lundi 12 janvier 2015

Du bagne pour enfants à la LVF



Parmi la longue cohorte des dénonciateurs, traitres, miliciens et autres « collabos » de tout poil qui défilent devant les juges de la Cour de justice de Rennes, on trouve parfois d’étonnants personnages. Celui qui comparait ce jour du mois de juin 1946 : « Conserve sa bonne humeur et trouve le moyen tout au long de l’audience de divertir ses juges tout autant que le public. » note le journaliste qui suit ce procès. Pourtant, fait remarquer le commissaire du gouvernement : « Il est bien né sous une mauvaise étoile ».
La conjonction astrale devait être en effet particulièrement malheureuse pour ce garçon qui voit le jour en 1910. Trop tôt orphelin, il est condamné une première fois par le tribunal d’Alençon au mois de février 1926 pour vol de vélo et placé en liberté surveillée. Au mois de juin, c’est le tribunal de Dijon qui le condamne pour vagabondage et le place en liberté surveillée jusqu’à sa majorité. Le mois suivant, c’est une nouvelle condamnation par le tribunal de Rambouillet pour vol et vagabondage. Au mois d’août, c’est le tribunal de la Seine pour infraction à la liberté surveillée. Finalement, en février 1928, le jeune homme est envoyé dans des colonies pénitentiaires aux noms tristement célèbres comme Aniane, dans l’Hérault, ou celle de Mettray, dans l’Indre-et-Loire, qui servira de matrice à Jean Genet pour son roman « Le Miracle de la rose ». Hormis la fascination pour l’esthétique nazie qu’éprouvera Genet par la suite, il y a bien des similitudes entre les deux hommes : orphelins tous les deux, âge identique et même jeunesse chaotique. Ils ne sortiront du bagne pour enfants que pour rejoindre l’armée : les bataillons d’Afrique, les fameux « Bat-d’Af », destinés aux individus ayant un casier judiciaire un peu trop chargé.

Un dur, un vrai, un tatoué
Alors que Genet quitte Mettray pour s’engager dans la Légion étrangère, notre homme choisit le 1er régiment de Spahis marocains, alors stationné au Levant français. C’est au Liban qu’il se fait tatouer sur la paume de la main droite un mot « injurieux » pour ses chefs, lorsqu’il leur fait le salut militaire. Ce mot, que l’on devine sans peine, n’est guère apprécié des officiers et, au mois d’avril 1931, le voilà de nouveau condamné à 89 jours de prison par le tribunal militaire de Beyrouth. Un autre jour, il estime s’être fait rouler sur le prix d’une course par un cocher arabe, qu’il déleste de sa recette. Un tribunal de Damas le condamne alors à cinq ans de prison pour vol qualifié en juillet 1932. Finalement, l’affaire s’arrange et notre « dur », désormais tatoué de la tête aux pieds, est envoyé en Tunisie, toujours dans les « Bat-d’Af ». Décidément rétif à l’autorité, le voilà mêlé à une bagarre, où ses supérieurs écopent quelques horions. Ce qui lui vaut encore deux ans de prison pour « outrage à supérieur ». Démobilisé en 1940, avec le grade de sergent-chef du 1er bataillon d’Afrique, il s’installe à Tunis et vend du vin aux musulmans, ce qui est formellement interdit et lui vaut de nouveaux ennuis avec trois condamnations en 1940 et 1941.
De retour en France occupée, il pose son sac dans un gros bourg rural situé à mi-chemin entre Rennes et le Mont-Saint-Michel, où il se marie en juillet 1941. On pourrait le croire désormais assagi. Mais, en novembre 1942, il « emprunte » une bicyclette qu’il oublie de rendre. L’affaire se termine devant le tribunal de Rennes qui le condamne à deux ans de prison. La peine est lourde. Ne voulant pas l’effectuer, il se rend aussitôt au bureau de recrutement pour l’Allemagne, situé rue Martenot, où il signe un contrat d’un an de travail pour l’usine Deutsche-Werk de Kiel. Six mois plus tard, il bénéficie d’un congé de quinze jours qu’il passe chez lui. De retour à l’usine, le voilà accusé de sabotage. Il s’en défend et assure que son travail avait surtout été mal fait. Cette fois, il va pouvoir goûter au charme des prisons allemandes pendant six mois. Dès sa sortie, il achète une fausse feuille de réforme devant lui permettre de rentrer en France. Il allait partir lorsque la police de l’usine l’arrête à nouveau. Dans sa musette, on a trouvé de l’argenterie volée à la Deutsche-Werk et dans un hôtel de Kiel. Le voilà donc reconduit en prison pour deux mois.
Ayant quand même conservé sa fausse feuille de réforme, il rentre chez lui. Les gendarmes l’attendent et lui confisquent ses papiers français et allemands. Notre tatoué prend la fuite et se réfugie à Paris dans l’appartement d’une amie de sa femme, qui ne souhaite pas l’héberger plus longtemps. Il revient alors à Rennes, rue Martenot, et signe un nouvel engagement d’un an ! Muni de ce contrat, il revient chez lui et réclame ses papiers aux gendarmes.
N’ayant aucunement l’intention de franchir le Rhin, il retourne à Paris chez l’amie de sa femme, devenue maintenant sa maitresse. En décembre 1943, elle l’accompagne dans un village de Haute-Marne où il travaille comme bucheron. Au mois de janvier 1944, de retour à Paris, il se fait embaucher par la firme allemande « Bauvens », boulevard Hausmann. Il s’agit en fait d’une entreprise de construction appartenant à Peter Joseph Bauwens, dit « Peco » Bauwens, ancien footballeur et arbitre allemand, membre du comité exécutif de la FIFA jusqu’en 1942. L’entreprise est évidemment très liée au Troisième Reich. Ce qui n’empêchera pas Bauwens de devenir président de la Fédération allemande de football après-guerre. Sous l’Occupation, cette firme construit des fortifications dans la région de Saint-Omer, où notre tatoué travaille comme forgeron pendant environ trois mois. De retour à Paris, le voilà à nouveau sans travail. Il sait qu’il ne peut revenir chez lui, car recherché par la gendarmerie, mais aussi par la police allemande, qui le considère comme déserteur.

Les tribulations d’un légionnaire sur le front russe
« Si je connaissais un maquis je n’aurais pas hésité à m’y rendre, mais j’ai jugé beaucoup plus simple de m’engager dans la LVF » déclare-t-il à la Cour de justice. Il se rend donc au siège de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, rue Saint-Georges à Paris, où il signe un engagement illimité comme simple soldat au mois de mai 1944. L’heure n’est plus au strict respect des critères de recrutement de la LVF, qui ferme les yeux sur son casier judiciaire et l’envoie suivre une formation au quartier de la Reine à Versailles. Sur sa fiche signalétique est alors indiqué : « Nombreux tatouages sur tout le corps dont un serpent sur le corps et un autre sur la main gauche ».
Maurice Zeller, officier recruteur de la LVF
Le 6 juin, jour du débarquement, un convoi de nouvelles recrues est dirigé sur le dépôt de la LVF de Greifenberg en Poméranie. Suivant un peloton de sous-officiers pendant trois mois à Stettin, notre tatoué en sort premier avec le grade de chef de groupe instructeur. Il doit alors endosser l’uniforme allemand, « Pas par idéal déclare-t-il à la Cour, parce que les Allemands c'est pas mes collègues. D'abord ils m'ont foutu en tôle ». Depuis le 1er septembre en effet, la LVF est officiellement dissoute et intégrée à la Waffen-SS. Au mois d’octobre 1944, les légionnaires sont envoyés au camp de formation de Wildflecken en Forêt-Noire, où ils sont intégrés à la brigade Charlemagne. L’amalgame ne se fait pas sans difficulté, tous ne souhaitant pas arborer les runes SS sur leur uniforme. D’après notre tatoué, il serait resté à Wildflecken : « Jusqu’au départ de la LVF pour le front dans le courant de janvier 1945. Tout de suite, nous avons battu en retraite, où le sauve qui peut a été général ». Il semble qu’il se trompe d’un mois. En effet, c’est en février que la brigade Charlemagne devient la « 33ème Waffen-Grenadier-division der SS Charlemagne ». Quant au siège de Breslau par l’Armée rouge, entamé le 15 février il ne se terminera que le 6 mai 1945. Quoi qu’il en soit, après seulement quatre jours de combats, notre tatoué se cache dans une grange puis une maison abandonnée où il troque son uniforme allemand pour un costume civil. En attendant l’arrivée des Russes, il « fait la popote ». Trois jours plus tard, les Russes sont là. Il se dirige alors vers eux en criant : « Camarades ! ». « Français ? » demandent les Russes. « Oui, oui ! » répond-il. Et le voilà revêtu de l’uniforme de l’Armée rouge avec laquelle il va combattre pendant plus de deux mois. « C’est la bonne vie » déclare-t-il, « Car dans la Légion on crevait de faim, tandis qu’avec les Russes on était bien. On ne touchait rien mais tout ce qu’on trouvait était pour nous ! » Conduit dans un camp de rapatriement proche de Varsovie, il est ensuite dirigé avec d’autres compatriotes sur Odessa puis rapatrié le 6 mai 1945 en France où il se fait passer pour un évadé du STO, ce qui lui permet de toucher une prime de 1 000 francs. Á peine rentré chez lui, les gendarmes débarquent et le conduisent à la prison Jacques Cartier pour y accomplir une année de prison.

Épilogue
Un an plus tard, en juin 1946, le voilà donc devant la Cour de justice de Rennes. « Si je suis entré à la LVF c’est pour échapper à la police française et à la Gestapo. Je ne l’aurais pas fait sans cela car je n’ai pas l’esprit militaire » déclare-t-il. D’ailleurs : « Si j’ai participé pendant quatre jours à des combats contre les Russes, j’ai largement racheté mon erreur en m’engageant dans les rangs des soldats de l’Armée rouge, dès que cela m’a été possible en février 1945. Et pendant deux mois et demi j’ai vaillamment lutté contre les Allemands dans les troupes de choc de l’armée russe. »
L’affaire n’est pas banale. L’homme a trahi en portant l’uniforme ennemi, c’est indéniable. Mais, contrairement aux membres du Bezen Perrot, eux aussi sous l’uniforme Waffen SS, il n’a jamais participé à la moindre opération contre la Résistance sur le sol national. Et, pour couronner le tout, alors revêtu de son uniforme soviétique, il a fait prisonnier un de ses anciens camarades de la LVF, le légionnaire Letimier !
Extrait de sa cellule lui aussi, c’est le seul témoin présent à l’audience.
- « C’est bien lui qui m’a fait prisonnier » déclare-t-il. « Je l’ai reconnu tout de suite par son serpent ».
- Le président de la Cour : « Son serpent ? »
- « Oui » répond notre tatoué en riant « C’est bien visible ».
Stupéfaction du journaliste, qui décrit la scène : « Il dégrafe le col de son blouson de toile kaki de l’armée soviétique. Et la tête d’un magnifique serpent tatoué qui doit s’enrouler autour de tout son corps apparait menaçante ! »
Le président fait remarquer que dans certains camps allemands : « La peau de l’accusé eut été choisie pour faire un abat-jour. » Finalement, la Cour de justice se montre assez douce puisqu’après un réquisitoire très modéré du commissaire du gouvernement, elle le condamne à deux ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour dans la région. » Et voilà notre tatoué : « Une fois de plus nourri et logé aux frais du gouvernement, après avoir subi une bonne douzaine de condamnations ».

Kristian Hamon