et toutes les inhumations y auront lieu. » Des exceptions furent en effet accordées aux propriétaires du terrain acheté à la Ville, et pour les familles qui demanderaient des concessions en faveur de ceux de leurs membres déjà inhumés dans l’ancien cimetière, dans le but d’éviter des exhumations et des transports dans le nouveau.

La Société protectrice des cimetières
En 1932, la presse signale « L’état misérable dans lequel est tenu le Cimetière du Nord, que submerge tous les ans, en cette saison, les flot des végétations parasitaires. Tôt ou tard, nous le savons, on y fera les foins. Les graminées, les ronces, les orties disparaitront pour un temps le long des allées et autours des tombes. Mais les tombes mal entretenues ou pas entretenues du tout resteront telles quelles. Or ces tombes abandonnées ne sont pas le moindre élément du désordre et de la malpropreté ambiante. Elles sont très nombreuses ces tombes délaissées que jamais « amis ni famille » ne viennent fleurir et les folles herbes les envahissent en toute quiétude. Il arrive même que des familles peu scrupuleuses, quand elles font la toilette des tombes des leurs, les utilisent comme dépotoirs. » En fait, si ces tombes délaissées sont si nombreuses « C’est qu’au Cimetière du Nord sont inhumés les hospitalisés de Pontchaillou, vieillards, infirmes, enfants. On les enterre en ordre dispersé, c’est-à-dire au hasard des places vides. Les hospitalisés de Pontchaillou sont, pour la plupart, sans famille. Est-ce qu’il ne conviendrait pas – nous posons la question à la Municipalité – soit de réserver un carré du Cimetière aux morts de Pontchaillou, soit de confier aux hospitalisés du moment le soin d’entretenir les tombes de leurs camarades ? »
La situation ne semble pas s’être améliorée puisque, le 20 décembre 1936, lors d’une réunion publique tenue à la salle des Beaux-arts, est constituée une « Société protectrice des cimetières ». Il est bien précisé que cette Société « Reste étrangère à toute discussion politique ou religieuse » Son président, M. Chaumont, ancien directeur de l’Omnia-Pathé, recommande toutefois « De rechercher pour la Société naissante, l’appui du clergé ». Les buts de la Société sont « De remédier à l’état général défectueux des deux cimetières. Les herbes les envahissent, notamment celui du Nord ; les allées sont boueuses, impraticables, vu le défaut d’écoulement des eaux. Les responsables de cet état de choses sont la Ville et les propriétaires de concessions. La Ville n’y entretient qu’un personnel réduit. Le cimetière du Nord n’a qu’un seul cantonnier, qui ne peut exercer de surveillance. » Un des membres de la nouvelle société, le docteur Bourdinière, chef des services sanitaires du département, explique à l’assemblée que la Ville de Rennes : « En choisissant, en 1789, le champ de l’Estival, à l’abbaye Saint-Melaine pour y établir le cimetière du Nord, inauguré en 1795, n’avait aucun soupçon des nécessités géologiques d’un cimetière, pris dans un terrain marécageux et pourvu de nappes d’eaux souterraines. Aujourd’hui on n’établit de cimetière, qu’après un an d’essai, sur une fosse ouverte. Ici, à chaque convoi, on est obligé de vidanger la fosse. Cette humidité foncière préserve les corps, si bien que très souvent, achevées les concessions temporaires, le cadavre, jeté à la fosse commune, est presque intact. » Les concessions de quinze ans n’étant pas renouvelables, elles pouvaient être transformées en concessions trentenaires ou perpétuelles. Il est également convenu que le rôle de cette Société « Consistera à exercer une semaine sur deux, dans chaque cimetière, à un jour donné, et d’accord avec les employés municipaux, une tournée d’inspection. La première opération sera le drainage. Quelqu’un fait savoir que la question du drainage est surtout subordonnée à la création d’un égout collecteur sous l’avenue du Gros-Malhon. » Le docteur Bourdinière informe alors l’assemblée « Qu’en Belgique et en Angleterre, on a fait des essais concluants de cercueils en aluminium remplaçant le zinc et le bois. Il se peut aussi que les caveaux soient un jour aériens ». Autre sujet de préoccupation, et non des moindres, celui des arbres. En effet, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les cèdres et séquoias géants connaissent un vif succès dans les parcs d’agrément en raison de leurs qualités ornementales et leur croissance rapide. On en trouve au jardin du Thabor bien sûr, mais aussi au cimetière du Nord, ce qui n’est pas sans poser d’importants problèmes racinaires. Le docteur Bourdinière, jamais à court d’idée, fait alors « Le procès des arbres dont une époque romantique s’est plu, à tort selon lui, à planter le champ du repos. Il les estime bons, tout au plus, à disjoindre les pierres des caveaux. » On lui fait alors remarquer « Qu’il faut maintes démarches avant d’être autorisé à abattre un arbre, qui peut intéresser parfois une quinzaine de monuments dans le périmètre. » Plus sagement, le président Chaumont est d’avis : « De n’employer dans les cimetières, que des ifs et des cupressus. » Nous n’en saurons malheureusement pas plus sur l’issue de cette recommandation aux services municipaux compétents…

« Ô tombeau de famille, dernière commode du bourgeois ! »
Les temps ont changé. Le remarquable patrimoine funéraire du cimetière du Nord est désormais valorisé. Au début du XIXe siècle, pour les sépultures de la noblesse urbaine, particulièrement visibles dans les anciens secteurs N° 1 et 8, la simplicité était la norme. Point de longues épitaphes ou de décor ostentatoire, contraires aux valeurs chrétiennes. Une dalle funéraire plate, le plus souvent sans stèle, porte la croix, parfois un blason et une brève épitaphe. Inutile d’en rajouter, la notoriété familiale suffit.
Avec la construction, à partir de 1830, de la chapelle funéraire de Millardet, et son dôme qui couvre l’unique porte d’accès, le cimetière se monumentalise ; avec son corollaire, l’essor des marbriers de l’avenue du Gros-Malhon. Les pierres tombales des concessions temporaires des classes moyennes, alignées les unes après les autres n’ont en effet pas le prestige des monuments de concessions perpétuelles. On assiste alors à un développement des sépultures patriciennes. Édiles de la cité, radicaux-socialistes laïcs et francs-maçons, notables, nouveaux riches, négociants ou industriels rivalisent de tombeaux monumentaux avec leurs portraits sculptés ou gravés. D’aspect souvent profane, ces sépultures ne présentent pas toujours d’insignes religieux. Mais ses épitaphes et inscriptions lapidaires sont là pour nous rappeler le souvenir du défunt, ses qualités et ses titres. Elles ont aussi vocation pédagogique pour les vivants. On notera qu’après la Première Guerre Mondiale, des concessions perpétuelles étaient accordées gratuitement aux Rennais inscrits au tableau d’honneur du Panthéon, dont les parents sollicitèrent l’inhumation dans l’enclos réservé du cimetière de l’Est. Certains évergètes de la cité se virent également octroyer cette faveur.
Deux exemples d'évergétisme : à gauche, la stèle de Joseph Beaugeard, commerçant rennais laïc et radical-socialiste, avec cette épitaphe « Ils ont légué toute leur fortune aux œuvres sociales et laïques ». On notera l'absence de tout signe religieux. A droite, celle du docteur Jean-Marie Drouadenne « Il fut le refuge du pauvre, son soutien dans ses besoins, sa consolation dans ses peines. Bienfaiteur du Lycée, la Ville reconnaissante » qui légua à la Ville tous ses biens : une somme de 25 000 francs ; un immeuble situé au 29, rue de Paris ; un legs afin d'attribuer une bourse aux fils d'anciens élèves du Lycée de l'avenue Janvier.
 
Victor Hugo assimilait le « tombeau de famille » du Père Lachaise à la « dernière commode du bourgeois » (1) Des sépultures individuelles du cimetière du Nord en pleine terre, on constate en effet un développement des chapelles bourgeoises au style néo-gothique avec leur caveau de famille souterrain. Aujourd’hui fortement délabrés, ces monuments, symboles de la réussite sociale du XIXe siècle, font partie du patrimoine funéraire. Il serait dommage de les laisser en ruine. Restaurés, ne pourraient-ils pas être transformés en chapelles cinéraires ?

Le cimetière en flânant
Parcourir le cimetière du Nord, c’est feuilleter un livre d’histoire de la Ville. Pour ne s’en tenir qu’aux illustres Rennais cités par Adolphe Orain, nous retrouvons les sépultures du grand patriote Leperdit ; du poète Édouard Turquety ; du philosophe Henri Martin, doyen de la Faculté des Lettres ; du chimiste Malaguti ; de l’illustre professeur Duhamel, membre de l’Institut ; du savant ingénieur Joseph Durocher ; de l’entomologiste Griffith ; du recteur d’académie Jarry ; de Sirodot, doyen de la Faculté des Sciences ; des sculpteurs François Lanno, Barré, Léofanti ; des peintres Desnoyers, Jourjon, Logerot, Briand, François Blin, Laloue, Vaumort, Robbes, Roy ; des généraux Rapatel, Pontgérard, Loysel ; des philanthropes Legraverend, Drouadaine, Liothaud, Coulabin, Provost ; du géologue Marie Rouault ; des écrivains et poètes Victor et Théophile Lemonnier, Alexis Rouault, Édouard Alix, Delatouche, Bertrand Robidou, Lucien Decombe, Adolphe Orain et l’historien breton Arthur de la Borderie ; des anciens maires Emmanuel Pongérard, de Lorgeril, de Léon, de la Guistière, Le Bastard, Morcel, Pinault, etc… 
Emplacement de la sépulture d'Alexis Rouault
Parmi ces sépultures, celles de deux hommes peu connus méritent pourtant que l’on s’y arrête : Alexis Rouault, dont le monument a disparu, et William Griffith, dont la croix git à terre.



 
Le poète-perruquier
Alexis Rouault, le « Poète-perruquier », appelé aussi le « Poète de la pêche » ou le « Jasmin rennais » (Par référence au poète-coiffeur agenais Jacques Jasmin, précurseur des félibres), naquit le 17 février 1825 rue Saint-Melaine dans une famille modeste de 12 enfants, son père étant garde de la ville (la police municipale). Orphelin dès l’âge de quatre ans, il fréquenta l’école publique de la rue Saint-Melaine, tenue par les Frères des écoles chrétiennes. Élève têtu, il connaitra plus souvent qu’à son tour les caresses de la férule. Dès l’âge de dix ans, le garçon fut placé en apprentissage pour le fricot chez un perruquier de la place de la Halle-aux-blés. Le pain n’étant pas fourni dans le fricot, l’apprenti devait amener chaque semaine une miche de dix livres. Son patron, un ancien tambour-major, avait la main un peu trop lourde ; aussi, son apprentissage terminé, notre jeune perruquier le quitta-t-il sans regret. Il entra alors chez Bourgeon, un coiffeur de la rue Saint-Germain, où il restera trois années. Tout en travaillant, on y chantait et on y causait beaucoup. Alexis prit langue et devint bientôt, en vrai perruquier, d’une verve intarissable. C’est alors que notre jeune perruquier, âgé d’à peine quinze ans et pourvu d’un maigre viatique, décida de prendre la diligence pour Paris où il se mit aussitôt en quête d’ouvrage. C’est à Passy qu’il finit par trouver le patron qui lui convint, un polonais nommé Golinbiesky, qui lui donna la somme de quinze francs par mois, nourri, couché et blanchi. Tout à sa joie, le jeune homme va enfin s’épanouir. « C’est à cette époque que le jeune ouvrier eut la première poussée de ce feu intérieur qui fait les poètes », raconte Louis Tiercelin. Ayant acheté un cahier de chanson d’un sou, Alexis ne put s’empêcher d’en relever la niaiserie. Il l’a corrigea la refit et la chanta aux habitués du salon sous les applaudissements. La chose s’ébruita et l’on commença à parler du « petit Breton ». Parmi les artistes qui fréquentaient le salon Golinbiesky, se trouvait le célèbre chansonnier Béranger qui, entendant parler du « petit breton » et de ses chansons, voulut le rencontrer. On imagine l’émotion d’Alexis Rouault lorsqu’il comparu devant le maitre. Beranger fut très bienveillant et l’encouragea. Bien des fois par la suite, lorsque notre jeune poète allait coiffer Béranger à son domicile, rue de la Pompe, il reçut de nouveaux encouragements. Rouault gardera toujours une grande fierté de cette rencontre.
Mais voilà ; touché par le mal du pays, le jeune rennais éprouva le besoin de revoir sa mère. Il regagna à pied sa ville natale qu’il avait quittée depuis six ans. Il organisa une société « Les fêtes rennaises », installée à l’hôtel du Cheval d’Or, rue de Paris. La vingtaine de membres se réunissait chaque semaine depuis le commencement de l’hiver jusqu’au carnaval. Chacun y allant de sa petite chanson, un diner et un bal clôturaient les séances. Aux beaux jours, des promenades et parties de pêche à Cesson ou Châtillon conduisaient cette joyeuse bande à la campagne au rythme des chansons d’Alexis Rouault. Le 21 août 1846, Alexis prend pour épouse Joséphine Duval, née comme lui à Rennes. Le jeune couple s’installe rue du Lycée où les débuts sont difficiles. Rouault se constitue une clientèle et les refrains retentissent à nouveaux. Quatre années plus tard, notre figaro transfère son salon de coiffure rue aux Foulons, l’actuelle rue Le Bastard, où il restera plus de quarante ans, soignant une clientèle toujours plus nombreuse et fidèle. Ses apprentis n’étaient pas malheureux. Nourris, couchés et blanchis, ils avaient même le droit de taquiner le goujon le dimanche après-midi avec le patron. Car, tout en s’excusant de n’être qu’un rimailleur, Alexis Rouault fut le poète de la pêche à la ligne.

Trois amis allant gaiement,
Un jour à la pêche,
Fredonnaient gaillardement
Le long de la Seiche :
Ah ! pauvres petits goujons,
Qui jouez parmi les joncs,
Gare à la friture !
O gué.
Gare à la friture !

Exemplaire des
Archives de Rennes
Exemplaire de la
Bibliothèque municipale
Alexis Rouault chanta les douceurs de la vie familiale. Son poème « Le Vieux Mobilier » figurera dans « Le Parnasse breton contemporain » de Louis Tiercelin. Les amis de Rouault estimant que ses vers simples et charmants méritaient d’être imprimés, ils organisèrent un comité d’environ 300 souscripteurs, dont la plupart des coiffeurs de la ville. Le 27 février 1895, pour les 70 ans du poète, ils lui offrirent un petit volume de ses poésies, imprimé chez Jules Simon. Heureux et retiré des affaires, jouissant de l’estime générale, Alexis Rouault vivait au 2, place Hoche, où il décéda le 5 février 1900.

L’officier anglais entomologiste
Non loin de la sépulture d’Alexis Rouault, on peut voir une tombe dont la croix git à terre avec cette inscription « A la mémoire de William John Griffith, ex-officier de l’armée anglaise, membre de plusieurs sociétés savantes et scientifiques, né à Calcutta le 8 juillet 1845, décédé à Rennes le 10 avril 1883. » L’inscription est erronée puisque le décès a été constaté par le pasteur Vincent Moïse Arnoux le 17 avril 1883. Le texte de l’épitaphe « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » (Jean, 25 et 26.) nous révèle une accointance avec la religion réformée. 
Section 12 du cimetière
Cette section 12 du cimetière du Nord était autrefois connue sous le nom de « Cimetière des protestants ». On remarque en effet autour de la tombe de Griffith plusieurs sépultures avec épitaphes tirées de l’évangile de Saint-Jean, dont celle de Georges Zwingelstein, des tanneries du moulin de Trublet « Quiconque vit et croit en moi, ne mourra point pour toujours », ou encore d’Henry Christian « Celui qui croit au fils aura la vie éternelle » (Jean, 36.). Griffith habitait au 92, avenue du Gué-de-Baud avec sa mère Émily Henderson, qui lui survivra jusqu’au 19 janvier 1890. William Griffith était le fils du docteur Griffith, botaniste distingué, médecin de la Compagnie des Indes et chargé à plusieurs reprises de missions scientifiques. Son fils était arrivé assez tôt en France puisqu’il résida à Vannes de 1870 à 1873, où il fut conservateur-adjoint du musée de cette ville. C’est à cette époque qu’il se livra à l’étude des insectes et entra en relation avec les meilleurs entomologistes bretons. Il publia de nombreux articles sur les coléoptères et autres lépidoptères dans le Bulletin de la Société polymathique du Morbihan. Membre de la Société Entomologique de France et de plusieurs autres sociétés savantes, Griffith vint s’installer à Rennes où il continua ses publications. Il fit don de son importante collection de coléoptères et lépidoptères au Musée d’histoire naturelle de Rennes.

1. Victor Hugo, Choses vues, 5 mai 1839.

lundi 26 octobre 2015

Le colonel de La Rocque en Bretagne


Dans le chaos politique des années trente, le Parti Social Français (PSF) va connaitre un développement exceptionnel, au point de devenir le premier parti de masse de la droite française, avec des effectifs estimés à un million d’adhérents. Son existence fut pourtant brève, puisqu’il fut fondé le 7 juillet 1936 après la dissolution du mouvement des Croix-de-feu, lui-même créé en 1927 et dirigé par le colonel François de La Rocque. Le PSF sera interdit au mois d’août 1940 en zone occupée.

« Bretagne ! viens au P.S.F. »
Dans une Bretagne profondément catholique et majoritairement rurale, qui peine à se remettre de la saignée humaine de la Première Guerre mondiale, le PSF s’est implanté avec un certain succès. En effet, Jean-Paul Thomas estime à plus de 10 000 les adhérents du Finistère et de la Loire-Inférieure, entre 5 et 10 000 ceux des Côtes-du-Nord et d’Ille-et-Vilaine, puis entre 3 et 5 000 ceux du Morbihan (1). Cet ancrage, particulièrement visible dans le
Finistère, se vérifie en lisant La Volonté Bretonne, le périodique des sections bretonnes du PSF, qui a son siège à Brest. « L’Organe de Réconciliation Française » ne manque d’ailleurs pas de rappeler les origines du chef, né à Lorient « La Rocque, breton par la naissance, les ancêtres, l’esprit, ne craint pas de répéter, à ceux qui le suivent, que la doctrine du PSF est la transposition moderne et puissante de l’Évangile ». Dans ce Nord-Finistère, déjà largement labouré par les « Chemises vertes » d’Henri Dorgères et les « Cultivateurs-cultivants » des abbés démocrates de L’Ouest-Éclair, se distingue également à Landerneau par son activisme débordant un certain commandant de réserve Leclerc, officier de la Légion d’honneur, bon orateur et délégué régional du parti « On ne remercie pas Leclerc, on l’admire ».
 
L’originalité du PSF tient au fait qu’il se veut un parti de masse rassembleur « Aussi éloigné des deux idéologies qui mettent le monde à feu et à sang que du conservatisme rétrograde et du libéralisme économique qui ne profitent qu’aux trusts, le PSF et sa doctrine représentent pour notre pays, la solution moyenne, la solution du bon sens. » Ce qui distingue également le PSF des autres partis traditionnels de droite, c’est la mise en place un véritable réseau d’organisations à caractère social ou éducatif, à l’image de celles créées par la SFIO ou le PCF. C’est ainsi qu’à Rennes, le PSF organise des kermesses pour alimenter ses œuvres sociales, comme celle du 17 mars 1938, dans les salons Gaze. Des cours de conférenciers, dirigés par Me Bourrut-Lacouture, sont également proposés aux militants. C’est à Rennes que se dispute la finale de la coupe d’éloquence « La Rocque », le 10 juillet 1937. Le 28 septembre 1939, un ouvroir est organisé à la permanence du parti au 3, place du Palais, avec un appel aux adhérents non mobilisés pour apporter leur concours à « L’entraide agricole ». 
Dans le Finistère, les colonies de vacances, encadrées par les EVP (Équipes Volantes de Protection, le service d’ordre du parti) remportent un grand succès « Partir en vacances !.. Partir à la mer !.. S’évader de la grande ville pour jouir de la forte poésie du large et se laisser bronzer aux chauds rayons du soleil breton. Quelle est la petite tête d’écolier qui n’ait fait ce rêve ? Ce rêve si beau, 185 enfants P.S.F. le réalisent depuis vingt jours déjà à Pont-Croix. » 

La Rocque en Bretagne
C’est à la fin de l’année 1927 que fut créée à Paris l’association des Croix-de-feu (2). Quelques mois plus tard, le 23 mars 1928, L’Ouest-Éclair informe ses lecteurs que le commandant Tuloup (Connu des lecteurs du journal sous le pseudonyme de Guy d’Armor), a été chargé d’organiser « Une section de l’association des Croix-de-feu ». Les effectifs ne semblent pas très importants puisque les réunions se tiennent à l’hôtel de France, rue de la Monnaie. Sous l’impulsion du colonel de La Rocque le mouvement  prend de l’ampleur, notamment après la violente manifestation du 6 février 1934 à Paris. 
En Bretagne aussi il y aura quelques affrontements. Ainsi le 24 juin 1934, à l’appel du Comité de Vigilance antifasciste, une manifestation de protestation contre la tenue d’une conférence du colonel de La Rocque à Lorient va dégénérer en véritable émeute. Environ 1 400 manifestants vont affronter les gardes mobiles pendant plus d’une heure. Parallèlement aux Croix-de-feu, se créé à Rennes en 1927 une section de la ligue d’extrême droite des Jeunesses Patriotes, avec de jeunes anciens combattants comme Villebrun, Sordet, Bourrut-Lacouture. Le 29 mars 1936, quelques mois avant la dissolution des Croix-de-feu, et pendant qu’un millier de personnes assistent au meeting du Front Populaire sous les halles des Lices, 1 500 adhérents et sympathisants se réunissent dans le vaste hall des garages Tomine, avenue du Gué-de-Baud.
Peu de temps après la dissolution des Croix-de-feu – qui fait suite au décret du 18 juin 1936 – le colonel de La Rocque fonde donc le PSF, le 7 juillet 1936. Quelques mois plus tard, 23 octobre 1936, une permanence est ouverte quai Lamennais à Rennes. Le 13 novembre, face à l’afflux des adhésions, une réunion constitutive de la section de Rennes se tient devant plus de 800 adhérents et sympathisants, rue Poullain-Duparc, sous la présidence de M. Villebrun, président de la Chambre Nationale du Commerce de l’Automobile. Les réunions de propagande sont toujours aussi agitées. Le 13 décembre 1936, à Ploërmel, on en vient aux mains et les chaises volent. Le 4 avril 1937, le préfet d’Ille-et-Vilaine, craignant des troubles, interdit la tenue d’un congrès régional prévu à Rennes le 11 avril. Le préfet considère en effet que le banquet, qui devait être servi au garage Tomine : « Se trouve près de la Vilaine, circonstance de nature à rendre plus graves les incidents susceptibles de se produire ». Même constat pour le meeting, prévu au stade municipal de la rue Alphonse Guérin : « Le terrain n’est entouré que de palissades peu élevées, faciles à franchir ».
Finalement, le PSF se repliera dans le parc du château d’Andrée Récipon à Laillé. La Volonté Bretonne annoncera 40 000 participants. La réalité est plutôt dans l’article de L’Ouest-Éclair qui dénombre quand même 6 100 voitures et 90 autocars, soit 27 000 personnes. Quoi qu’il en soit de la réalité des chiffres, c’est un incontestable succès « Tout se passera dans l’ordre, le calme et la discipline ». Les responsables régionaux du PSF : René Villebrun, président de la section de Rennes ; l’avocat Bourrut-Lacouture ; Louis Oberthur, maire de Monterfil ; Eugène Leclerc, Président régional, entourent le colonel de La Rocque. « Et tous, la manifestation terminée, prirent le chemin du retour, Rennes sans doute a retenu un instant ces pèlerins et ces curieux. Disons le tout de suite, Laillé s’est montré accueillant. Mais combien le commerce rennais aurait pu profiter de cette affluence », regrettera L’Ouest-Éclair. Le 12 juillet 1937, ce sont 1 500 adhérents qui se réunissent aux garages Tomine pour écouter Vallin, directeur général de la propagande, avant la remise de la coupe La Rocque du concours d’éloquence. 

Du bruit dans Landerneau
François de La Rocque revient en Bretagne le 24 janvier 1938, pour le baptême du quatorzième enfant d’Eugène Leclerc, dont il est le parrain. Arrivé discrètement par le train de Paris, le colonel est accueilli sur les quais de la gare de Brest par Leclerc, puis emmené en voiture à Landerneau pour la cérémonie religieuse à laquelle assiste une centaine d’invités. La surprise est générale car personne n’avait été mis au courant. Ce qui se déroule ensuite tient plus de la manifestation politique que d’une cérémonie familiale. En effet, après l’église, le colonel de La Rocque déambule dans les rues de Landerneau en compagnie de nombreux militants. Le cortège, qui ne passe pas inaperçu, se rend à l’hôtel de Bretagne, où un banquet d’au moins 350 invités est prévu pour 18 heures. Le début du repas se passe sans incident. La Rocque félicite le commandant Leclerc d’avoir donné son propre prénom à sa fille. 

C’est une heure plus tard, d’après La Dépêche de Brest, que les choses se gâtent « Á l’arrivée du 1er train ouvrier de 18H30 rapidement le bruit circule que La Rocque est à l’hôtel de Bretagne. Des cris de « La Rocque au poteau » se font entendre et l’ « Internationale » retentit. Il y a là 60 à 80 manifestants qui décident d’attendre le second train ouvrier qui arrive 20 mn plus tard. Le groupe de manifestants augmente à cette arrivée d’un nombre à peu près égal d’ouvriers de l’arsenal. » Un autocar, chargé de militants brestois d’extrême gauche arrive aussi en renfort. 
Les manifestants invectivent les convives et lancent des pierres sur les vitres de l’hôtel. Les militants du PSF répliquent en jetant des verres par les fenêtres. Vers 21 H 30, le colonel de La Rocque doit être exfiltré sous les huées vers la gare par une cinquantaine de militants du PSF, qui auront bien du mal à le hisser dans le train.
Remis de ses émotions, le commandant Leclerc retrouve le colonel de La Rocque le 28 janvier 1938, pour un meeting au Vèl’ d’Hiv’. Le 29 juin 1938, La Rocque est de nouveau à Rennes devant 3 000 personnes, toujours aux garages Tomine. Le 11 décembre, les deux hommes sont à Josselin. Les réunions vont ainsi se succéder jusqu’au déclenchement des hostilités de la Seconde Guerre Mondiale avec l’interdiction du PSF en zone occupée au mois d’août 1940.

Des Croix-de-feu aux Croix de Lorraine
Parmi ces Croix-de-feu « Quelques-uns firent fausse route, plus souvent dans le pétainisme que dans la collaboration idéologique ».  On les retrouvera donc sans surprise dans l’association « Les Amis du Maréchal », présidée par Me Chapelet, également membre du Rassemblement National Populaire. Cet avocat rennais rejoindra pourtant la Résistance en 1943. Arrêté par les Allemands, il sera déporté à Buchenwald. Moins glorieuse sera l’attitude des notables rennais du PSF, notamment celle des chefs d’entreprise, qui trouveront plus profitable d’adhérer au groupe « Collaboration ».
On sait ce qu’il adviendra du colonel de La Rocque, plus maréchaliste que vichyste, sous l’occupation ; son arrestation par la Gestapo le 9 mars 1943, puis sa déportation. Ce n’est pas le seul exemple d’anciens du PSF à choisir le camp de la Résistance. Les Allemands n’étaient pas encore arrivés en Bretagne que René Gallais, gardien du château de Fougères, avec sa famille, cache les armes abandonnées par l’armée française en déroute avec l’intention de s’en servir plus tard contre l’envahisseur.
Progressivement, va se mettre en place le « Groupe Gallais », d’une cinquantaine de patriotes, chargés de cacher ces armes. Au mois d’août 1941, lors d’un diner chez des amis, René Gallais rencontre Albert Chodet, ancien officier de la Première Guerre Mondiale et membre du mouvement de résistance « Ceux de la Libération » (CDLL), qui le persuade de rejoindre CDLL avec son groupe. Cela n’a rien du hasard lorsque l’on sait que ce mouvement a été fondé par Maurice Ripoche, pilote de chasse, ancien des Croix-de-feu et du PSF, comme René Gallais. Ripoche recrute essentiellement dans les milieux de droite, voire d’extrême-droite et parmi les officiers d’aviation. Infiltré par un jeune couple agents des Allemands, le groupe Gallais sera totalement décimé à la suite d’une rafle effectuée le 9 octobre 1941. Le bilan sera très lourd avec une cinquantaine d’arrestation, quatorze déportés dont huit hommes qui seront décapités le 21 septembre 1943 (3). Le même sort sera réservé à Maurice Ripoche au mois de juillet 1944.
Dernier exemple, également significatif d’un engagement précoce dans la Résistance, celui de Mlle Récipon, infirmière lors de la Première Guerre mondiale. Andrée Récipon avait accueilli le congrès du PSF sur sa propriété de Laillé. C’est dans ce même château qu’elle cachera des fugitifs et aviateurs alliés dès 1940. Membre du mouvement Libé-Nord, elle est recherchée par les Allemands et doit quitter la région en novembre 1943. Les réfugiés et réfractaires au STO de Laillé sont alors évacués chez sa sœur au château de La Roche-Giffard dans la forêt de Teillay où va se constituer un maquis. Réfugiée dans la région lyonnaise, Andrée Récipon continuera son combat jusqu'à la Libération.
En Basse-Bretagne, il ne fait pas bon avoir été Croix-de-feu ou PSF avant-guerre. Dans les Côtes-du-Nord, François Touche, maire de Trélévern, ancien membre du PSF et proche du commandant Leclerc, après avoir reçu des menaces de la part des FTP en 1943, sera retrouvé le corps criblé de balles le 25 janvier 1944. Le chef cantonal du PSF à Brest, M. Brannelec, échappe à son tour à un attentat. De son côté, le jeune Édouard Leclerc « Elevé dans un milieu où l’on parlait beaucoup de politique, le père était avant-guerre un fervent militant du PSF, le fils en a subit l’influence et très tôt ses sympathies sont allées vers l’Allemagne dont il ne cachait pas de souhaiter la victoire afin d’abattre le communisme. Moralité et renseignements excellents sur les parents, mais père très sévère. Commandant de réserve, Officier Légion d’Honneur » (4), sentant la vie de son père menacée, cherche à se procurer une arme afin de le protéger.


1. Jean-Paul Thomas, « Les effectifs du Parti Social Français », revue Vingtième Siècle, N° 62, 1999.
2. « Les froides queues du colonel de la Loque », comme allait les appeler plus tard Lucien Rebatet.
3. J’ai consacré un chapitre à l’histoire du groupe Gallais dans mon ouvrage « Agents du Reich en Bretagne »
4. Demande d'enquête du sous-préfet de Brest au chef des RG de Brest, 3 octobre 1944.