samedi 28 mars 2015

Les pérégrinations d'un scout rennais à la LVF



Au début de l’Occupation, en 1940, Robert vient tout juste d’avoir 15 ans. Typographe dans une imprimerie rennaise, il fait partie des Scouts de France à la 5ème Rennes (Troupe Jacques Cartier). Il reconnait avoir adhéré quelque temps aux Jeunesses Nationales Populaires (JNP), le mouvement de jeunesse du Rassemblement National Populaire (RNP) de Marcel Déat « Où j’ai fait un peu de propagande avec Michel Leroy et Lucien Lahaye. » Né lui aussi en 1925, Michel Le Roy n’est autre que le fils du journaliste et écrivain breton Florian Le Roy, originaire de Pléneuf-Val-André. La double, voire la triple appartenance est de règle, puisque Michel Le Roy va quitter les JNP pour le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot, dont il fréquente les filles lorsque le « Grand Jacques » vient se reposer dans sa villa du Val-André. Il est également membre des Jeunes pour l’Europe Nouvelle  « Je suis entré au JEN afin d’y retrouver de bons camarades et d’y faire d’agréables promenades. Je n’ignorais pas que ce mouvement recevait l’hospitalité du groupe « Collaboration ». Pour l’heure en effet, l’activité de ces jeunes gens consiste essentiellement en conférences ou sorties de groupe en uniformes dans le style chantiers de jeunesse. Progressivement, va s’enclencher une spirale infernale dont il leur sera bien difficile d’en sortir. En 1942, Michel Le Roy dispose d’un ausweis N° 2472 et d’une autorisation de port d’arme. Il est chargé par le bureau d’embauche allemand de pourchasser les réfractaires au STO. Quant à Lucien Lahaye, il deviendra secrétaire régional de la Milice Française et agent du Sicherheitsdienst (SD), la police SS, N° SR 703.

Robert ne cache pas son admiration pour le maréchal Pétain « Quand j’ai vu qu’il patronnait la LVF en 1942, je m’y suis engagé l’année suivante. De Saint-Méloir, que je connaissais, m’a dit qu’en zone libre, le colonel Puaud formait sous le couvert de la LVF un régiment qui devait être un embryon de la nouvelle armée française. Il a ajouté que ce régiment ne combattrait pas mais serait appelé à rester en France. » La quarantaine, Alain de Saint-Méloir est décrit comme un aristocrate « Doté d’une intelligence supérieure, remarquablement instruit, licencié ès-lettres » parlant couramment cinq langues. Mobilisé lors de la campagne de France, il a perdu un bras à Dunkerque et est titulaire de la Croix de guerre ainsi que de la Médaille Militaire avec palmes. Fait prisonnier par les Allemands le 4 juin 1940, il est libéré au mois d’août en tant que grand mutilé. Avant-guerre, il était membre de l’association des « Camelots du roi » et de « L’Action Française », dont il était un militant actif sur la région de Rennes. Orateur de talent, il attaque très violemment le régime républicain et fait l’apologie de la monarchie. Réformé à 100 %, démobilisé en 1940, il revient dans sa famille à Rennes et c’est donc très logiquement qu’il se range derrière le maréchal « J’avais été séduit par les principes directeurs de sa politique, il instituait, sous sa haute personnalité, un régime d’autorité, régime que j’avais toujours souhaité bien avant la guerre ; Pétain voulait également le régime corporatif que je préconise dans ma lettre à des Français, je décidais donc, dans la mesure du possible, d’aider le Maréchal Pétain dans son œuvre. D’autre part, de par ma famille, et à la suite de la bataille de Dunkerque, j’étais profondément anglophobe, je réalisais enfin qu’après notre défaite de 1940, la France ne pourrait pas continuer la lutte pour son propre compte, il lui faudrait bon gré mal gré, être un satellite, soit des puissances de l’axe, soit des alliés. A la suite de l’entrevue de Montoire et des directives du Maréchal, je résolus pour mon compte de défendre l’esprit de collaboration avec l’Allemagne, aussi dès que j’appris à Rennes, fin 1940, une réunion des « Amis du Maréchal » présidée par Me Chapelet[i], je décidais d’y assister. »
En 1942, membre du RNP, Alain de Saint-Méloir s’occupe des engagements à la LVF qui ne dispose pas encore de bureaux de recrutement. Lors de la scission du RNP, il rejoint le Mouvement Social Révolutionnaire (MSR). En juin 1942, il devient secrétaire administratif de la LVF aux appointements mensuels de 1 300 F. Il est nommé ensuite Inspecteur Régional en mai 1943 aux appointements de 7 000 F qui passeront à 12 000 F en 1944. De Saint-Méloir, pour qui la Légion « Était un organisme officiel approuvé par l’Etat Français », déclare être entré à la LVF à la suite des déclarations du Maréchal Pétain qui avait dit aux Légionnaires partant pour la Russie : « Vous portez une part de notre honneur Militaire ».
On ne se bouscule pas pour s’engager dans les bureaux de la LVF au 9, rue Nationale. Les recrutements sont médiocres. Maitrisant parfaitement la langue allemande, De Saint-Méloir collabore avec le lieutenant allemand Slovenzick de la Propaganda-Staffel, qui le consulte pour censurer les journaux rennais. Les Allemands imposent à L’Ouest-Éclair l’insertion de ses articles qui doivent toujours paraitre en première page et signés SM. Il fait également partie du « Cercle d’Études National-Socialiste » et reçoit chez lui, rue Pierre Hévin, des officiers allemands et des miliciens en tenue, dont Lucien Lahaye. Ce qui lui causera le plus d’ennuis à la Libération ce sont des lettres de dénonciation en partie brulées, retrouvées au siège du SD et portant son N° SR 777. Au mois de juin 1944, à la suite des bombardements, il n’y a plus d’émissions radiophoniques en Bretagne. Il est même difficile de pouvoir écouter la radio nationale. Slovenzick demande alors à De Saint-Méloir de donner les nouvelles militaires allemandes tous les jours à l’aide haut-parleurs placés en certains points de la ville.

Ainsi qu’on peut le voir, dans les milieux collaborationnistes de Rennes, tout le monde se croise et se connait plus ou moins. Jusqu’à quel point ces jeunes gens de 17 ou 18 ans étaient sous l’influence néfaste de leurs ainés « collabos » pour mesurer leur degré de responsabilité ? La réponse n’est pas simple. D’autres de leur âge, et de même milieux social, vont en effet choisir la Résistance. Quoi qu’il en soit, Robert décide de s’engager à la LVF en 1943. Il a 18 ans. Son contrat signé à Paris, il est envoyé au dépôt de la LVF de Guéret, dans la Creuse « En zone libre je portais l’uniforme kaki français avec le drapeau tricolore sur la manche gauche et le mot France. » Le dépôt de Guéret supprimé, il est envoyé à Montargis pendant deux semaines puis, après un court passage à Versailles, il est dirigé sur la Pologne pour suivre une instruction. En février 1944, c’est la montée sur le front russe avec le 3ème bataillon de la LVF. Lors des combats de la Bérésina, le 3 avril 1944, Robert est blessé par 17 éclats de grenades. Il sera blessé une seconde fois car le traineau qui l’évacue saute sur une mine. Jusqu’en septembre 1944, c’est une succession d’hôpitaux en Russie, Pologne, Lituanie, Allemagne. Remis sur pieds, il est dirigé sur le dépôt de Greffelberg où il demande à quitter la LVF, ce qui lui est refusé. Il est alors envoyé au centre d’instruction de Wildflecken. Á la suite du démantèlement de la LVF en septembre 1944 et son intégration dans la Waffen SS, certains refusent et une mutinerie éclate. Les mutins sont envoyés en camp de concentration. N’étant pas encore complètement valide, Robert est obligé de travailler dans une usine de munitions le 10 décembre 1944. Le 25 février 1945, il prend la défense d’un de ses camarades frappés par un contremaitre allemand. Les deux hommes sont emprisonnés puis consignés dans leur chambre. Ils en profitent alors pour s’évader et passent en Autriche puis en Italie. Lorsqu’ils aperçoivent une voiture à croix de Lorraine, à Bolzano, ils se présentent à un capitaine de la sécurité militaire. Le 10 juillet 1945, Robert est arrêté par le CIC américain. Le 10 août, il est rapatrié par un convoi et arrêté à Villefranche-sur-Mer. Il est alors transféré à Rennes où il avait déjà été jugé le 20 mars 1945. Le 27 février 1946, lors de son nouveau procès, Robert manifeste son intention de s’engager dans l’armée d’Extrême-Orient : « J’ai fait 8 mois d’emprisonnement depuis que je me suis présenté à un officier français de renseignement en Italie. Mon intention est contracter un engagement pour aller en Indochine pour me racheter de mes péchés de jeunesse. » Mineur au moment des faits le tribunal ordonne sa mise en liberté après 8 mois d’internement s’il accepte le jugement du 20 mars 1945.
Il ne sera pas le seul parmi ces rescapés de la LVF et autres miliciens peu fréquentables à échapper à la prison en échange d’un engagement pour l’Indochine pour aller combattre un ennemi qui ne leur posera pas de problèmes de conscience.



[i] Pierre Chaplet, avocat, il est également membre du RNP dont il démissionne en 1943. Passé à la Résistance il est arrêté le 22 décembre 1943 puis déporté à Buchenwald.

lundi 16 mars 2015

L'arrestation d'une femme juive par le Bezen Perrot

En matière de recherche historique, il faut être patient. Très patient même. Le hasard est aussi un facteur qu’il ne faut pas sous-estimer. Il y a 14 ans, je citais cet extrait de la déposition d’un jeune membre du Bezen Perrot, en date du 8 octobre 1944 : « En janvier 1944, sans que je puisse préciser davantage, j’ai été commandé avec les nommés Morvan et Chérel pour aller chercher une vieille dame de confession israélite qui habitait sur les quais de la Vilaine à Rennes. Morvan était chef de mission et seul armé. Un allemand en civil nous accompagnait et nous avons ramené la femme au SD. » Armel, c’est le prénom de ce garçon, n’a que 17 ans lorsqu’il s’est engagé au Bezen, un mois auparavant. Né à Locqueltas (56), il ne connait pas Rennes et n’en sait visiblement pas plus sur cette arrestation. Ses deux acolytes étant de leur côté étant en fuite à la Libération, il m’était impossible d’en savoir plus.
Le quai Richemont
Depuis, il m’a beaucoup été demandé qui était cette femme et si elle avait été dénoncée. C’est la seule participation connue de la Formation Perrot – créée au mois de décembre 1943 – à une opération de police contre les Juifs. Il est vrai qu’à cette date, ceux qui ont eu la chance d’échapper aux rafles ne sont plus très nombreux. Dans leur livre « Les Juifs en Bretagne » (page 360), Claude Toczé et Annie Lambert indiquent en effet que l’ultime rafle en Bretagne se déroula le 4 janvier 1944. En Ille-et-Vilaine, il y eu 9 arrestations : M. et Mme Veil et leur fille Hélène à Combourg ; Sarah Garzuel et ses 2 enfants à Vitré ; Élise Mizrahi et son fils, arrêtés à Rennes ; et Marthe Bader de Dinard. Ces 9 personnes seront déportées le 3 février 1944.

Des années plus tard, consultant le dossier d’instruction judiciaire du responsable régional de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (LVF), je tombe tout à fait par hasard sur une lettre de dénonciation. Accusé « d’intelligence avec l’ennemi », cet homme était également un agent de renseignement du Sicherheitsdienst (SD) de la rue Jules Ferry à Rennes. Cette note, rédigée en allemand et datée du 25 mars 1943, porte l’indicatif SR de cet agent, suivi de son numéro. « Dans le courant du mois de novembre 1942, un rapport du commissariat aux questions juives avait été fait contre la juive Arrighi, domiciliée quai Richemont. Ce rapport portait en outre que la juive Arrighi portait bien l’étoile mais qu’elle possédait chez elle un poste de TSF qu’elle déclara comme appartenant à son petit-fils. Le premier rapport fut fait en portant note du poste de TSF mais dans la journée un coup de téléphone de l’intendant de police Thailet demandant au délégué régional des questions juives de ne pas être trop dure pour cette femme qui était la belle-mère d’un de ses amis travaillant à la préfecture. Par la suite un deuxième rapport fut fait portant mention que la juive Arrighi était en règle et portait constamment son étoile. »
Depuis le mois de mai 1942, le port de l’étoile jaune est en effet obligatoire pour les Juifs et il leur est interdit de posséder un poste de TSF. Le délégué régional aux questions juives en Bretagne est alors Raymond du Perron de Maurin, lui-même ancien de la LVF. En 1943, il va créer le Cercle d’Études National-Socialiste (CENS), dont sera également membre notre responsable régional de la LVF. Cette intervention de Francis Thiallet, intendant de police de la région Bretagne ayant rang de préfet 3ième classe, est assez rare pour être soulignée car Du Perron de Maurin n’était pas le genre de type à se laisser émouvoir par le sort d’une juive, fut-elle âgée et malade.
Le dossier de Mme Arrighi devait être particulièrement suivi à la préfecture puisqu’une autre lettre, envoyée au Kommandeur du SD le 23 janvier 1943, figure dans ce dossier : « Objet : Pointage hebdomadaire des Juifs. Conformément à vos prescriptions en date du 2 janvier courant, j’ai l’honneur de vous transmettre, sous ce pli, pour décision, une demande présentée par la nommée Arrighi, née Cahen Rose, le 22 février 1867 à Rouen, résidant à Rennes, 6 quai Richemont, en vue d’obtenir une dispense définitive de présentation au Commissariat Central de police de Rennes. Cette demande est accompagnée d’un certificat médical établi par un médecin français assermenté. Signé A. Ytasse. Secrétaire général. » Auparavant sous-préfet de Saint-Dié, Armand Ytasse a été nommé secrétaire général de la préfecture d’Ille-et-Vilaine le 20 décembre 1941. La décision prise par le SD ne figure pas au dossier.
Quoiqu’il en soit, plusieurs listes de Juifs ont été dressées avec précision par la préfecture. Rose Cahen figure bien sur celle établie le 30 septembre 1940, ainsi que le docteur René Lévy, son épouse Lucie Bloche et leur enfant. Sur une autre liste du 24 janvier 1942, Rose Cahen est toujours au 6, quai Richemont, tandis que René Lévy et Lucie Bloche sont déclarés avenue Louis Barthou, mais sans leur enfant. Une autre liste, établie au mois d’août 1942, indique que la famille Lévy est partie sans autorisation pour une destination inconnue[1].

Policiers du SD devant la porte de la Cité des étudiantes, rue Jules Ferry
Le 5 janvier 1944 donc, au lendemain de la dernière rafle effectuée en Bretagne, un groupe du Bezen se présente quai Richemont. « Ma mère, madame veuve Arrighi, est décédée à l’hôtel Dieu de Rennes où nous l’avions fait portée depuis 48 heures. Le 5 janvier 1944 des policiers allemands sont venus dès 7 heures du matin chercher ma mère. Ils l’ont emmenée sans indiquer ni la raison ni le but de leur expédition. Ils l’ont conduite aux services de la Gestapo rue Jules Ferry et l’ont relâchée dans le courant de l’après-midi. A aucun moment on ne lui a donné la moindre explication sur cette mesure. Ma mère était d’origine juive, née Cahen Rose[2]. » Rose Arrighi est décédée le 23 décembre 1945.
Condamné à mort, Raymond du Perron de Maurin sera fusillé le 5 novembre 1946. Le chef régional de la LVF a été condamné aux travaux forcés à perpétuité. Quant au jeune Armel, du Bezen Perrot : « A la suite de cette arrestation, dégouté du métier qu’on nous faisait faire, et me rendant compte de plus en plus que j’avais été dupé, j’ai décidé d’écrire à mes parents, lesquels ignoraient toujours où je me trouvais, en leur demandant de faire les démarches nécessaires pour me faire sortir de cette sale affaire ». Á la fin du mois d’avril 1944, il se tire volontairement une balle de revolver dans la cuisse pour échapper au Bezen. Ce qui lui vaut deux mois d’hospitalisation dans un hôpital allemand d’Auray. Á sa sortie, il se réfugie chez ses parents où il sera arrêté le 22 août 1944. Condamné à quatre ans de prison, il bénéficiera d’une remise de peine de trois années accordée par le Président de la République le 9 juillet 1945.

Kristian Hamon


[1] Ce dentiste rennais sera témoin du massacre d'Oradour.
[2] Déposition de la fille de Mme Arrighi le 25 mars 1946.

mardi 3 mars 2015

Quelques exemples de pendaisons effectuées en Bretagne en 1944

Lorsque l’on évoque les pendaisons effectuées pendant la Seconde Guerre mondiale, viennent immanquablement à l’esprit celles commises par la division Das Reich le 9 juin 1944 à Tulle, où 99 hommes seront pendus aux arbres, réverbères et balcons de la ville. Le massacre de Tulle est sans aucun doute la plus importante exécution par pendaisons effectuée par les Allemands en France, il préfigure aussi une longue série de crimes de guerre qui ne s’arrêteront qu’à la Libération.
En effet, depuis le débarquement des Alliés, on assiste à une véritable escalade des exactions commises par les troupes allemandes. Jusqu’alors, les résistants arrêtés étaient envoyés en déportation ou bien condamnés à mort après un simulacre de jugement. Désormais les « terroristes », puisque c’est ainsi qu’ils sont désignés par les nazis, seront fusillés sans autre forme de procès. Mis à mort par les armes avec lesquelles ils combattent, ces résistants ou maquisards sont littéralement « passés par les armes ». Vaincus au combat, ces patriotes peuvent se considérer comme tombés au « champ d’honneur ». 

La « dissuasion » (Abschreckung) par la pendaison
Pendaison de Louis Briand à Rostrenen
Avec le massacre de Tulle, la répression prend une toute autre dimension. En décidant de pendre publiquement les patriotes, les Allemands veulent montrer qu’ils ne les considèrent plus comme des ennemis vaincus, mais comme de vulgaires criminels. L’objectif est d’intimider – Abschreckung selon la terminologie allemande de l’époque – la population en escomptant la dresser contre la Résistance. Il n’en sera évidemment rien, malgré la démesure de ces représailles.
Comment, en effet, justifier ce qui s’est passé le 8 juin 1944 à la ferme d’Yves Mével, maire de Plounévézel (29), où s’était réfugié un groupe de onze jeunes résistants ? Ce jour-là, des soldats allemands se présentent pour procéder à des réquisitions de charrettes, semant la panique dans la maison. Un des jeunes, Jean Manach, sauve sa peau en se hissant dans la cheminée. Eugène Léon, qui avait un revolver sur lui prend la fuite mais est abattu. Les autres tentent bien de se cacher, mais sont fait prisonniers. La ferme incendiée, commence alors pour les huit résistants arrêtés un véritable chemin de croix avec une première station au bois de Coat-Penhoat où ces jeunes, qui ne présentent aucun danger pour leurs ravisseurs, sont interrogés et torturés. Au fur et à mesure de leur progression vers Loudéac, les Allemands pendent Jean Le Dain à un poteau électrique à Moulin-Meur en Plounévézel ; Georges Auffret à l’entrée de Carhaix ; Marcel Goadec en centre-ville ; Georges Le Naëlou au Moustoir ; Marcel Le Goff au carrefour de la Pie en Paule ; Marcel Bernard à l’entrée de Rostrenen et Louis Briand à un balcon de la place de la République, puis François L’Hostis à Saint-Caradec.
La distinction observée pendant les premières années de l’Occupation entre la « correction » de la Wehrmacht et la cruauté de la SS n’a désormais plus aucun sens.
Le 15 juin, cette réquisition de charrettes se répète à Gomené (22). Trois Allemands se présentent chez le maire de la commune, Arsène Poupiot, qui tient un café-épicerie. Alors qu’ils prennent un verre, ces soldats sont visés par trois individus qui disparaissent. L’un des soldats est blessé puis évacué par ses deux camarades. Les représailles ne vont pas tarder. Une section allemande revient au bourg et fait plusieurs otages, rassemblés sur la place. Les soldats allemands reconnaissent le fils du maire, Marcel Poupiot, et Edmond de Blay de Gaïx. Ces deux jeunes gens étaient présents au café lors de l’agression. Marcel Poupiot, qui a eu 18 ans la semaine précédente, reçoit l’ordre des Allemands d’aller chercher une corde et une échelle dans la maison de son père. Les soldats lui passent la corde au cou et l’obligent à grimper l’échelle posée contre la potence d’une installation électrique à l’angle de la maison de M. Basset. Ils retirent ensuite l’échelle sous les yeux de son père qui devra dépendre lui-même son fils. Clamant lui-aussi son innocence, Edmond de Blay de Gaïx, âgé de 17 ans, qui était en vacances chez M. Basset, est emmené sous le préau de la mairie pour y être pendu à son tour. La corde ayant cédé, le garçon est achevé d’une rafale de mitraillette.

L’épuration par pendaison
Qu’elles aient eu lieu sous l’Occupation, ou après la Libération, les pendaisons effectuées par des résistants sont assez méconnues. Les archives comme les témoins sont rares ou peu bavards lors des enquêtes effectuées par la gendarmerie. Cette face obscure de la Résistance reste donc aujourd’hui encore un sujet tabou. En temps de guerre, il y a des actes de trahison qui ne pardonnent pas. Lorsqu’un traitre ou un agent des Allemand infiltré dans un maquis est découvert, l’exécution est généralement immédiate, les résistants s’arrangeant ensuite pour faire disparaitre le corps. Face aux actes de barbarie commis par les nazis et l’entrée en jeu de la Milice, on assiste à une multiplication des attentats et des exécutions de « collabos ». Les résistants n’hésitent désormais plus à exposer en public les corps de ces traîtres. Il s’agit tout autant d’impressionner la population qu’à avertir les « collabos » du sort qui leur sera réservé. Ainsi le 18 juillet 1944, au village du Faoudic, en Glomel, où les Allemands doivent décrocher un pendu entièrement nu portant de nombreuses traces de coups. D’après les gendarmes : « Il s’agirait d’un « soi-disant milicien » exécuté par des patriotes d’un maquis local dirigé par un espagnol nommé Icard ». Il faut plutôt lire « Icare », pseudonyme de Carrion Roque, jeune officier de l’aviation républicaine espagnole. Une semaine plus tard, c’est au lieu-dit Keraven, qu’une jeune femme de Cléguérec est pendue pour après avoir avoué qu’elle avait dénoncé des patriotes.
Ces pendaisons, effectuées par des maquisards qui ne connaissent qu’une seule loi – celle de ne pas se laisser surprendre par des dénonciateurs – vont parfois prendre une tournure dramatique. Ainsi au maquis de la forêt de Haute-Sève en Saint-Aubin-du-Cormier, dont le chef et cinq de ses hommes devront rendre des comptes devant le tribunal militaire de Rennes au mois de janvier 1945. Tout commence à Saint-Médard, où une cinquantaine de jeunes gens tiennent un maquis FTP. La discipline y est très sévère. Le chef du groupe ayant menacé de peine de mort ceux qui ne la respecte pas, chacun s’y soumet. Un de ces résistants est marié avec une femme d’origine alsacienne, qui lui reproche de façon un peu trop véhémente de combattre l’armée allemande dans laquelle servent plusieurs de ses frères incorporés de force. Le maquis attaqué, elle est accusée d’avoir dénoncé le groupe aux Allemands et condamnée à mort par le chef avec, semble-t-il, l’accord du mari. Saisie par deux maquisards le 13 juillet 1944, elle est emmenée sur les lieux de l’exécution où elle doit être pendue. L’affaire se passe mal. La condamnée, découvrant ce qui l’attend, ne se laisse pas faire. Ses hurlements risquant d’attirer l’attention des Allemands cantonnés à proximité, les deux hommes étranglent la femme sur place en présence de son mari. Ce maquis n’étant plus sûr, le groupe se rend dans la forêt de Haute-Sève. Les femmes agents de liaison logent dans une ferme à proximité, les hommes cantonnent en forêt. Le chef du groupe ne tarde pas à constater que le maquis est également surveillé. Il est vrai qu’à ce moment, la Milice est très active dans la région de Saint-Aubin-du-Cormier. Déjà, le 24 juillet, un groupe de jeunes maquisards avaient abattus trois allemands lors d’une embuscade tendue au lieu-dit « Le Rocher » à Andouillé-Neuville. Quoi qu’il en soit, deux hommes et une femme sont à nouveau suspectés d’avoir dénoncé le groupe aux Allemands. Ils sont connus dans le pays pour leurs relations commerciales avec un nommé Zimmerman, qui ravitaille la Gestapo de Rennes en s’approvisionnant au marché noir, très florissant dans cette région qui n’était pas dépourvue de ressources. Un soir, deux maquisards qui partent en mission sont attaqués par les Allemands à proximité du cantonnement, ce qui confirme les soupçons du chef à l’égard des deux hommes, dont l’un est surnommé « Bec de puce », et de sa concubine. Du trafic à la délation, le pas est vite franchi, et les voilà eux-aussi condamnés à être pendus. Mais, le chef du maquis devant exécuter immédiatement un coup de main à Gosné, il donne l’ordre à ses hommes, s’ils ne le voient pas revenir à une heure fixée, de procéder à l’exécution eux-mêmes. Retardé à Saint-Aubin-du-Cormier, le chef constate à son retour que ses ordres ont été exécutés par trois maquisards. Le 31 juillet, les cadavres des deux hommes et de la femme se balancent aux branches des arbres de la forêt. Lors du procès au tribunal militaire, le commissaire du gouvernement, dans un réquisitoire très dur à l’égard des accusés, réclame la peine de mort contre le chef du maquis, lieutenant FFI, qui couvre ses hommes, expliquant qu’ils n’ont fait qu’exécuter ses ordres, et les travaux forcés contre les cinq autres. Plusieurs témoins louent la bravoure et le patriotisme de ces jeunes résistants. Après le témoignage d’un colonel de gendarmerie, lui-même résistant, le groupe est finalement acquitté. Quelques années plus tard, une contre-enquête sera effectuée. Elle met en évidence que l’accusation de dénonciation prononcée contre l’Alsacienne ne reposait sur rien de solide. Selon ses voisins, elle était incapable de dénoncer des patriotes. Et si les trois autres trafiquants n’étaient guère fréquentables, rien ne permettait de dire qu’ils étaient des indicateurs.

Les pendues de Monterfil
Germaine Guillard, Suzanne Lesourd, Marie Guillard
Si les précédentes pendaisons peuvent se comprendre, car commises dans un contexte de violences de guerre, celles effectuées dans le cadre de l’épuration extra-judiciaire après la Libération ne le sont plus du tout. Comment justifier en effet ce qui s’est passé le 4 août 1944 à Monterfil ? Trois femmes, qui travaillaient comme aides cuisinières dans un camp allemand situé sur la commune et dont le seul crime, pour d’eux d’entre-elles, serait d’avoir eu des faiblesses pour l’occupant, vont être arrêtées par des résistants, tondues, exposées sur la place du bourg puis exhibées dans les communes avoisinantes avent d’être pendues dans un bois puis enterrées sur place. Après avoir été longtemps étouffée, car mettant en cause le fils du maire de l’époque, un certain Oberthur, l’affaire a été largement relatée dans la presse l’été dernier. Le corps d’une des suppliciées, Suzanne Lesourd, attend toujours en effet une sépulture digne de ce nom. (Voir dans la communication suivante les articles consacrés à ce drame par L'Ouest-Journal )

Les pendaisons de soldats américains
Louis Guilloux, dans son roman O.K., Joe !, paru en 1976, raconte comment James Hendricks, un GI noir de 21 ans, a été jugé puis condamné à mort par un tribunal militaire américain où l’écrivain briochin officiait comme interprète. Alors qu’il était ivre, Hendricks voulait entrer dans une ferme de Plumaudan (22) où il avait repéré une jolie fille. Comme on ne lui ouvrait pas, il tire un coup de feu à travers la porte derrière laquelle se trouvait le père de la jeune fille, qui décède aussitôt. Dans son livre, Guillou met aussi en évidence la différence de traitement entre ce GI noir qui sera pendu le 24 novembre 1944, et un capitaine blanc, nommé Whittington, acquitté pour des faits similaires survenus à Landerneau.
Ces GI noirs sont tous issus d’unités d’intendance ou de transport. Autour de ces dépôts de l’armée US s’organise tout un trafic de cigarettes ou d’essence contre des bouteilles de calva ou de « goutte ». Si l’on ajoute à une certaine misère sexuelle le fait que ces hommes ne sont pas habitués à boire, les délits sont fréquents.
La Chronique Républicaine de Fougères article du 10 juillet 2014
Ainsi au Ferré, petite commune d’Ille-et-Vilaine, proche de la Manche, un agriculteur et sa fille voient arriver deux soldats noirs américains enivrés. Ils gravissent l’échelle de meunier pour accéder à la chambre où le père et sa fille se sont barricadés. Comme à Plumaudan, les deux GI font usage de leurs armes sur le palier. La jeune fille, touchée à la jambe, résiste à ses agresseurs et s’échappe en rampant, dans la nuit, jusqu’à une antenne médicale américaine. Blessé à la tête, le père réussit à prévenir le maire. Les deux soldats dorment encore dans la chambre lorsqu’on les retrouve toujours alcoolisés. Condamnés, les deux hommes sont pendus en public à Montours. La potence, sous laquelle est aménagée une grande trappe, provient du centre disciplinaire de l’armée américaine, situé au Mans. L’exécution terminée, les corps sont enveloppés dans un linceul puis la corde brulée.
Même agression sur fond d’alcool à Locmenven, en Guiclan (29), où un GI ayant trop bu s’en prend à une jeune femme, mère d’une fillette. Sans que l’on sache exactement ce qui s’est passé, ce soldat tire avec son arme. La jeune femme, atteinte au ventre, décèdera le 22 août 1944. Au terme d’une enquête menée par la police militaire américaine, le GI est condamné à mort et pendu en public le 27 décembre. Comme il est de règle dans l’armée américaine, les GI coupables de crimes contre des civils français sont en effet sanctionnés dans la commune où le crime a été commis. Le 21 janvier 1945, un GI condamné à mort pour viol est également pendu dans la cour de l'école des garçons de Saint-Sulpice-la-Forêt (35). Je n'ai pas réussi à savoir plus sur cette affaire. Si ce GI a été pendu dans cette école, c'est que son crime a été commis sur la commune. Je ne sais pas la couleur de sa peau. (Ajouté le 9 février 2016)
Il y aura une exception. Un autre GI noir, Charles Robinson, amène à son campement basé à Messac, une femme rencontrée au « Café des sportifs », situé sur le Mail et tenu par Henri Belunza, un joueur du Stade Rennais. Robinson s’est-il mépris sur la réalité de sa relation avec cette femme ? Toujours est-il qu’il la retrouve ensuite dans les bras d’un autre GI et la tue d’un coup de revolver le 1er avril 1945. Jugé par une cour martiale à Ploërmel les 18 et 19 avril, il est condamné à mort. Est-ce à cause du caractère particulier de cette affaire ou du fait que la victime n’était pas de la commune ? Robinson sera pendu le 28 septembre 1945 au centre disciplinaire du Mans. Il est inhumé au cimetière américain Oise-Aisne, dans la parcelle E. Dans cette même parcelle, située à l’écart et non reconnue officiellement, reposent les corps de 96 soldats américains, dont 80 noirs, classés sous l’étiquette « Morts indignes ». Ainsi donc, l’armée américaine pratiquait la ségrégation, non seulement au sein de ses unités, mais également devant les cours martiales où le châtiment variait selon la couleur de peau.

Articles de L'Ouest-Journal sur les pendues de Monterfil

L'Ouest-Journal du 5 juin 1949
L'Ouest-Journal du 12 juin 1949
L'Ouest-Journal du 19 juin 1949
L'Ouest-Journal du 26 juin 1949
L'Ouest-Journal du 3 juillet 1949
L'Ouest-Journal du 10 juillet 1949
L'Ouest-Journal du 17 juillet 1949
L'Ouest-Journal du 24 juillet 1949