mardi 3 mars 2015

Quelques exemples de pendaisons effectuées en Bretagne en 1944

Lorsque l’on évoque les pendaisons effectuées pendant la Seconde Guerre mondiale, viennent immanquablement à l’esprit celles commises par la division Das Reich le 9 juin 1944 à Tulle, où 99 hommes seront pendus aux arbres, réverbères et balcons de la ville. Le massacre de Tulle est sans aucun doute la plus importante exécution par pendaisons effectuée par les Allemands en France, il préfigure aussi une longue série de crimes de guerre qui ne s’arrêteront qu’à la Libération.
En effet, depuis le débarquement des Alliés, on assiste à une véritable escalade des exactions commises par les troupes allemandes. Jusqu’alors, les résistants arrêtés étaient envoyés en déportation ou bien condamnés à mort après un simulacre de jugement. Désormais les « terroristes », puisque c’est ainsi qu’ils sont désignés par les nazis, seront fusillés sans autre forme de procès. Mis à mort par les armes avec lesquelles ils combattent, ces résistants ou maquisards sont littéralement « passés par les armes ». Vaincus au combat, ces patriotes peuvent se considérer comme tombés au « champ d’honneur ». 

La « dissuasion » (Abschreckung) par la pendaison
Pendaison de Louis Briand à Rostrenen
Avec le massacre de Tulle, la répression prend une toute autre dimension. En décidant de pendre publiquement les patriotes, les Allemands veulent montrer qu’ils ne les considèrent plus comme des ennemis vaincus, mais comme de vulgaires criminels. L’objectif est d’intimider – Abschreckung selon la terminologie allemande de l’époque – la population en escomptant la dresser contre la Résistance. Il n’en sera évidemment rien, malgré la démesure de ces représailles.
Comment, en effet, justifier ce qui s’est passé le 8 juin 1944 à la ferme d’Yves Mével, maire de Plounévézel (29), où s’était réfugié un groupe de onze jeunes résistants ? Ce jour-là, des soldats allemands se présentent pour procéder à des réquisitions de charrettes, semant la panique dans la maison. Un des jeunes, Jean Manach, sauve sa peau en se hissant dans la cheminée. Eugène Léon, qui avait un revolver sur lui prend la fuite mais est abattu. Les autres tentent bien de se cacher, mais sont fait prisonniers. La ferme incendiée, commence alors pour les huit résistants arrêtés un véritable chemin de croix avec une première station au bois de Coat-Penhoat où ces jeunes, qui ne présentent aucun danger pour leurs ravisseurs, sont interrogés et torturés. Au fur et à mesure de leur progression vers Loudéac, les Allemands pendent Jean Le Dain à un poteau électrique à Moulin-Meur en Plounévézel ; Georges Auffret à l’entrée de Carhaix ; Marcel Goadec en centre-ville ; Georges Le Naëlou au Moustoir ; Marcel Le Goff au carrefour de la Pie en Paule ; Marcel Bernard à l’entrée de Rostrenen et Louis Briand à un balcon de la place de la République, puis François L’Hostis à Saint-Caradec.
La distinction observée pendant les premières années de l’Occupation entre la « correction » de la Wehrmacht et la cruauté de la SS n’a désormais plus aucun sens.
Le 15 juin, cette réquisition de charrettes se répète à Gomené (22). Trois Allemands se présentent chez le maire de la commune, Arsène Poupiot, qui tient un café-épicerie. Alors qu’ils prennent un verre, ces soldats sont visés par trois individus qui disparaissent. L’un des soldats est blessé puis évacué par ses deux camarades. Les représailles ne vont pas tarder. Une section allemande revient au bourg et fait plusieurs otages, rassemblés sur la place. Les soldats allemands reconnaissent le fils du maire, Marcel Poupiot, et Edmond de Blay de Gaïx. Ces deux jeunes gens étaient présents au café lors de l’agression. Marcel Poupiot, qui a eu 18 ans la semaine précédente, reçoit l’ordre des Allemands d’aller chercher une corde et une échelle dans la maison de son père. Les soldats lui passent la corde au cou et l’obligent à grimper l’échelle posée contre la potence d’une installation électrique à l’angle de la maison de M. Basset. Ils retirent ensuite l’échelle sous les yeux de son père qui devra dépendre lui-même son fils. Clamant lui-aussi son innocence, Edmond de Blay de Gaïx, âgé de 17 ans, qui était en vacances chez M. Basset, est emmené sous le préau de la mairie pour y être pendu à son tour. La corde ayant cédé, le garçon est achevé d’une rafale de mitraillette.

L’épuration par pendaison
Qu’elles aient eu lieu sous l’Occupation, ou après la Libération, les pendaisons effectuées par des résistants sont assez méconnues. Les archives comme les témoins sont rares ou peu bavards lors des enquêtes effectuées par la gendarmerie. Cette face obscure de la Résistance reste donc aujourd’hui encore un sujet tabou. En temps de guerre, il y a des actes de trahison qui ne pardonnent pas. Lorsqu’un traitre ou un agent des Allemand infiltré dans un maquis est découvert, l’exécution est généralement immédiate, les résistants s’arrangeant ensuite pour faire disparaitre le corps. Face aux actes de barbarie commis par les nazis et l’entrée en jeu de la Milice, on assiste à une multiplication des attentats et des exécutions de « collabos ». Les résistants n’hésitent désormais plus à exposer en public les corps de ces traîtres. Il s’agit tout autant d’impressionner la population qu’à avertir les « collabos » du sort qui leur sera réservé. Ainsi le 18 juillet 1944, au village du Faoudic, en Glomel, où les Allemands doivent décrocher un pendu entièrement nu portant de nombreuses traces de coups. D’après les gendarmes : « Il s’agirait d’un « soi-disant milicien » exécuté par des patriotes d’un maquis local dirigé par un espagnol nommé Icard ». Il faut plutôt lire « Icare », pseudonyme de Carrion Roque, jeune officier de l’aviation républicaine espagnole. Une semaine plus tard, c’est au lieu-dit Keraven, qu’une jeune femme de Cléguérec est pendue pour après avoir avoué qu’elle avait dénoncé des patriotes.
Ces pendaisons, effectuées par des maquisards qui ne connaissent qu’une seule loi – celle de ne pas se laisser surprendre par des dénonciateurs – vont parfois prendre une tournure dramatique. Ainsi au maquis de la forêt de Haute-Sève en Saint-Aubin-du-Cormier, dont le chef et cinq de ses hommes devront rendre des comptes devant le tribunal militaire de Rennes au mois de janvier 1945. Tout commence à Saint-Médard, où une cinquantaine de jeunes gens tiennent un maquis FTP. La discipline y est très sévère. Le chef du groupe ayant menacé de peine de mort ceux qui ne la respecte pas, chacun s’y soumet. Un de ces résistants est marié avec une femme d’origine alsacienne, qui lui reproche de façon un peu trop véhémente de combattre l’armée allemande dans laquelle servent plusieurs de ses frères incorporés de force. Le maquis attaqué, elle est accusée d’avoir dénoncé le groupe aux Allemands et condamnée à mort par le chef avec, semble-t-il, l’accord du mari. Saisie par deux maquisards le 13 juillet 1944, elle est emmenée sur les lieux de l’exécution où elle doit être pendue. L’affaire se passe mal. La condamnée, découvrant ce qui l’attend, ne se laisse pas faire. Ses hurlements risquant d’attirer l’attention des Allemands cantonnés à proximité, les deux hommes étranglent la femme sur place en présence de son mari. Ce maquis n’étant plus sûr, le groupe se rend dans la forêt de Haute-Sève. Les femmes agents de liaison logent dans une ferme à proximité, les hommes cantonnent en forêt. Le chef du groupe ne tarde pas à constater que le maquis est également surveillé. Il est vrai qu’à ce moment, la Milice est très active dans la région de Saint-Aubin-du-Cormier. Déjà, le 24 juillet, un groupe de jeunes maquisards avaient abattus trois allemands lors d’une embuscade tendue au lieu-dit « Le Rocher » à Andouillé-Neuville. Quoi qu’il en soit, deux hommes et une femme sont à nouveau suspectés d’avoir dénoncé le groupe aux Allemands. Ils sont connus dans le pays pour leurs relations commerciales avec un nommé Zimmerman, qui ravitaille la Gestapo de Rennes en s’approvisionnant au marché noir, très florissant dans cette région qui n’était pas dépourvue de ressources. Un soir, deux maquisards qui partent en mission sont attaqués par les Allemands à proximité du cantonnement, ce qui confirme les soupçons du chef à l’égard des deux hommes, dont l’un est surnommé « Bec de puce », et de sa concubine. Du trafic à la délation, le pas est vite franchi, et les voilà eux-aussi condamnés à être pendus. Mais, le chef du maquis devant exécuter immédiatement un coup de main à Gosné, il donne l’ordre à ses hommes, s’ils ne le voient pas revenir à une heure fixée, de procéder à l’exécution eux-mêmes. Retardé à Saint-Aubin-du-Cormier, le chef constate à son retour que ses ordres ont été exécutés par trois maquisards. Le 31 juillet, les cadavres des deux hommes et de la femme se balancent aux branches des arbres de la forêt. Lors du procès au tribunal militaire, le commissaire du gouvernement, dans un réquisitoire très dur à l’égard des accusés, réclame la peine de mort contre le chef du maquis, lieutenant FFI, qui couvre ses hommes, expliquant qu’ils n’ont fait qu’exécuter ses ordres, et les travaux forcés contre les cinq autres. Plusieurs témoins louent la bravoure et le patriotisme de ces jeunes résistants. Après le témoignage d’un colonel de gendarmerie, lui-même résistant, le groupe est finalement acquitté. Quelques années plus tard, une contre-enquête sera effectuée. Elle met en évidence que l’accusation de dénonciation prononcée contre l’Alsacienne ne reposait sur rien de solide. Selon ses voisins, elle était incapable de dénoncer des patriotes. Et si les trois autres trafiquants n’étaient guère fréquentables, rien ne permettait de dire qu’ils étaient des indicateurs.

Les pendues de Monterfil
Germaine Guillard, Suzanne Lesourd, Marie Guillard
Si les précédentes pendaisons peuvent se comprendre, car commises dans un contexte de violences de guerre, celles effectuées dans le cadre de l’épuration extra-judiciaire après la Libération ne le sont plus du tout. Comment justifier en effet ce qui s’est passé le 4 août 1944 à Monterfil ? Trois femmes, qui travaillaient comme aides cuisinières dans un camp allemand situé sur la commune et dont le seul crime, pour d’eux d’entre-elles, serait d’avoir eu des faiblesses pour l’occupant, vont être arrêtées par des résistants, tondues, exposées sur la place du bourg puis exhibées dans les communes avoisinantes avent d’être pendues dans un bois puis enterrées sur place. Après avoir été longtemps étouffée, car mettant en cause le fils du maire de l’époque, un certain Oberthur, l’affaire a été largement relatée dans la presse l’été dernier. Le corps d’une des suppliciées, Suzanne Lesourd, attend toujours en effet une sépulture digne de ce nom. (Voir dans la communication suivante les articles consacrés à ce drame par L'Ouest-Journal )

Les pendaisons de soldats américains
Louis Guilloux, dans son roman O.K., Joe !, paru en 1976, raconte comment James Hendricks, un GI noir de 21 ans, a été jugé puis condamné à mort par un tribunal militaire américain où l’écrivain briochin officiait comme interprète. Alors qu’il était ivre, Hendricks voulait entrer dans une ferme de Plumaudan (22) où il avait repéré une jolie fille. Comme on ne lui ouvrait pas, il tire un coup de feu à travers la porte derrière laquelle se trouvait le père de la jeune fille, qui décède aussitôt. Dans son livre, Guillou met aussi en évidence la différence de traitement entre ce GI noir qui sera pendu le 24 novembre 1944, et un capitaine blanc, nommé Whittington, acquitté pour des faits similaires survenus à Landerneau.
Ces GI noirs sont tous issus d’unités d’intendance ou de transport. Autour de ces dépôts de l’armée US s’organise tout un trafic de cigarettes ou d’essence contre des bouteilles de calva ou de « goutte ». Si l’on ajoute à une certaine misère sexuelle le fait que ces hommes ne sont pas habitués à boire, les délits sont fréquents.
La Chronique Républicaine de Fougères article du 10 juillet 2014
Ainsi au Ferré, petite commune d’Ille-et-Vilaine, proche de la Manche, un agriculteur et sa fille voient arriver deux soldats noirs américains enivrés. Ils gravissent l’échelle de meunier pour accéder à la chambre où le père et sa fille se sont barricadés. Comme à Plumaudan, les deux GI font usage de leurs armes sur le palier. La jeune fille, touchée à la jambe, résiste à ses agresseurs et s’échappe en rampant, dans la nuit, jusqu’à une antenne médicale américaine. Blessé à la tête, le père réussit à prévenir le maire. Les deux soldats dorment encore dans la chambre lorsqu’on les retrouve toujours alcoolisés. Condamnés, les deux hommes sont pendus en public à Montours. La potence, sous laquelle est aménagée une grande trappe, provient du centre disciplinaire de l’armée américaine, situé au Mans. L’exécution terminée, les corps sont enveloppés dans un linceul puis la corde brulée.
Même agression sur fond d’alcool à Locmenven, en Guiclan (29), où un GI ayant trop bu s’en prend à une jeune femme, mère d’une fillette. Sans que l’on sache exactement ce qui s’est passé, ce soldat tire avec son arme. La jeune femme, atteinte au ventre, décèdera le 22 août 1944. Au terme d’une enquête menée par la police militaire américaine, le GI est condamné à mort et pendu en public le 27 décembre. Comme il est de règle dans l’armée américaine, les GI coupables de crimes contre des civils français sont en effet sanctionnés dans la commune où le crime a été commis. Le 21 janvier 1945, un GI condamné à mort pour viol est également pendu dans la cour de l'école des garçons de Saint-Sulpice-la-Forêt (35). Je n'ai pas réussi à savoir plus sur cette affaire. Si ce GI a été pendu dans cette école, c'est que son crime a été commis sur la commune. Je ne sais pas la couleur de sa peau. (Ajouté le 9 février 2016)
Il y aura une exception. Un autre GI noir, Charles Robinson, amène à son campement basé à Messac, une femme rencontrée au « Café des sportifs », situé sur le Mail et tenu par Henri Belunza, un joueur du Stade Rennais. Robinson s’est-il mépris sur la réalité de sa relation avec cette femme ? Toujours est-il qu’il la retrouve ensuite dans les bras d’un autre GI et la tue d’un coup de revolver le 1er avril 1945. Jugé par une cour martiale à Ploërmel les 18 et 19 avril, il est condamné à mort. Est-ce à cause du caractère particulier de cette affaire ou du fait que la victime n’était pas de la commune ? Robinson sera pendu le 28 septembre 1945 au centre disciplinaire du Mans. Il est inhumé au cimetière américain Oise-Aisne, dans la parcelle E. Dans cette même parcelle, située à l’écart et non reconnue officiellement, reposent les corps de 96 soldats américains, dont 80 noirs, classés sous l’étiquette « Morts indignes ». Ainsi donc, l’armée américaine pratiquait la ségrégation, non seulement au sein de ses unités, mais également devant les cours martiales où le châtiment variait selon la couleur de peau.