vendredi 16 octobre 2015

La collaboration à Rennes


La collaboration politique
Quatre jours après l’arrivée des Allemands, un Rennais fait une discrète entrée en ville et prend possession d’une villa réquisitionnée au 20, rue Waldeck-Rousseau, où il installe sa garde rapprochée. Il s’agit de Fransez Debauvais, le chef du Parti National Breton (PNB), réfugié en Allemagne après la dissolution du parti par Daladier en 1939. Situation inédite, dans une ville occupée, d’un nationaliste condamné à mort pour trahison, ramenant dans les fourgons nazis une centaine de prisonniers bretons libérés des stalags par les Allemands. Pour l’heure, Debauvais ne doute pas un seul instant que le Reich victorieux va accorder son indépendance à la Bretagne. On sait ce qu’il en adviendra après l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940. Pétain entrant « dans la voie de la collaboration », Hitler n’avait plus aucun intérêt à remettre en cause l’unité territoriale française.
Archives de Rennes
En cette première année d’occupation, il y a bien quelques actes isolés de résistance, mais ils sont rares et vite réprimés. Marcel Brossier sera le premier patriote rennais fusillé à la Maltière, le 17 septembre 1940. Globalement, la population est plutôt pétainiste, ce qui n’implique évidemment pas une adhésion au national-socialisme. Pratiquement tous les partis collaborationnistes autorisés par les Allemands en zone occupée ont une permanence dans la capitale bretonne, devenue préfecture de région et siège d’une importante administration de guerre allemande. Combien de personnes, que l’on désignera plus tard sous le terme de « collabos », vont franchir le pas d’une adhésion ? Des fiches individuelles, établies par la police de Vichy en 1943, permettent de se faire une idée assez précise de la réalité de la collaboration à Rennes et en Ille-et-Vilaine. Encore qu’à cette date, bon nombre d’adhérents, sentant le vent tourner, ont déjà démissionné.
Sur le spectre des partis collaborationnistes, le Parti National Breton occupe assurément une place à part. Convaincu que la Bretagne finira bien par trouver sa place dans « L’Europe nouvelle », les nationalistes bretons vont développer leur propagande anti-vichyste sous la bienveillante protection des autorités d’occupation. 
Bagadoù Stourm, 11 décembre 1941, Kerfeuteun
C’est le premier parti autorisé par les Allemands à Rennes. Dès juillet 1940, son journal L’Heure Bretonne s’affiche au premier étage de l’immeuble situé à l’angle de la rue d’Estrées et de la place de la Mairie, qui deviendra place du Maréchal Pétain le 22 janvier 1941. Le siège régional occupe de vastes bureaux quai Lamartine, alors que la permanence départementale est située au 4, rue de Toulouse. D’après les fiches de police, le PNB compte 206 adhérents en Ille-et-Vilaine, sans compter les sympathisants.
Nous disposons d'un fichier très précis de 3 000 abonnés à L'Heure Bretonne. Le parti dispose également d’un mouvement de jeunesse d’une centaine de membres : les « Bagadoù Stourm », reconnaissables à leurs uniformes noirs et cravates blanches.
Autre spécificité rennaise, la forte présence du groupe Collaboration, dont L’Ouest-Éclair du 15 novembre 1941 annonce l’ouverture d’une permanence au 4, rue Du Guesclin, suivie d’une conférence donnée par Alphonse de Châteaubriant au Théâtre municipal : « Devant une salle comble, l’orateur souligne les nécessités du rapprochement franco-allemand. Dans la salle, on remarque le préfet et Bahon-Rault, conseiller national, président de la Chambre de commerce ». Il ne s’agit pas d’un parti politique à proprement parlé et la double appartenance est fréquente. Le recrutement du groupe est nettement élitiste : Pierre Sordet, directeur de « L’Économique » ; René Guillemot, des « Nouvelles Galeries » ; Pierre Arthur, de L’Ouest-Éclair ; le peintre Louis Garin, etc. La section économique de Collaboration permet en effet de très juteux contacts commerciaux avec les Allemands. Parmi les 304 adhérents, on trouve également de nombreux commerçants, souvent en situation de dépendance à l’égard de l’occupant. 
Le groupe dispose de sa section de jeunesse d’une cinquantaine de membres : « Les Jeunes de l’Europe Nouvelle », parmi lesquels on remarque le jeune lycéen Christian J. Guyonvarc’h, qui rejoindra la Bezen Perrot, et sa future épouse Françoise Leroux.
L’époque est aux « Partis uniques et chefs suprêmes ». Ceux-ci ont tous pignon sur rue, le plus souvent dans un local « aryanisé ». Le Rassemblement National Populaire, dont les bureaux sont situés au 1, quai Lamennais, est bien implanté en ville avec 143 adhérents d’après les fiches de police. Un autre fichier, retrouvé au siège du parti à la Libération indiquera 335 membres pour l’Ille-et-Vilaine. À l’image de son chef Marcel Déat – un normalien, ancien député de la SFIO issu de la petite bourgeoisie républicaine – le RNP recrute surtout parmi les fonctionnaires, employés ou enseignants. 

Camp des JNP
Le parti dispose également d’une section d’environ 70 jeunes : « Les Jeunesses Nationales Populaires ».
Moins implanté à Rennes, le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot, tient permanence au 6, rue Du Guesclin. La police a établi 114 fiches, dont une bonne partie sur Saint-Malo. Cultivant le culte du chef d’un « pays totalitaire », plus actif que le RNP, le PPF séduit les jeunes, mais aussi les classes moyennes avec aussi bien d’anciens militants du PCF que de l’Action Française. Passant ses vacances au Val-André, le « Grand Jacques » a la sympathie des autonomistes, auxquels il assure que la Bretagne aura sa place « Dans un France fédéraliste au sein d’une Europe fédérale ».
On retrouve pratiquement le même effectif, avec 111 fiches de police, pour Le Francisme, dont le chef Marcel Bucard vient en personne inaugurer la « Maison bleue », située au 13, rue du Chapitre. Sorte d’avatar d’un fascisme mussolinien, le Francisme va progressivement recruter parmi les milieux marginaux pour constituer son groupe la « Main bleue », réputé pour sa violence. Son chef local, Paul Gallas, sera finalement abattu par la Résistance. Le Francisme dispose également de deux sections de jeunesse d’une centaine d’éléments : « Les Chemises bleues ».
Peu implanté, avec 52 adhérents fichés, dont une moitié sur Dinard, ville d’origine de Raymond du Perron de Maurin, chef départemental et délégué aux affaires juives, le Mouvement Social Révolutionnaire (MSR) trouve quand même les moyens de disposer d’un bureau au 8, quai Émile Zola.
En l’absence de toute perspective électorale, l’activité de ces partis est assez restreinte. Les manifestations sur la voie publique sont interdites et les réunions, soumises à l’autorisation des autorités d’occupation, doivent se tenir dans des locaux privés. Hors de question d’y entonner La Marseillaise ou de brandir le drapeau national. Reste les conférences. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses. Celle donnée le 19 avril 1942 par Doriot de retour du front russe, rassemble plus de mille personnes au Théâtre municipal. On organise également des concerts et autres galas de bienfaisance en faveur des prisonniers. Les bombardements de l’aviation anglaise sont également l’occasion d’une intense propagande anglophobe, complaisamment relayée par L’Ouest-Éclair. De la collaboration à la délation, le pas est vite franchi. Ainsi ce groupe « La Rose des Vents », dont la police a fiché une trentaine de membres sur Rennes. Cette appellation fait référence à l’émission éponyme, diffusée chaque jour sur le poste Radio-Paris. Les lettres de dénonciation envoyées par les auditeurs sont lues à l’antenne par l’animateur Robert Peyronnet, qui les transmet ensuite à la Gestapo, au Commissariat aux questions juives ou à la Milice.
Ainsi donc, si l’on fait le décompte de ces fiches, ce sont environ 1 200 personnes qui ont fait le choix d’adhérer à un parti collaborationniste en Ille-et-Vilaine. Ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte de tous les anonymes se contentant de soutenir discrètement ces mouvements en contrepartie d’une faveur ou d’une intervention auprès de l’occupant. Maréchalistes en 1941, ils seront attentistes l’année suivante…
Carte réalisée par Nicolas Fleurance, Archives de Rennes.
La collaboration armée
Meeting de la LVF, salle Wagram, 25 juin 1943.
Aux « collabos » impatients d’en découdre avec les bolcheviques, le déclenchement de l’offensive allemande contre l’URSS, le 22 juin 1941, offre la possibilité de s’engager dans la Légion des Volontaires Français (LVF). Une officine de recrutement est bien ouverte au 9, rue Nationale, mais les candidats ne se bousculent pas. Un « Comité des Amis de la Légion » est même constitué avec les docteurs Tizon, Perquis, Massot et l’avocat Perdriel-Vaissière.
Les plus téméraires, tentés par l’uniforme allemand, peuvent s’engager dans la Waffen-SS, qui ouvre un bureau de recrutement au 27, boulevard de la Liberté. Ceux que la discipline militaire rebute peuvent combattre localement « le communisme, le gaullo-swing et la juiverie maçonnique », en s’adressant au Comité d’action antibolchevique, dont L’Ouest-Éclair précise qu’il n’est pas un parti politique mais un « Groupe d’action », situé au 24, rue de la Chalotais.


Ces permanences avec vitrines sur rue sont particulièrement visées par la Résistance. Le 28 septembre 1941, un attentat détruit le premier local du Francisme au 55, boulevard de la Tour-d’Auvergne. Lors de sa conférence au Théâtre, une grenade lancée contre Doriot explose sans l’atteindre. Le 3 juin 1942, un autre attentat à l’explosif provoque de gros dégâts à la LVF. Puis c’est au tour du bureau de la Waffen-SS, boulevard de la Liberté. Le 19 mars 1944 une bombe est déposée dans les locaux du Francisme, rue du Chapitre. Le 31 mars 1944, c’est le RNP qui est visé, puis à nouveau la LVF, rue Nationale, le 28 avril 1944.
Le tournant décisif se produit le 8 novembre 1942, avec le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, suivi de l’occupation de la zone sud par les Allemands. Mieux organisée, la Résistance monte en puissance. Jusqu’à présent, la lutte contre les « terroristes » était du ressort de la « Geheime Feldpolizei »(GFP), police de sûreté de la Wehrmacht, installée rue de Robien. Au mois d’avril 1942, celle-ci se voit retirer ses pouvoirs de police au profit de Karl Oberg, chef des SS en France. 
SD de Rennes. Cité des étudiantes rue Jules Ferry. de gauche à droite : Anton, Schmerling, Breuer, Klein, Schreier.
Le « Sicherheitspolizei » (SD) « Service de la sécurité » de la SS, qui disposait d'un poste au 92, rue de Fougères depuis 1941, s’installe désormais à la Maison des étudiantes, rue Jules Ferry. Souvent confondu avec la Gestapo, dont il n’a rien à envier question « méthodes de travail », le SIPO-SD est d’une redoutable efficacité (J'ai identifié 128 policiers allemands et 16 femmes interprètes pour la Bretagne, dont 64 hommes et 12 femmes à Rennes) et dispose d’un vaste réseau d’indicateurs et d’agents chargés d’infiltrer les mouvements de résistance. On estime à 2 000, le nombre de résistants arrêtés ou déportés par le SD en Bretagne (1).  
Ajouté le 13 novembre 2017 :

Bruxelles, 16 novembre 1945. Interrogatoire de Marie-Thérèse Honorez, 24 ans, née à Koekelberg (Belgique). Réfugiée à Rennes lors de l'exode, Honorez s'adresse à la Kommandantur en 1940 pour se faire rapatrier. Comme elle parlait parfaitement l'allemand, elle a été embauchée comme interprète. Elle intègre ensuite le SD de Rennes et devient le maîtresse d’Adolf Breuer, 31 ans, originaire de Cologne, adjudant du SD de Rennes (section IV), parlant couramment le français et même l’argot, considéré comme un des meilleurs policiers du SD. C'est lui qui enquêta sur l'affaire Hervé en 1942 qui avait permis de découvrir tous les auteurs des attentats et sabotages de Rennes, fusillés à la Maltière le 30 décembre 1942. Le couple a pris la fuite et a été arrêté à Bruxelles. Sachant qu’il allait être extradé pour crimes de guerre, Breuer va se suicider dans sa cellule.

Q - Que signifie l’indicatif S.R. suivi d’un nombre ?

R - Les lettres S.R. signifient Sicherheistpolizei de Rennes et le nombre forme le numéro de l’agent. Pour Rennes tous les nombres commencent par le chiffre 1, pour Saint-Brieuc 2, pour Brest 3, pour Quimper 4, pour Vannes 5, et pour Pontivy 6.

Q – Que savez-vous d’Hémon Ropartz bien Ropartz, titulaire de l’indicatif S.R. 780 ?

R – Ropartz Hémon travaillait pour la Gestapo depuis 1940 avec Grimm et Gross, il a été introduit par Yves Delaporte. Je crois qu’il faisait partie du conseil breton dénommé « Conseil des Sept ». (Honorez semble confondre les Seiz Breur et le Kuzul Meur)

Marie-Thérèse Honorez se trompe dans sa numérotation, puisque d’après Breuer : « Les numéros commençant par la centaine 7 étaient destinés aux agents de Rennes ». Breuer ajoute : « Je dois préciser cependant qu’il peut arriver qu’un N° S.R. ait été attribué à un homme qui n’a pas travaillé pour nos services comme indicateur. Ainsi, pour pouvoir rencontrer nos fournisseurs habituels, au marché noir, nous renseignions à nos chefs sous un N° S.R. bien qu’ils ne fussent pas agents indicateurs. Les ordres de Himmler interdisaient formellement aux agents du service de familiariser avec des Français. Pour pouvoir recevoir et nous rendre auprès de certains français qui nous fournissaient du beurre, du lard ou autre chose, ainsi que pour pouvoir rencontrer une maîtresse française, nous leur donnions un indicatif. Pour nos chefs, ces gens passaient pour des indicateurs, alors qu’ils ne l’étaient pas. » Il convient donc d'être très prudent dans l'exploitation de la liste des agents du SD retrouvée rue Jules Ferry. A propos de Yann Fouéré, SR 715 par exemple, Marie-Thérèse Honorez déclare : « Fouéré Yann, journaliste, n'a pas fourni de renseignements à la police mais bien à la censure allemande du quai Lammenais.»
1945, membres de la Bezen Perrot à Tubingen en Allemagne
La multiplication des actions de la Résistance – surtout après l’instauration du STO en février 1943 – a pour corollaire une implacable répression allemande. Le SD peut désormais s’appuyer sur ce qu’il convient d’appeler la « collaboration armée ». Le premier de ces groupes est la Formation Perrot, ou « Bezen Perrot » en breton, créée en décembre 1943. Les membres de cette « Bretonische Waffenverband der SS », issus pour la plupart du PNB, ont signé un engagement sous un pseudonyme dans l’armée allemande, dont ils touchent une solde, et dépendent du SD. Ces Bretons, moins d’une centaine (2), sont cantonnés dans une propriété au 19, rue Lesage, ainsi que dans un hôtel particulier situé au19, boulevard de Sévigné. 
Kristian Hamon collection privée
Dans un premier temps ils montent la garde au SD, Maison des étudiantes, où ils prennent leurs repas. Puis ils servent de supplétifs lors des rafles effectuées par les policiers du SD, n’hésitant pas à manier la cravache lors des interrogatoires pratiqués dans les caves de la Maison des étudiantes. Au printemps 1944, c’est l’escalade. Armés et revêtus de leurs uniformes Waffen-SS, ils vont participer aux pires exactions contre les maquisards et résistants bretons.
La Croix-Rouge
En janvier 1944, la Milice française de Joseph Darnand est étendue à la zone nord. Au mois d’avril, elle s’implante à Rennes. Sans grand succès, si l’on en croit une liste retrouvée à la Libération, indiquant 120 membres pour le département.
Archives de Rennes
Archives de Rennes Fonds Charles Foulon
Le bureau de recrutement est situé au 11, rue Le Bastard. Les miliciens sont cantonnés au 110 de la rue de Saint-Brieuc, au lieu-dit « La Croix-Rouge », à l'angle de la rue de Saint-Brieuc et de la route de Vezin, là où se situe une station météo du ministère de l’agriculture.

Émile Schwaller
C’est dans les caves de la maison que les miliciens, sous les ordres d’Émile Schwaller, un ancien légionnaire de sinistre réputation (Il  sera fusillé le 5 novembre 1946) torturent les résistants. Plusieurs cadavres de résistants seront découverts à proximité. Le 8 juin 1944, une
« Centaine » de la Deuxième Unité de Marche de la Franc-Garde, en provenance de Poitiers, s'installe à Rennes dans le pensionnat de la rue du Griffon, déjà occupé par un groupe de jeunes francistes. Ces miliciens, armés et en uniforme bleu-marine avec le fameux béret, sous les ordres de Di Constanzo, repartent aussitôt pour Fougères qui vient de subir un terrible bombardement allié. A leur retour, un groupe de 25 hommes, commandé par Schwaller, s'installe à la Croix-Rouge, les autres se répartissent entre le

château d'Apigné et surtout l'asile Saint-Méen, l'actuel
Jeune milicien rennais
Hôpital Psychiatrique, dont les caves servent de cellules aux patriotes arrêtés qui vont y subir les pires sévices. Des interrogatoires sont également pratiqués au restaurant champêtre d'Armenonville, route de Vezin-le-Coquet :
« Il y avait Messieurs Chausseblanche, père et fils, Leone du bourg de La Mézière, Arnoult, neveu de M. Chausseblanche, Chauvet, 28 rue Alain Bouchard à Rennes, Lemoine et son beau-père M. Busnel de La Chapelle-Chaussée. Nous avons été conduits à Rennes à l'hôtel d'Armenonville et de là, à Apigné. J'ai été interrogée une fois à Armenonville. » Déposition de la femme de Léon Busnel sur la rafle opérée par la Milice à la Mézière le 20 juillet 1944.






La Selbstschutzpolizei de Rennes.

Le 8 mai 1944, une unité de la « Selbstschutzpolizei », arrive de Paris et s’installe dans une maison réquisitionnée au 76, boulevard de la Duchesse Anne. Comme la Formation Perrot, aux côtés de laquelle elle participe aux opérations, c’est une unité allemande composée d'une douzaine de jeunes français revêtus d’un uniforme de chasseurs alpins bleu et d’un calot de la même couleur. Ils portent au bras un brassard jaune avec l'inscription « Selbstschutz ». Lors de leur fuite vers l'Allemagne, on les retrouvera à Troyes avec Le Bezen et le SD de Rennes.
Laissez passer délivré par le SD au Groupe d'Action
Le 8 juin 1944, le « Groupe d’Action pour la Justice Sociale » (sic...), une émanation du PPF, arrive à son tour. Recrutés dans les bas-fonds de la collaboration malouine par le docteur Daussat, cette quinzaine de voyous de la pire espèce prend possession d’une maison au 25, rue d’Échange (3). Ces hommes en civil sont armés et disposent de cartes de police allemande. Leur spécialité est la chasse aux réfractaires au STO et l’infiltration de la Résistance. Ce qui n’exclue pas un marché noir à grande échelle. Qualifiés de véritables « gangsters », ils sont responsables des pires atrocités commises dans le département sous l’Occupation.
Chenillette de l'US Army à Maison-Blanche
Alors que les Américains sont aux portes de la ville, à Maison-Blanche, c’est le sauve qui peut général pour les « collabos ». Les moins compromis, qui n’ont fait que « fricoter » avec l’occupant, vont essayer de se faire oublier quelque temps, puis réapparaitre lorsque la situation sera plus calme. Ceux qui ont fait le coup de feu sous l’uniforme Allemand, sachant ce qui les attend s’ils tombent aux mains de la Résistance, se regroupent le 2 août au SD où un convoi, stationné rue Jean Macé, les évacue vers l’Allemagne.

L'épuration
Commence alors la délicate période de l’épuration. Lors de sa première séance, le 10 août 1944, le Comité Départemental de la Libération (CDL) reçoit deux commissaires de police et les informe du scandale que constitue la libération prématurée de certains « collabos ». Les commissaires répondent que la maison du Cercle Paul Bert, où se faisait le tri des « collabos » a été débordée pendant trois jours. Le secrétaire du CDL, Charles Foulon, fait alors observer que : « Les circonstances sont exceptionnelles et que les arrestations doivent être maintenues lorsqu’elles ont été faites par les CLL ou des groupes de patriotes connus. Les miliciens seront écroués à Jacques Cartier plutôt qu’au quartier Margueritte d’où il est facile de s’évader. » Á propos du camp Margueritte justement, M. Becdelièvre, représentant du mouvement « Jeune République » informe la CDL que le scandale continue « Les nègres font un véritable service de correspondance. Le lieutenant Bietry ou le capitaine Mercier ferment les yeux sur ce manège. » M. Heurtier (Libé-Nord) se plaint qu’il y a autour du CDL de nombreuses fuites « Des agents auraient prévenu certaines personnes de leur arrestation imminente. »
Les affaires traitées par le CDL ne concernent pas seulement les crimes et délits perpétrés sous l’Occupation, mais aussi celles, parfois insolites, commises après la Libération. Ainsi le 11 août, on signale un café de Maurepas qui vend 30 francs le verre de vin aux soldats américains alors que les consommateurs rennais le payent 10 francs « Le CDL demande que le commerçant soit incarcéré et poursuivi ». Le CDL trouve également scandaleux que « Les paysans fassent des échanges directs de cognac et de denrées contre de l’essence fournie par les Américains » Plus étonnant, cette dame Richelot, domiciliée au 6, rue Martenot, qui a en sa possession un porc gras, des bicyclettes et un frigidaire que lui ont laissé les Allemands à leur départ « Le CDL considère que cette prise de guerre ne revient pas à Mme Richelot ». Le 23 août, c’est un « figaro » rennais, le lieutenant FFI Aubry, qui est vu en train de tondre un jeune homme, qu’il appelait un « zazou », sur la place de la Mairie « L’incident, qui causait du scandale et était interprété diversement, parait à la fois une brimade et une mascarade, surtout qu’un deuxième « zazou » était en même temps mis en demeure de s’engager sous la menace de la tondeuse. » Le général Allard s’adresse alors au CDL « Le public se plaint des FFI vrais ou faux dont l’indiscipline et les mœurs déplaisent. »
C’est sur la question de l’épuration industrielle que le CDL semble le plus impuissant, la plupart des requêtes adressées au préfet restant lettre morte. Le 28 août, le CDL demande l’épuration des chambres de commerce lorsque leurs membres ne sont pas restés patriotes « Bessec de Saint-Malo, Bahon-Rault de Rennes, pétainistes convaincus ».
Entre les industriels et négociants qui sont accusés d'avoir travaillé pour l'occupant et les commerçants qui, sans être des « pétainistes convaincus » ou partisans de la collaboration avec l'Allemagne, ont néanmoins réalisé de bonnes affaires sous l'Occupation, la tâche du CDL n'est pas simple. En cette période de restrictions de toutes sortes, être nommé répartiteur par Vichy suscite forcément des jalousies et des suspicions qui entraineront des enquêtes à la Libération. C'est le cas d'un William Bessec, Président du Syndicat de la chaussure au détail, nommé répartiteur en 1941. Chargé de la répartition des « Chaussures Nationales » le 15 juillet 1941, la vitrine de son magasin situé à l'angle des
rues de Rohan et Ferdinand Buisson est brisée le lendemain. La police constatera que rien n'a été volé. La vitrine du magasin de Saint-Malo va subir le même sort. Théodore Clanchin (que l'historien Reynald Secher essaie de nous faire passer pour un résistant) qui possède une belle affaire de collecte de beurre et d'œufs à Marcillé-Raoult, abonné à L'Heure Bretonne à la suite de sa libération d'un stalag grâce au PNB, est également nommé répartiteur départemental des œufs, puis responsable régional.
Le docteur Tannou, résistant rennais, adresse une note au CDL « M. Bonenfant, directeur d’entreprise n’a travaillé que pour les Allemands. Spécialiste des prisons, il s’est aussi révélé spécialiste du cinéma. C’est lui qui a construit le pont de Laillé, destiné à représenter la prise de Moscou. Il a gagné au moins 2 millions dans cette affaire ». Deux marchands de meubles « Ayant travaillé avec et pour les
Archives de Rennes CDL 35
Allemands : Rual et Poirier 
», font l’objet d’une enquête. Une plainte est également déposée contre la carrosserie Pelpel et la confiturerie Lorain&Letort à Messac, dont les biens sont mis sous séquestre et les dirigeants en fuite. Même cas de figure pour l’entreprise Tomine, avenue Chardonnet à Rennes, qui travaillait avec zèle pour l'occupant. Tomine prendra la fuite à la Libération avec femme et enfants dans sa traction Citroën avant de réapparaitre une fois que les choses se seront calmées. Citons également la papeterie Bonnet-Dubost, qui écopera de la plus forte amende, de même que les établissements Mayol-Arbona, négociants en fruits et légumes.
De son côté, Eugène Quessot, de la SFIO, « Pense que le clergé doit être épuré au même titre que les autres parties de la population. Le préfet pense qu’il faut songer aux conséquences ». Inutile de dire qu’il n’y aura aucune suite… M. Level, instituteur résistant, déclare que le CDL est attaqué de partout, accusé de tous les retards apportés à l’épuration, de toutes les libérations inopportunes ordonnées par les autorités judiciaires ou administratives, et qu’il conviendrait de réagir au plus tôt par la voie de la presse « Les gens ne savent pas comment nous faire parvenir des plaintes. Il est inadmissible que les collaborateurs puissent continuer encore longtemps à se promener impunis, autrement les gens finiraient par se faire justice. »
Exécution d'un traitre dans l'Enfer du Thabor
Dans un premier temps cette justice est assurée par le Tribunal militaire, qui a jugé 566 « collabos », dont 7 qui seront fusillés immédiatement. À partir du 3 novembre 1944, la justice civile prend le relais. Au mois de mars 1945, la Cour de justice d’Ille-et-Vilaine avait jugé 489 individus et la Chambre civique 988.C’est deux fois plus que dans chaque département breton.
Pourquoi cet écart ? La réponse est probablement dans cette note, rédigée par le préfet le 16 avril 1945 : « L’Ille-et-Vilaine ayant été le moins résistant des quatre départements bretons, devait être le plus inféodé au pétainisme et à la collaboration et par conséquent le plus susceptible d’épuration ».


(1) On peut s'étonner qu'aucune plaque rappelant ce qui s'est passé dans ce bâtiment ne soit apposée sur la façade.
(2) J'en ai précisément identifié 73. Certains sont cependant passés à travers les mailles du filet.
(3) Mise à jour du 20 novembre 2017. En fait j'ai mis la main sur une liste précise de trente noms.

2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,
    Je réalise un mémoire en histoire contemporaine. Je souheterais avoir des informations sur l'entreprise Tomine dont vous parlez dans votre article sur la collaboration à Rennes.
    Bien à vous

    RépondreSupprimer