lundi 27 juillet 2015

Les pendues de Monterfil



Rarement une affaire n’aura autant suscité d’intérêt dans les médias que celle des trois pendues de Monterfil, tant ce drame cristallise à lui seul toutes les passions liées à l’épuration extra-judiciaire de la Libération. Ces femmes, connues pour « fricoter » avec les « Boches », comme l’on disait alors, ont vécu un « véritable calvaire » pour les uns, un « chemin de croix » pour les autres, tels les trois crucifiés du Golgotha. Suppliciées pendant trois jours, elles se verront même refuser l’assistance d’un prêtre, avant d’être pendues puis jetées dans un trou creusé au préalable, pour finir enterrées comme des bêtes, sans le moindre linceul ni cercueil ; victimes expiatoires des compromissions et lâchetés collectives de quatre années d'occupation. Dans une région à forte tradition catholique et conservatrice, la symbolique n’est pas anodine. Si l’on ajoute à ce drame le fait que son responsable n’est autre que le fils du plus gros notable de la commune, on comprendra que cette affaire soit longtemps restée un « sujet tabou », pour reprendre l’expression la plus souvent citée dans les commentaires. Passée la Libération, d'après le nouveau maire de la commune, Pierre Leborgne : « La population de Monterfil juge actuellement très mal M. Oberthur depuis la pendaison des trois femmes et dont il est inquiété dans l’affaire. M. Oberthur a eu une vie agitée jusqu’à présent. Je n’ai aucune vengeance contre lui. Il boit, ce qui le rend assez brutal. La famille Oberthur est propriétaire de plusieurs fermes à Monterfil et le père ayant été maire pendant plusieurs années, des renseignements précis sur l’inculpé sont très difficiles à obtenir. M. Oberthur, père, est très bien considéré. » Plusieurs autres dépositions confirment cette intempérance, accompagnée de violences. Autant que la tonte de ces femmes, malheureusement en usage dans les cas d'accusation de « collaboration horizontale », ce sont surtout leurs pendaisons, après un simulacre de procès, qui ont suscité la réprobation générale. Au lendemain de la Libération en effet, ces femmes ne présentaient plus aucun danger pour leurs bourreaux, qui n’étaient probablement pas ce que la Résistance a produit de mieux.
Il ne s'agit pas ici de mettre un terme définitif aux recherches de la vérité. Ma communication présentera bien des lacunes, mais un autre viendra après moi qui trouvera ce que je n'ai pu découvrir. Il est facile, et ça ne coûte pas cher, 70 ans après, de s’indigner contre les exactions commises par certains résistants. Il ne faudrait cependant pas oublier le contexte local très particulier de cette période de la Libération. Pour bon nombre d’habitants de la commune, la présence allemande au camp des « Chênes-Froids » ne présentait pas que des côtés négatifs. Les affaires marchaient bien. Ne pas oublier non plus que parmi les femmes qui s’affichaient publiquement avec l’occupant – cibles toutes désignées pour les résistants de la dernière heure en mal de virilité – certaines ne se contentaient pas de coucher. Elles parlaient aussi sur l’oreiller. Les tensions étaient alors exacerbées par quatre années d’occupation et d’exactions en tout genre commises dans la région contre la Résistance par les Allemands et leurs séides de la Milice. Il faut donc se garder, à partir du comportement injustifiable de quelques « patriotes », de jeter l’opprobre sur l’ensemble des FTP et FFI bretons.

Décembre 1943

Avant d’aborder ces sinistres journées, il convient au préalable d’évoquer une affaire qui s’est produite l’année précédente et dont les conséquences ne sont certainement pas étrangères à ce qu’il adviendra plus tard. En effet, le 12 décembre 1943, une altercation se produit au café Boucard, situé au lieu-dit des Quatre Routes à Iffendic, entre un groupe de patriotes et Germaine Guillard, accompagnée d’un soldat allemand avec qui elle semblait au mieux. Ces hommes sortaient d’un restaurant proche après un repas bien arrosé. Des coups et insultes furent échangés. D'après Mme Boucard : « Germaine Guillard aurait dénoncé Pierre Bobet. Suzanne m’était inconnue. Je suis certaine qu’elles devaient être rémunérées. Je ne suis au courant de rien des autres dénonciations. La fille Guillard s’est rendue en Allemagne m’a-t-on dit ? » Le lendemain, sept soldats allemands, accompagnés de Germaine Guillard, arrêtent Mathurin Ravaudet, négociant en bois de Montauban-de-Bretagne « Le 13 décembre 1943, la fille Guillard d’Iffendic s’est présentée chez moi en compagnie de sept boches. Étant absent, les Allemands ont fait ma femme monter dans leur camion pour venir me chercher à Saint-Méen-le-Grand. Les boches m’ont arrêté et conduit à la kommandantur de Monterfil où la fille Guillard a demandé à ce que je sois tué de suite, car elle craignait d’être tuée par la suite. » De Monterfil, Ravaudet est emmené à la Gestapo de Rennes puis écroué à la prison Jacques Cartier sans être interrogé « Je suis sorti de prison par l’intermédiaire d’une tierce personne. Les boches ont d’ailleurs reconnu que j’avais été dénoncé par méchanceté comme étant le chef de la Résistance de Montauban. » Deux semaines de prison pour avoir frappé un soldat allemand, l'homme s'en tire plutôt bien. Autre fait, et qui n’est pas sans lien avec cette arrestation, Marie Guillard, la mère de Germaine, avait fait l’objet d’une plainte déposée par Ravaudet pour vol de bois. Huit mois avant leur triste sort, il ne fait donc aucun doute que Germaine Guillard, dont les relations avec l’occupant, sous l’œil apparemment bienveillant de sa mère, ne sont un mystère pour personne dans la région, est dans le collimateur de la Résistance.


Mercredi 2 août

Le 2 août 1944, les Américains sont aux portes de Rennes depuis déjà deux jours et doivent faire face à la résistance d’une batterie allemande installée à Maison-Blanche. Une colonne de blindés contourne alors la ville par l’Ouest et se dirige vers Montfort-sur-Meu, puis Talensac, communes qui seront libérées le 3 août. Du côté des troupes d’occupation, l’heure du repli a sonné. C'est le cas au camp des Chênes-Froids, que les Allemands quittent en essayant d’y mettre le feu. 
Le camp des Chênes-Froids aujourd'hui
Ce mercredi 2 août à Monterfil « Le dernier Boche ayant à peine montré les talons, trois femmes furent arrêtées », écrira Le Journal de l’Ouest du 5 juin 1949. En effet, dans l'après-midi, un groupe de jeunes résistants procède à l’arrestation de quelques femmes employées au camp. « Les femmes en question ont été arrêtées en pleine clandestinité, et non après l’arrivée des troupes alliées. Elles ont été emmenées dans notre maquis situé au lieu-dit « Le Bout » en forêt de Paimpont pour être questionnées sur leur action anti-française » déclare pourtant Louis Oberthur, chef de la résistance locale depuis son retour de captivité. Avant-guerre, Louis Oberthur a fait partie de
« Solidarité française », une des ligues d'extrême-droite fondée par François Coty dans les années trente. Il est ensuite mobilisé « Á l’âge de 40 ans, j’ai été combattant volontaire au 25e GRDI. Je crois m’être comporté en bon Français ayant été cité à l’ordre du GRDI. 19 mois de captivité. Résistance au camp en Allemagne, refus de travail. Retour en France et organisation immédiatement de la Résistance dans ma région pour le salut et la gloire de la patrie » Fortuné, n’étant pas soutien de famille, ce prisonnier a beaucoup de chance, ou bénéficie de bonnes relations pour être ainsi libéré. Par contre on ne sait pas réellement la date de son entrée effective dans la Résistance, à savoir avant ou après le débarquement du 6 juin : « Revenant d’Allemagne où j’étais prisonnier, en janvier 1942, j’ai décidé de continuer la lutte et à remplir mon devoir de français. Une occasion m’était offerte, habitant une région où la Gestapo et la Milice française menaient une grande activité, j’ai décidé de former un groupe de Résistance. Ce groupe devenait peu à peu plus important. A la Libération, il était environ d’un bataillon. J’étais chef de ce groupe de Résistance. Dans le courant de l’année 1944 un responsable de départemental de la Résistance, Costes, a pris la direction de ce groupe que je commandais en second. Nous avons pris part à de nombreux actes de Résistance, notamment en forêt de Paimpont. Nous nous sommes livrés à la guérilla et nous prenions part à des opérations de campagne. Malheureusement, de mauvais patriotes, des femmes notamment, ayant des attaches avec la Gestapo, se sont évertuées à mettre en échec notre action. Ces femmes sont : les nommées Simone Guillard, la dame Guillard sa mère, et une demoiselle Suzanne. Ces femmes qui volontaires pour le travail en Allemagne, ont fait un séjour dans ce pays, sont revenues quelque temps après dans la région de Monterfil, munies de papiers allemands attestant leurs attaches avec la Gestapo. Ces femmes ont menées leur action contre nous d’une façon active. A plusieurs reprises elles ont dénoncé à la Gestapo et à la Milice notre groupe qui a été obligé de se déplacer plusieurs fois pour échapper aux recherches de la Gestapo et de la Milice. Notre groupe a failli être mis en pièce à Lignières-la-Doucelle où nous avions été appelés en renfort. La vie de notre groupe devenait impossible par suite de la dénonciation de ces femmes, qui ont également dénoncé nominativement moi-même, ma sœur et une dizaine d’autres camarades dont André Leclerc, lequel saisi par la Milice a été martyrisé. S’il y avait un mot plus fort il faudrait l’employer. Voici les souffrances qu’a dû endurer Leclerc : on lui a arraché les testicules, perforé le nez avec un fer rouge, on lui a enfoncé un caque chauffé à blanc sur la tête, on lui a arraché les ongles… Pour honorer la mémoire de ce martyr, mon groupe s’est appelé le groupe Leclerc et nous avons tous fait le serment de le venger. Nous avons juré de nous saisir de ces femmes et leur faire payer un juste châtiment. Le lieutenant Tacail, actuellement à l’État-Major de la XIe Région Militaire pourra vous confirmer ce serment. Cinq ou six jours avant la Libération, c’est-à-dire vers la fin du mois de juillet, profitant que les Allemands relâchaient un peu leur surveillance du fait de leurs préparatifs de leur départ, j’ai commandé à quatre de mes hommes dont Roger Rahier, Bobet, Raffat, d’aller arrêter ces femmes. De ces hommes je connaissais seulement l’adresse de Bobet, agent d’assurance à Montauban-de-Bretagne, et de Roger, actuellement à Châteauroux, Maréchal des logis chef. L’opération a réussi, ces femmes ont été arrêtée et emmenées dans la forêt de Paimpont au lieu-dit « Le Bout ». Je n’étais pas là au moment où ces femmes ont été emmenées à mon PC. J’en ai été informé par des agents de liaison. » Oberthur, qui a une vision assez élastique du calendrier, sait très bien que l’arrestation de ces suspectes n’aura pas le même sens devant ses juges selon qu’elle a été effectuée « dans la clandestinité », avec tous les risques que cela comporte, et dans ce cas il s'agirait d'un enlèvement, plutôt que la veille de la Libération dans un camp pratiquement déserté par ses occupants. C’est donc Pierre Bobet, accompagné de Paul Toquel et d’un certain Crestaud, qui est chargé de l’arrestation. Mais lui aussi est assez flou sur la date « En juillet août je reçu un ordre du lieutenant de procéder à l’arrestation de cinq femmes travaillant au camp, dont Mme Guillard et sa fille. J’ai remis Mme Guillard et sa fille aux gendarmes de Montfort, le lendemain de l’arrivée des Américains. Quant à Mme Suzanne je ne connais pas cette femme et je ne me suis pas occupé d’elle. Je n’ai pas assisté aux assassinats, j’étais au Perray » Le village du Haut-Perray, en Iffendic, sur la route de Saint-Péran à Saint-Gonlay, est tout proche du lieu-dit Le Bout, situé en Paimpont. L’endroit est discret et la ferme de M. et Mme Cailleux sert de refuge aux maquisards locaux. C’est donc là que sont amenées les femmes le mercredi après leur arrestation, comme le rappelle L’Ouest-Journal « Germaine Guillard s’était défendue contre les coups qui lui avaient été portés et ses vêtements étaient déjà fort mal en point. Elle fut longuement interrogée, et l’un de ceux qui devaient, 48 heures plus tard, la pendre après l’avoir martyrisée, raconte aujourd’hui – et l’écho nous en est revenu – qu’elle avoua avoir vendu 17 patriotes. Mais si l’on demande à ce héros marseillais d’indiquer le nom d’un seul français « vendu » par Germaine Guillard, et que les Allemands auraient fusillé, ou envoyé en camp de concentration dont il serait ou non revenu, l’homme est pris de court, sa mémoire est infidèle et il ne peut donner le moindre nom (…) Germaine passa la nuit au poste du Haut-Perray. Au matin du lendemain, jeudi 3 août, Mme Cailleux lui donna à manger. La fermière assure qu’en sa présence, la prisonnière ne fut pas molestée. »


Jeudi 3 août

Pendant ce temps, à Rennes, se déroule un autre drame. Vers 4 heures du matin, des hommes et des femmes, l'honneur de la Résistance, sont chargés dans les wagons à bestiaux du dernier convoi de déportation, qui descend non loin d'ici, le long de la Vilaine, où il arrivera à Redon vers 8 heures. Au même moment, Marie Guillard est arrêtée chez elle, au Pignon Broutu en Iffendic, par Pierre Bobet et Paul Toquet, qui l’emmènent au Haut-Perray. La mère et la fille vont être interrogées toute la journée. Il faut reconnaitre que les faits reprochés par Oberthur aux prisonnières sont particulièrement graves « Les femmes qui furent exécutées à Iffendic faisaient partie de la Gestapo. Elles travaillaient au camp allemand de Monterfil et dénoncèrent plusieurs patriotes dont ma mère et ma sœur. Pour ces raisons nous fument obligés de nous éloigner du pays, craignant d’être arrêtés. A plusieurs reprises nous avons essayé de nous emparer de ces femmes, et quelques jours avant l’arrivée des Américains, nous y sommes parvenus. Après interrogatoire, elles furent conduites à la prison de Montfort où devant l’adjudant de gendarmerie et les gardiens de la prison elles avouèrent faire partie de la Gestapo. Elles avouèrent également m’avoir dénoncé, ma sœur Jacqueline et d’autres patriotes, une dizaine environ. De la prison, elles furent ramenées au camp FFI de Monterfil où elles furent exécutées par pendaison. Mes dires seront confirmés par plusieurs rapports dont la plupart sont en ma possession. » La mère de Louis Oberthur fut certainement une patriote, mais cela devait être lors de la Première guerre mondiale, puisqu’elle est décédée en…1924. Quant au séjour en Allemagne, suivi d’un enrôlement à la Gestapo, inutile de dire que ces accusations sont sans fondement. Nous disposons aujourd’hui d’une liste très précise d’agents de la Gestapo de Rennes, et le nom des femmes Guillard n’y figure pas. En fin de journée, les deux femmes sont emmenées à la prison de Montfort par Ravaudet, qui n’a probablement pas oublié son séjour à Jacques Cartier « Le 3 août 1944, jour de l’arrivée des troupes américaines à Montfort, je me suis mis à la recherche de la fille Guillard et de sa mère. A mon arrivée à Iffendic, j’ai appris que ces femmes avaient été arrêtées par la Résistance de cette commune dont le chef était M. Blancard et qu’elles se trouvaient au Perray. La Résistance d’Iffendic a réquisitionné l’autocar de M. Dalibot ou Guillorel et avec ce véhicule je me suis rendu au Perray. Plusieurs personnes m’accompagnaient : Bobet, Lemaitre Auguste de Montauban, Cocheu, Guillorel et Huchet d’Iffendic ; d’autres membres de la Résistance que je ne connais pas ainsi que les gendarmes Juvénal et Garrault de Montfort. Nous avons pris ces deux femmes dans notre voiture et les avons conduites à la prison de Montfort. Je ne me suis plus occupé d’elles par la suite. Quelques jours plus tard, j’ai appris que Mme Guillard et sa fille avaient été pendues ainsi que Mme Suzanne. Je vous affirme que je ne suis pour rien dans ces assassinats et je ne puis vous donner aucun renseignement permettant d’en découvrir les auteurs. J’ajoute que la fille Guillard a avoué en présence des personnes qui se trouvaient avec moi lors de mon arrestation, qu’elle avait participé à la dénonciation du fils Leclerc de Talensac qui fut assassiné par les miliciens et que c’était sa 25e dénonciation. » La mère et la fille parties, quatre femmes, dont Suzanne Lesourd, prennent leur place sous la remise du Haut-Perray. Á cet instant, force est de constater qu’il n’y a pas, de la part de Ravaudet, de volonté de soustraire les femmes Guillard à la légalité. Comme dans bien d’autres cas d’épuration, c’est encore en prison que ces femmes étaient le plus en sécurité. Oberthur, qui n’était pas présent au Haut-Perray, se rend à la prison de Montfort « Elles ont été interrogées sur le champ, puis le jour de la Libération elles ont été conduites à la prison de Montfort. C’est là où je suis allé voir ces femmes, le jour de la Libération. Lorsqu’elles ont été interrogées en ma présence, présence de l’adjudant-chef de gendarmerie commandant la brigade de Montfort ainsi que les gendarmes de la brigade, le gardien-chef de la maison d’arrêt et les hommes ayant procédé à l’arrestation. Toutes les trois ont reconnu avoir appartenu à la Gestapo et dénoncé les patriotes de mon groupe. C’est l’adjudant-chef de gendarmerie qui les a interrogées. Simone Gaillard a encore reconnu avoir dénoncé Leclerc, mais elle n’était pas seule coupable de cette dénonciation, le milicien Geffroy en ayant sa part de responsabilité. Toutes les trois ont reconnu avoir dénoncé ma sœur et moi-même au commandant du camp allemand de Monterfil. Elles m’ont dénoncé comme possédant un poste émetteur, ce qui d’ailleurs était exact. D’ailleurs cette dénonciation pourra vous être confirmée par une employée française du camp allemand, résistante, appelée madame Albert. Je ne sais actuellement l’adresse de cette femme, mais son mari était chauffeur du capitaine Jubin de la 19e DI. » Oberthur se trompe encore, il n’y avait pas trois femmes à la prison, mais deux. Quant à l’adjudant-chef Quéméner, il se serait contenter d’assister à l’interrogatoire « Il est exact que dans la nuit du 3 au 4 août 1944, me trouvant à la maison d’arrêt de Montfort pour l’identification de huit  Allemands, j’ai été appelé par Oberthur, lieutenant de la Résistance, pour assister à l’audition de femmes qui m’étaient inconnues. Néanmoins, au cours de l’interrogatoire par Oberthur, j’ai compris qu’il s’agissait de la mère et de la fille, aux demandes directes par Oberthur à l’effet de savoir laquelle avait dénoncé plusieurs patriotes dont Ravaudet, Oberthur et d’autres noms que je n’ai pas retenus. La mère a reconnu la dénonciation de certains et la fille de certains autres. Elles se rejetaient réciproquement les torts concernant les dénonciations (une douzaine) dont Ravaudet, Oberthur et sa sœur. J’ai appris le lendemain qu’il s’agissait de Mme Guillard et sa fille, lesquelles ont été extraites le lendemain de la prison de Montfort par Oberthur qui les a conduites au camp FFI de Monterfil. » Quéméner pensait-il que ces femmes ne risquaient plus rien, la commune étant libérée ? Lui a-t-on fait croire qu’elles seraient livrées à la justice ? Était-il complice d’Oberthur ? On n’en saura rien, mais c’est bien lui qui remet ces femmes à Oberthur « Á la suite de l’interrogatoire, l’adjudant de gendarmerie m’a dit que ne possédant pas de mandat d’arrêt contre ces femmes, il ne pouvait les conserver plus de 24 heures et qu’il était alors obligé de me les remettre. J’ai donc été amené à prendre une décision à leur encontre. Devant Costes, actuellement commandant à l’État-major de la XIe Région, Raffat (Maifray ?), j’ai proposé, je l’avoue, l’exécution sur le champ de ces trois femmes. Cette décision a été acceptée par les responsables de la Résistance susnommés. Je me suis chargé de l’exécution de cette décision. J’ai conduit dans ma voiture hippomobile ces femmes, de la prison à Monterfil, un nommé Émile (Il doit s'agir de Jouet) les gardait. »

Lors de son audition, Oberthur sera interrogé sur sa décision de ramener ces femmes à Monterfil
Demande : « Pourquoi n’avez-vous pas livré ces trois femmes à la justice régulière puisque le territoire venait d’être libéré ? » 
Réponse : « Nous étions en pleine désorganisation et en pleine effervescence. Ces femmes comme je vous l’ai dit venaient de m’être remises par la gendarmerie et je ne pouvais les conserver. En outre j’avais juré de venger Leclerc, victime de l’exaction néfaste de ces femmes que je considérais comme des ennemies, des allemandes, et je me croyais autorisé à les abattre puisque nous étions en guerre. »


Vendredi 4 août

Ce vendredi 4 août donc, à l’heure du laitier, la voiture hippomobile d’Oberthur, dans laquelle ont pris place Germaine Guillard et sa mère, arrive à la ferme du Haut-Perray où Suzanne Lesourd et trois autres prisonnières sont encore sous la remise. Que s’est-il passé à ce moment ? Ces femmes sont-elles de nouveau interrogées ? Probablement. D'après un résistant, Paul Toquet et Pierre Bobet, qui connaissaient les femmes, ont essayé de les défendre, mais en vain. Autre déposition, à prendre avec beaucoup de précaution, celle d’un certain Georges Portrait qui cite Suzanne Lesourd. Cela n’a donc pas pu se passer à Montfort « Le 4 août 1944 dans la matinée, trois femmes qui avaient été arrêtées par la Résistance ont été interrogées en ma présence. Il s’agit de Mme Guillard et sa fille, plus Suzanne. Les deux d’Iffendic ont avoué avoir fait partie du parti dit des « Chemises bleues » et avoir fait arrêter plusieurs français par les Allemands. Les deux femmes Guillard accusaient Suzanne d’avoir livré des Français aux Allemands. Elles l’invitaient à dire la vérité en lui disant : « Avoue donc puisque tu as fait comme nous et que tu étais avec nous ». Suzanne n’a jamais avoué.  Les trois  femmes ont été emmenées après l’interrogatoire vers huit ou neuf heures par les FFI et M. Oberthur qui conduisait la carriole. On m’a dit qu’on les emmenait à Monterfil, au camp. Deux ou trois jours plus tard, j’ai su que ces trois femmes avaient été pendues. Je ne me souviens pas si ces femmes ont avoué avoir dénoncé M. Oberthur et sa sœur. » Les « Chemises Bleues » sont un mouvement de jeunesse du Parti Franciste, réputé pour sa violence. Là encore, nous disposons de 266 fiches individuelles d’adhérents de ce parti récupérées par le CDL. Il n’y a aucune fiche au nom de Guillard. Quoi qu’il en soit, les trois autre femmes sont relâchées. Restent donc Germaine Guillard, sa mère, et Suzanne Lesourd qui arrivent à Monterfil vers neuf heures, tondues et le visage tuméfié, pour être exposées sur la place du bourg jusqu'à 13 heures. Ces malheureuses vont à nouveau être chargées dans la carriole puis exhibées dans les villages environnants. Il faut croire que les témoins sont devenus amnésiques puisque ce pitoyable périple ne figure pas dans les dépositions. Quoi qu’il en soit, la charrette d'infamie revient au village en fin d'après-midi « Arrivé à Monterfil je me suis fait accompagner de dix hommes et les ai conduits dans un bois à proximité. Jusque-là je n’avais pas dit aux femmes que j’allais les exécuter. Elles devaient bien s’en douter cependant. Arrivés sur les lieux du supplice je leur ai dit : « Avez-vous une prière à faire et une dernière volonté à exprimer. Vous allez mourir » Elles n’ont rien répondu. Les femmes n’ont pas même bronché. Elles ne paraissaient même pas émues. J’avais au préalable fait préparer des cordes fixées à des arbres et creuser trois tombes. Á un commandement de ma part, les femmes ont été pendues. L’exécution s’est passée sans que ces femmes expriment la moindre plainte. Vingt minutes après, lorsque j’ai eu la conviction que ces femmes avaient vécu, j’ai commandé au maréchal des logis chef Royer (Lire plutôt Rahier, maréchal-ferrant) de procéder à leur inhumation. Quant à moi j’étais parti ne pouvant voir plus longtemps un tel spectacle qui m’écœurait bien que j’eusse la conviction d’avoir accompli mon devoir. J’estime que cette exécution a eu lieu d’une façon aussi humaine qu’il était possible. » Oberthur est interrogé par le juge d’instruction : « Il résulte cependant d’une déclaration du sieur Guillard, mari d’une des victimes, qu’avant l’exécution ces femmes ont été frappées et meurtries de coups et que le ministère d’un prêtre et les secours de la religion qu’elles réclamaient leur a été refusé en ces termes « Le curé, il peut courir, vous avez vécu comme des chiennes, vous crèverez comme des chiennes ». Réponse : « Ceci est totalement faux. Je l’affirme en toute sincérité. Je me demande comment Guillard peut rapporter de telles paroles qui n’ont jamais été prononcées, et que mes hommes n’ont certainement pas inventées. » Nous savons que l'abbé Detoc, curé de Monterfil, est intervenu auprès du père de Louis Oberthur, qui l'a rassuré en lui disant qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète. Á la fin de son audition, Oberthur déclare au juge : « En qualité de lieutenant de l’armée Française, je déclare prendre toute la responsabilité de la pendaison de ces trois femmes et je désire que nul autre ne soit inquiété. Un bataillon entier peut venir, le cas échéant, commandant en tête, témoigner sur cette exécution. » La suite de ce qui s'est passé dans ce qui deviendra le « Bois maudit » est connue. Je ferai donc grâce au lecteur des détails sordides de ces pendaisons.
Le Bois maudit après les recherches infructueuses de Suzanne Lesourd
Rappelons toutefois qu'après ce drame, d’autres personnes de la région, suspectées de collaboration, dont des femmes déjà tondues, vont être amenées au château Oberthur pour y être interrogés par les FFI, dont Émile Jouet, de la compagnie du capitaine Jubin, arrivée le 4 août à Monterfil, alors que le sort des trois femmes était déjà scellé. Dans  un témoignage d'après-guerre, Émile Jouet, affirme qu'aucune femme n'a été tondue ou frappée lors de ces interrogatoires. Dans l'article de L'Ouest-Journal reproduit plus bas, Bobet déclare pourtant que c'est Jouët qui menait les interrogatoires du Haut-Perray le 2 août. Les personnes retenues au château seront ensuite dirigées vers le camp Margueritte à Rennes. C'est là que des accusations ont été portées après-guerre contre les FFI par deux collaboratrices de la région. Ce témoignage de seconde main a été recueilli par l'épouse d'un milicien recherché et qui sera confondu par erreur avec M. Guillard, auprès d'une dénonciatrice de Montfort-sur-Meu, chez qui ont été trouvés des documents allemands, et qui sera elle-aussi confondue par erreur avec Suzanne Lesourd. Le capitaine Jubin était à Rennes lorsque les trois femmes ont été pendues et a toujours dit après-guerre qu'il n'aurait pas laisser faire cela s'il avait été à Monterfil ce jour-là.


Documents annexes

Supérieur hiérarchique de Louis Oberthur, qui le cite à plusieurs reprises, le commandant Noël Costes (FTP) n'a d'autre choix que de couvrir son subalterne, mais prend bien soin de rappeler que n'étant pas là, il n'a rien vu ni rien entendu « J’étais chef départemental de la Résistance et j’avais sous mes ordres Oberthur qui commandait la compagnie de Monterfil. J’avais par conséquent des relations constantes avec lui. J’avais été mis au courant de l’action néfaste de la dame et de la demoiselle Guillard, la demoiselle Suzanne. Je ne suis pas certain que celles-ci appartenaient à la Gestapo, mais elles ont dénoncé des jeunes gens de la Résistance. C’est l’une d’elle qui a dénoncé le résistant Leclerc qui a été martyrisé par la Milice. Depuis déjà longtemps, environ un mois avant la Libération, j’avais ordonné l’arrestation de ces trois femmes et leur jugement. En sommes l’arrestation qui a été pratiquée sous le commandement d’Oberthur l’a été suivant mes directives. Je n’étais pas présent ni au moment de leur arrestation ni au moment de leur exécution. Ce n’est que le 7 août à Rennes que j’ai appris soit par Oberthur, soit par (illisible) que ces femmes avaient été arrêtées et exécutées.

- Demande : Cependant il résulte des déclarations faites par Oberthur lors de son interrogatoire de 1ère comparution en date du 27 juin 1945 et dont je vous donne lecture que vous étiez présent à Montfort quelques heures avant l’exécution de ces femmes et que Oberthur ayant proposé cette exécution vous aurait demandé votre assentiment ?

- Réponse : Il y a erreur. Je n’étais pas présent à Montfort à cette date. Je maintiens mes déclarations précédentes. Mais je sais que la décision de cette exécution a été prise d’accord avec (nom illisible), Tacail, le lieutenant Méhaye et deux ou trois autres, tous chefs de la Résistance qui formaient une sorte de conseil de guerre.

- Demande : Savez-vous quelque chose au sujet de l’exécution en elle-même ? Les victimes dont il s’agit ont-elles été torturées ?

- Réponse : Je ne sais absolument rien de l’exécution en elle-même. Je n’ai jamais entendu dire qu’elles avaient été torturées. Je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait eu à les torturer avant de les exécuter. En résumé cette exécution me semble entièrement justifiée. En tous cas l’arrestation a eu lieu conformément aux ordres que j’avais donnés, en outre l’exécution a été décidée par un conseil de guerre régulier puisqu’il était composé de tout l’état-major de la Résistance de la région sauf moi.

Il y avait un C.O. qui était (illisible, commissaire aux opérations). Avant de partir pour Rennes je lui avais délégué tous mes pouvoirs. Ensuite il y avait un C.T. (commissaire technique) lieutenant Méhaye. Je n’avais pas à être présent ni à l’exécution ni au jugement. Si j’avais été là je ne sais pas si j’aurai changé la solution. En tous cas je vous affirme que s’il est exact qu’elles ont reconnu être responsables de la mort de Leclerc, je n’aurai pas hésité à les faire exécuter. Cependant, si j’avais été là il est possible que j’aurai peut-être pris la décision de livrer ces femmes à la justice régulière. Toutefois en raison des circonstances, je comprends la décision prise et mise à exécution d’autant plus qu’elle l’a été par des responsables de la Résistance qualifiés. »


S’il ne fait aucun doute, dans cette affaire de Monterfil, que les femmes Guillard ont dénoncé aux Allemands le groupe de patriotes présent au café Boucard en décembre 1943, arrestation qui se terminera heureusement sans déportation ni victimes, l’accusation la plus grave, et qui revient le plus souvent pour justifier l’exécution de ces femmes, reste la dénonciation d’André Leclerc, jeune résistant de Talensac, martyrisé par la Milice. Le lieutenant René Tacail, déjà cité, a également été auditionné « Dénonciation de nombreuses personnes ainsi que Ravaudet, moi-même, Rayer et un électricien appelé « Joé ». Je n’ai pas la certitude qu’elles ont dénoncé Leclerc. Je ne sais pas si ces femmes appartenaient à la Gestapo. Nous devions venger Leclerc. Cette exécution est justifiée (rapport adressé au général Allard). Deux « collabos » ont fait l’objet d’une enquête à ce sujet après la Libération : Gaston Jehannin, de Talensac, et André Geoffroy (Qui n’a rien à voir avec son homonyme du Bezen Perrot). Ils sont tous les deux membres du Parti National Breton. Jehannin fait du marché noir et livre du cidre à la Milice au lieu-dit La Croix-Rouge à Rennes. La veille de l’arrestation de Leclerc, il a vendu un fut de cidre à Schwaller, le chef de la Milice. Il a également été vu à la Croix-Rouge le jour de l’arrestation. D’après un rapport de police « Leclerc a dû être dénoncé par quelqu’un du village. Beaucoup de faits désignent Jehannin ». Marie-Louise Haudoin, qui est la secrétaire d’Alain de Saint-Méloir, délégué régional de la LVF, déclare avoir entendu de Saint-Méloir dire à Schwaller : « Jehannin m’a parlé d’un nommé Leclerc de Talensac. Vous n’avez qu’à aller là-bas, vous aurez d’autres renseignements. Le soir même Leclercq était arrêté puis fusillé » André Geoffroy, agent recruteur du PNB, est également membre de la LVF et de la Milice « Leclerc a été arrêté le 17 juin vers 21 heures par Schwaller et le milicien Le Guennec. Dans la nuit des miliciens sont venus à Talensac en voiture et ont arrêté Clément Villoury et Henri Gloux. André Leclerc était assis dans la voiture. Il en fut extrait, il avait la mâchoire brisée et ne tenait plus debout. Il a été trainé par les cheveux sur la route. » D’après lui « Leclerc avait été arrêté parce que son nom avait été trouvé par Schwaller sur un autre jeune arrêté auparavant ». Mais comme souvent dans ce genre d’affaire, personne ne peut dire avec certitude qui a dénoncé le jeune homme. Les preuves manquent. Jehannin, Geoffroy, Haudoin seront bien confrontés, mais tous maintiennent leurs déclarations. Accuser les trois pendues de Monterfil d’avoir dénoncé le jeune Leclerc ne repose donc sur rien de solide. Les procès-verbaux des auditions ou dépositions étant manuscrits, des erreurs de ma part dans la retranscription des patronymes sont possibles.


Sources

- Déposition d’Oberthur à la gendarmerie de Plélan-le-Grand, 3 mars 1945.

- Audition d’Oberthur par le Tribunal Militaire Permanent de la XIe Région de Rennes, 5 mai 1945 et 27 juin 1945.

- Audition de Costes par le Tribunal Militaire Permanent de la XIe Région de Rennes, 2 juillet 1945.

- Auditions de Ravaudet et Bobet, 26 mars 1945 ; Quéméner, 17 avril 1945 ; Portrait, 11 avril 1945 ; Tacail, 3 juillet 1945 ; Boucard, 10 juillet 1945 ; Leborgne, 5 juillet 1945.

- Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine, dossiers d'instruction Cour de Justice.

- Archives de Rennes, fichiers des partis collaborationnistes du CDL.

- Articles de L’Ouest-Journal.

- Témoignages de M. Maxime Le Poulichet et M. Émile Jouet, anciens résistants FFI.
L'Ouest-Journal
Cette affaire de Monterfil a fait l'objet de très nombreux articles dans L'Ouest-Journal, et qu'il n'était pas possible de tous reproduire. J'en ai toutefois retrouvé trois qu'il m'a semblé intéressant d'ajouter à mon exposé. Le premier, en date du 2 avril 1950, met en évidence les contradictions des principaux protagonistes cinq ans après leurs premières dépositions. Dans le deuxième article, en date du 4 juin 1950, ce sont les deux fossoyeurs qui ne sont pas d'accord entre eux. Ils sont pourtant des témoins essentiels puisqu'ils ont assisté aux derniers moments de ces pendaisons. Même le gendarme Quéméner, qui jurait avoir simplement assisté aux interrogatoires de la prison de Montfort dans son audition de 1945, déclare le 13 novembre 1949 que c'est lui qui avait procédé à l'interrogatoire. Lorsqu'on lui fait remarquer que ces femmes auraient du rester en prison jusqu'à l'ouverture d'une instruction judiciaire et pourquoi a-t-il pris sur lui cette effroyable responsabilité, il répond que ces femmes étant en prison et non à la gendarmerie, il n'avait aucune responsabilité dans la livraison de femmes aux résistants.
Le dernier article sélectionné, en date du 24 décembre 1950, m'a semblé également intéressant après les recherches infructueuses des ossements de Suzanne Lesourd le mois dernier dans le "bois maudit". Il apparait clairement en effet que lors de l'exhumation réalisée au mois de décembre 1950, seuls les cadavres des femmes Guillard ont été retirés des fosses du bois Oberthur. Le journaliste qui a assisté à cette exhumation est formel : les deux corps ont été mis dans un cercueil pour être inhumés à Iffendic, où il devrait être possible de les retrouver. En aucun cas ces ossements n'ont été mélangés avec ceux de Suzanne Lesourd. Sa famille n'ayant officiellement pas fait de demande d'exhumation, on peut donc logiquement penser que les restes de Suzanne Lesourd sont toujours dans le bois.