samedi 30 janvier 2016

La Louée de la Saint-Pierre



Ouest-France, 1955
Combien de Rennais se souviennent de la foire de la Saint-Pierre qui se tenait chaque année le 29 juin sur le boulevard de la Liberté ? Avec la Saint-Michel, c’était une date importante dans le monde paysan. Ce n’était pas une foire comme les autres. On l’appelait la « Louée » ou la « Louerie de la Saint-Pierre » ou bien encore « La gagerie de la Saint-Pierre ». L’ANPE ou « Pôle Emploi » n’existant pas encore, la Saint-Pierre était l’occasion pour les domestiques, garçons ou filles, de proposer leurs services pour la métive. 
La Louée coïncidait avec une autre fête, moins profane celle-ci, et qui concluait l’année d’études au Séminaire avec « L’ordination de la Saint-Pierre » à l’église Métropole. Souvent ruraux eux-aussi, les jeunes ordinands, face prostrée contre le sol en signe de soumission complète à Dieu, scellaient définitivement leur avenir en devenant « prêtres pour l’éternité ».



Les Perrins et les Perrines

Ouest-Eclair, 1938
La Saint-Pierre est un jour chômé dans toutes les fermes du pays de Rennes. Dès le matin, arrivent à bicyclette ou descendent des tramways les domestiques qui ont donné congé à leurs maitres et veulent s’assurer qu’ils ne seront pas plus mal ailleurs. Appelés les Perrins, en référence à Pierre, les jeunes gens en longue blouses bleues (en 1900) portent un épi de blé ou une fleur au ruban de leur chapeau. Quelques uns ont brin de trèfle. Les Perrines ont une fleur passée dans la piécette de leur tablier. Parmi ces domestiques et servantes proposant leurs services, on remarque de solides gaillards avec un fouet à la main. Ce sont les charretiers, qui sont les personnages les plus considérés à la ferme.

Viennent ensuite les métayers et leurs bourgeoises. Ils doivent avoir le coup d’œil pour choisir les bons domestiques, car à la campagne, note un journaliste en 1900 : « La force, la santé passent avant l’intelligence. De plus il faut avoir une bonne dentition pour affronter les nombreux repas de galettes et de pain rassis, car si les maitres exigent du travail, ils n’aiment guère les domestiques sans appétit. » Les Perrins et les Perrines qui déambulent sur le boulevard ne cherchent pas tous du travail. Ils tiennent à respecter cette coutume et veulent connaitre les tarifs de louage. Jour de congé, la Louée est aussi une occasion de sortie et de rencontres autour des attractions et manèges installés sur le Champ de Mars.


La louerie

La louerie se fait de deux façons différentes : soit pour l’année entière, soit pour la métive. La métive correspond à la période de la moisson, c’est-à-dire les mois de juillet, août, et septembre. Estimant cette période trop courte, le syndicat des agriculteurs s’adressera à la préfecture pour rallonger cette période d’un mois, au même tarif, en permettant l’embauche début juin de façon à ce que ces ouvriers agricoles travaillent non seulement pour la moisson mais aussi pour la fenaison. Il n’y aura pas de suite.

Ce jour-là donc, les patrons lorgnent à gauche et à droite sous les vertes frondaisons du boulevard de la Liberté à la recherche du garçon le plus robuste sur lequel ils porteront leur choix. Le contact établi, les négociations commencent :
- Es-tu embauché ?
- Pas encore.
- Alors ! Combien demandes-tu… Fais ton prix… Je t’écoute…
- 2 000 francs !
- Diable 2 000 francs ! C’est bien cher pour trois mois de métive.

La discussion va continuer car le garçon ne veut pas en démordre. Enfin, après des « mais » et des « si » le marché est conclu. L’affaire sera concrétisée définitivement devant la bolée de cidre réglementaire. Il n’y a pas de contrat écrit, seule la parole compte et le fermier verse des arrhes. C’est le « denier de Dieu », qui autrefois était une pièce d’argent versée pour sceller une entente verbale. A la différence des arrhes, il n’est pas compté dans la transaction. Ce pécule permet surtout aux Perrines de faire quelques emplettes à la foire et aux Perrins de faire le tour des débits de boisson. La soirée est souvent mouvementée. La police ramasse parfois des Perrins qui n’ont pas trouvé de place mais rencontré beaucoup d’auberges.

Les tarifs demandés ou proposés fluctuent évidemment en fonction de l’offre et de la demande, mais aussi de la situation économique du moment. En 1900 « Les domestiques reçoivent aujourd’hui des gages de plus en plus élevés parce qu’ils trouvent des placements avec une grande facilité. Les agences de Beauce et de Normandie viennent les chercher sur ce Champ de Mars et les filles de fermes sont expédiées directement sur la région parisienne où elles sont généralement recherchées pour leur honnêteté et leur bonne conduite. »

Je n’ai pas réussi à dater l’origine de cette coutume que l’on dit très ancienne. Même pendant les deux conflits mondiaux, la Louée ne sera pas interrompue. L’Ouest-Éclair de 1915 informe ses lecteurs que si habituellement le boulevard de la Liberté présente une animation inaccoutumée « Malheureusement la guerre est venue déroger à cette vieille coutume. Á part jeunes filles et vieilles femmes en coiffe, on vit peu de monde. Il faut dire aussi que presque tous nos campagnards sont mobilisés. » Les salaires étant bloqués depuis 1914, alors que les prix s’envolent, on observe de nombreuses grèves en 1919. Pour le journal « La vie est chère et les Perrins et Perrines ont sérieusement augmenté leurs prix. En 1917, ils demandaient 500 F pour trois mois ou 1 100 à 1 200 F pour l’année. C’était déjà cher, mais tout n’a-t-il pas encore renchéri ? Les ouvriers n’ont-ils pas vu leurs salaires augmenter dans de très fortes proportions ? Les Perrins suivent le mouvement. » En 1925, les Perrins obtiennent 1 500 a 1 800 francs pour les trois mois, on est même monté à 2 000 francs. En 1929, c’est 2 500 francs pour les trois mois. En 1930, on descend à 1 800, voir 1 500 francs.

L'Ouest-Eclair, 1939
L’occupation allemande ne sera évidemment pas sans conséquence sur le déroulement de la Louée. Comme le signale L’Ouest-Éclair de 1942, Perrins et Perrines n’ont visiblement pas la tête à faire la fête. « Le décalage de l’heure et le peu d’envie qu’ils avaient de déjeuner maigrement en ville furent cause qu’ils n’arrivèrent guère que l’après-midi. Le matin ils n’étaient qu’en petit nombre et l’on put croire que l’offre ne suffirait pas à la demande. Mais l’après-midi il y eut une grande affluence. » En 1944, malgré les bombardements des 9 et 12 juin, la Louée est maintenue « A vrai dire Perrins et Perrines n’étaient point trop satisfaits. Car les engagements ne se pratiquaient guère aux tarifs qu’ils réclamaient « Dame, nous disait l’un d’eux, avec tous les « villotins » aujourd’hui réfugiés à la campagne et qui louent leurs services pour une bouchée de pain, il n’est guère facile de dénicher une bonne place. La journée fut cependant sans gaieté, car il manquait pour rappeler les joyeuses Saint-Pierre d’avant 1939 les flonflons des musiques mécaniques et aussi – ce qui est plus grave – le cidre coulant à flot dans les bolées devant lesquelles se traitaient les contrats. »

Ouest-France, 1961
La louée retrouvera quelque vigueur après le conflit. Mais, en 1960, conséquence de la construction de la salle omnisports sur le Champs de Mars, la Louée est transférée sur le Mail. Une autre édition, peut-être la dernière, aura lieu en 1961. L’auteur de ces lignes, ni fort ni intelligent, mais en vacances au début des années 60 à Saint-Just, dans ce pauvre pays de Redon, se souvient parfaitement des bœufs attelés de la modeste ferme voisine. Gamins de la ville, accompagnant les enfants de cette ferme, nous étions plus nombreux que les vaches dont nous avions la garde. Lors des moissons, les gerbes étaient faites à la main par les femmes et les battages s’effectuaient avec l’imposante batteuse. La généralisation du tracteur et de la moissonneuse-batteuse, à condition qu’elle puisse entrer dans ces champs entourés de palis, va révolutionner les moissons et sonner le glas des Perrins et Perrines.

mardi 19 janvier 2016

Huguette Gallais, une voix s'est éteinte



Il y a quatre ans, dans mon ouvrage « Agents du Reich en Bretagne » (Skol Vreizh, 2011), j’avais consacré un chapitre – dont j’extrais quelques passages – à l’histoire du groupe Gallais de Fougères et rencontré Huguette Gallais qui a bien voulu évoquer ses années en camp de concentration. Son témoignage me semblait irremplaçable, car jamais les archives ne restitueront les souffrances et le courage dont ont fait preuve ces résistantes et résistants de la première heure tout au long de leur déportation. Avec Huguette Gallais s’éteint une des dernières voix de la Résistance en Ille-et-Vilaine et plus particulièrement à Fougères qui compte deux établissements scolaires portant le nom de deux grandes résistantes : le collège Thérèse Pierre et l'école Odile Gautry.


En juin 1940, les Allemands n’avaient pas encore franchi les limites de l’Ille-et-Vilaine que les membres du groupe Gallais, dans une démarche spontanée et isolée, décidèrent de récupérer les armes abandonnées lors de la débâcle dans l’idée de s’en servir plus tard contre l’occupant. Cette implication du pays de Fougères dans la Résistance ne se démentira pas tout au long du conflit, notamment autour des carrières d’extraction du granit, nombreuses dans la région, mais aussi jusqu’à la mine de Vieux-Vy-sur-Couesnon. Leurs stocks d’explosifs seront très convoités par les FTP de Louis Pétri, alias « commandant Tanguy », bien implantés dans le secteur.

Voyant ces soldats briser leurs fusils sur les murs du château médiéval de Fougères dont il était le gardien, René Gallais, aidé de sa femme et de sa fille, va tout faire pour les récupérer avant l’arrivée des Allemands. Convaincu qu’elles serviront plus tard contre l’ennemi, il les cache dans une des tours du château. Passé l’armistice, et les occupants installés durablement en ville, la priorité de René Gallais sera de transférer ces armes dans des cachettes plus sûres. A cet effet, quelques patriotes possédant des véhicules sont contactés et leur transport dans les villages alentours s’organise. C’est ainsi que se met en place le groupe Gallais avec l’aide de François Lebossé à Laignelet et Jules Frémont, transporteur à Saint-Brice-en-Coglès. L’ensemble atteint rapidement une cinquantaine de personnes. Quelques mois plus tard, pendant les vacances d’août 1941, le directeur de l’école Saint-Sulpice et sa femme, amis de la famille Gallais, reçoivent leur beau-frère et un de ses amis. Ce dernier n’est autre qu’Albert Chodet, ancien combattant de la Première Guerre Mondiale, capitaine et membre du mouvement Ceux de la Libération (CDLL) situé à Neuilly-sur-Seine. Parmi les différents mouvements de résistance, CDLL, qui fut l’objet d’une implacable répression de la part des nazis, est l’un des moins connus. Il a été créé au début de l’été 1940 par Maurice Ripoche, un ancien pilote de chasse qui va surtout recruter parmi les officiers de réserve, issus notamment de l’Armée de l’Air. Politiquement, ces résistants sont plutôt de droite. René Gallais, qui connaît désormais Albert Chodet, est catholique, comme la plupart des membres du groupe. Cependant, le mouvement CDLL se convertira progressivement à la démocratie. Ses membres s’occupent essentiellement de la recherche de renseignements, y compris à Vichy, mais ils participent aussi aux évasions et à l’action paramilitaire. A la suite de cette rencontre entre le capitaine Chodet et René Gallais, le groupe intègre le réseau CDLL et entre en liaison avec Paris. René Gallais, qui ne peut plus exercer son métier de guide au château du fait de l’Occupation, devient employé de la Mairie et en profite pour fabriquer des faux papiers et fournir des cartes d’alimentation aux prisonniers évadés. L’activité du groupe Gallais ne se résume pas seulement à la récupération d’armes, ses membres relèvent également les emplacements des dépôts de munitions ou d’essence installés par les Allemands, ces informations devant ensuite être transmises en Angleterre. Marcel Lebastard, un jeune étudiant de 22 ans, est chargé de cette mission : « Au cours de l’été 1941, étant en vacances chez mes parents à Fougères, M. René Gallais, connaissant mes sentiments anti-allemands, me demanda d’entrer dans son organisation et de m’occuper de rechercher l’emplacement des dépôts d’armes allemands pouvant exister dans la région. Je connaissais à peine les autres membres de l’organisation dont M. Gallais était le chef et je ne connaissais pas du tout (Le couple dénonciateur). Je n’ai jamais été, je crois, en contact avec eux avant mon arrestation par les Allemands, à Fougères le 9 octobre 1941. C’est seulement 10 jours après mon arrestation, à la prison d’Angers où j’avais été transféré que j’ai su exactement ce que l’on me reprochait. J’avais établi le plan d’un dépôt de munitions qui se trouvait près de Mi-Forêt, en forêt de Rennes et j’avais remis ce plan à M. Gallais pour qu’il le fasse parvenir en Angleterre. »

Au printemps 1941, un jeune couple, originaire des Côtes-du-Nord, et dont l’homme venait régulièrement à Fougères séjourner chez une tante commerçante rue de la Pinterie, s’attire la confiance de la famille Gallais. Se faisant passer pour un membre de l’Intelligence Service, cet agent des Allemands infiltre le groupe. Ce qui va se passer ensuite n’était alors que trop prévisible.


La chute du groupe gallais

Le 9 octobre 1941, dès 6 h du matin, les Allemands débarquent au domicile de la famille Gallais. Alors qu’ils fouillent le rez-de-chaussée, Huguette, qui les a entendus, cache un pistolet dans la gouttière et des papiers compromettants dans les toilettes. Elle tire la chasse d’eau. Alerté par le bruit, un Allemand monte et découvre la jeune fille qui fait semblant de dormir. Les Allemands fouillent le reste de la maison. Andrée Gallais a caché trois pistolets dans un seau d’épluchures. Pendant toute la perquisition, un soldat allemand assis sur le rebord de la fenêtre, balance son pied au-dessus du seau. La famille Gallais est emmenée Place d’Armes avec une cinquantaine de membres du réseau. Ils sont ensuite enfermés dans des chambres de l’Hôtel des Voyageurs avant que les cars allemands ne les transfèrent à Angers via Rennes. Au moment de leur départ, les Fougerais sont très nombreux sur la place et entonnent la Marseillaise. Les Allemands chargent et les repoussent. Gérald Gallais, le jeune frère d’Huguette, est libéré immédiatement faute de preuves. Une tante de Pontorson vient le chercher. Sous prétexte d’aller récupérer des vêtements et des affaires d’école, il récupère les trois pistolets qu’avait cachés sa mère, les cache dans son cartable et les dépose chez Joséphine Caillet, membre du groupe. 

Dès l’aube donc, de ce jeudi 9 octobre, les Allemands procèdent à plusieurs arrestations et perquisitions. Ils ne vont pas n’importe où car tout semble indiquer qu’ils ont la liste exacte des suspects qu’ils doivent appréhender. La famille Gallais est la première visée : « Nous fumes arrêtées, en même temps que M. Frémont, de Saint-Brice-en-Coglès, M. Lebossé, M. et Mme Pitois et d’autres, en tout quatorze, le 9 octobre 1941, à la suite d’une mission exécutée la nuit même. Le matin, des Allemands, venus perquisitionner nous emmenaient à la Kommandantur où nous restions toute la journée pour subir un interrogatoire dont le résultat resta négatif pour les Allemands, bien entendu. Pourtant nous fûmes transférés dans la prison d’Angers. Et c’est là, à Angers (que l’homme et la femme agents des Allemands) arrêtés avec nous, furent libérés. Pourquoi ? Le premier doute nous vint de là. Et depuis, nous avons eu confirmation et pouvons certifier maintenant que ce sont eux qui, pour un motif qui ne peut être que l’appât de l’argent à gagner (100 000 F par tête paraît-il) nous ont dénoncés. »


Le regroupement à l’Hôtel des Voyageurs

Toutes les personnes interpellées ce jour-là, soit un peu plus d’une cinquantaine, sont immédiatement emmenées à l’Hôtel des Voyageurs, réquisitionné par la Feldgendarmerie, pour y subir leurs premiers interrogatoires. Arrêtée à son domicile face au château, Huguette Gallais se rappelle avoir remonté à pied la rue de la Pinterie, encadrée par des soldats en armes.

C’est vers la prison d’Angers que les patriotes fougerais sont transférés le soir même de leur arrestation à bord de deux autocars. Huguette Gallais se souvient qu’il faisait encore jour, puisque les ouvriers des usines de chaussure, ayant appris les arrestations en quittant leur travail, se regroupèrent devant le tribunal de Fougères, place Gambetta, face à l’hôtel des Voyageurs. Ne pouvant s’interposer, ils ont entonné la Marseillaise.


La déportation en Allemagne

Des 55 personnes arrêtées le 9 octobre, 41 sont relâchées à partir du 26 octobre. L'affaire se présente on ne peut plus mal. Le 20 octobre en effet, à Nantes, le lieutenant-colonel Karl Hotz est abattu par des résistants, avec les conséquences que l'on connait. Les quatorze autres, considérées par les Allemands comme le noyau dirigeant du groupe, restent détenues à la prison d’Angers. A la mi-novembre, les onze hommes sont transférés à la prison de Fresnes, tandis que les trois femmes sont dirigées sur celle de la Santé. Le 18 décembre 1941, les quatorze patriotes sont déportés vers Augsburg, ville située à l’ouest de la Bavière, en attendant d’être jugés par le Tribunal du Peuple (Volksgerichtshof). Jugement qui n’interviendra que le 23 février 1943, soit après 14 mois de mise au secret.

Des quatorze prisonniers, ils ne sont plus que douze à comparaître lors du procès tenu le 23 février 1943 à Munich. En effet, Joseph Brindeau, tuberculeux, est décédé dans sa cellule le 30 mars 1942, par manque de soins. Quant au gendarme Jagu, faute de charges suffisantes, iléchappera au tribunal et sera libéré plus tard. Tous sont condamnés à mort : Jules Frémont, René Gallais, François Lebossé, Raymond Loizance, Antoine Perez, Marcel Pitois, Louis Richer, Jules Rochelle, Marcel Lebastard, Andrée Gallais, sa fille Huguette et Louise Pitois. Trois avocats ont été désignés pour « défendre » les accusés. Huguette Gallais, qui comprend un peu l’allemand, fut étonnée d’entendre l’un de ceux-ci, le docteur Reisert, plaider en faveur de son père, comme lui ancien combattant de la Première Guerre Mondiale. Reisert sera arrêté par les nazis puis libéré par les Américains en 1945.

Parmi les douze condamnés à mort, huit hommes : Jules Frémont ; René Gallais ; François Lebossé ; Raymond Loizance ; Antoine Perez ; Marcel Pitois ; Louis Richer et Jules Rochelle seront transférés à la prison « Stadelheim » de Munich le 9 septembre 1943. Le 21 septembre 1943, les huit résistants seront décapités entre 17 h et 17 h 30. Tous ont reçu la communion par l’aumônier de la prison avant d’être exécutés. Sanction terrible pour des résistants qui n'ont jamais tiré le moindre coup de feu ni tué qui que ce soit.

Andrée Gallais, sa fille Huguette et Louise Pitois seront graciées, ainsi que le jeune Marcel Lebastard. Les trois femmes et le jeune homme vont transiter de camps de travail en camps de concentration jusqu’à la capitulation du Reich. Louise Pitois, 41 ans, trop épuisée, va décéder le 10 mai 1945 au camp de Bergen-Belsen, juste avant son rapatriement prévu par les Américains. Ne réchapperont donc de l’horreur des camps nazis qu’Andrée Gallais, sa fille Huguette et Marcel Lebastard.

Tout au long de leur calvaire concentrationnaire, Huguette Gallais, sa mère et Louise Pitois, resteront ensembles : « Nous ne faisions qu’une. Dès que l’une d’entre nous flanchait, les deux autres la soutenaient. A Mauthausen, les Allemands voulant l’emmener, je me suis couchée sur Louise Pitois, pour empêcher qu’elle soit séparée de nous. » Pesant à peine trente kilos lors de sa libération, Andrée Gallais, 45 ans, sera la plus affaiblie, au point de rentrer à Paris sur une civière : « Je ne me souviens plus des dates de mes transferts dans les différentes résidences où j’ai été incarcérée. Mais comme partout, j’ai suivi ma fille, je me rapporte à ce qu’elle vous a indiqué (…) J’ai été condamnée à mort plusieurs fois à l’audience du 23 février 1943 à Augsburg ; pendant trois mois à Munich j’ai été au secret spécial des condamnés à mort et ma condamnation n’a jamais été commuée. Le dernier camp où j’ai séjourné c’est celui d’extermination de Mauthausen où j’ai été libérée le 22 avril 1945 par la Croix-Rouge suisse. Pendant toute ma détention, j’ai subi des sévices de toutes sortes, longs interrogatoires, menaces, privations de nourriture ; pendant un an j’ai été au secret en cellule. Quand j’ai été en camp de concentration, j’ai été astreinte aux travaux les plus pénibles. Pendant que j’étais aux travaux forcés, je travaillais dans l’eau pour laver le maïs. On nous enfermait dans une salle où se trouvaient les barils contenant l’eau et le maïs dans une atmosphère telle que la surveillante ne pouvait elle-même rester dans la salle. Elle sortait et nous enfermait à clef. J’ai fait naturellement de la dysenterie et de la paratyphoïde. Comme toutes les femmes que les Allemands employaient à des travaux pénibles, j’ai eu une descente d’organes. Pendant que nous étions à Mauthausen, souvent la nuit on réquisitionnait des femmes pour des scènes d’orgies. »

Plus jeune, Huguette Gallais, 24 ans, se souvient parfaitement des camps où elle fut internée : « Je suis restée à la prison d’Angers du 10 octobre au 15 novembre puis transférée à la Santé jusqu’au 18 décembre, de là à Augsburg où je suis arrivée le 22 décembre. Je suis restée au secret pendant 14 mois, ma mère pendant un an et mon père pendant 18 mois. J’ai été condamnée à mort et jusqu’à ma libération, en suspension d’exécution ; ma condamnation à mort est du 23 février 1943. J’ai quitté Augsburg le 9 septembre 1943 pour Munich où je suis restée au secret spécial des condamnés à mort jusqu’au 19 novembre 1943. A cette date je suis partie pour le bagne de Lübeck en passant par la Pologne avec des arrêts à Thorn, Posen. Le voyage a duré cinq semaines. Nous sommes arrivés à Lübeck le 18 décembre 1943 jusqu’à Pâques 1944. De là, envoyées au bagne de Cottbus en passant par Stettin. Nous avons quitté Cottbus pour être conduits au camp de concentration de Ravensbrück où nous sommes restés jusqu’au 28 février 1945, nous en sommes parties pour le camp d’extermination de Mauthausen où nous avons été libérées le 22 avril 1945 par la Croix-Rouge suisse. Pendant mes interrogatoires et toute ma détention, j’ai été l’objet de mauvais traitements, de privations de nourriture et de travaux forcés. »
Kristian Hamon, Agents du Reich en Bretagne, Skol Vreizh, 2011.




Huguette et sa mère ne feront qu’un bref séjour à Fougères avant d’être accueillies par de la famille à Pontorson. Alors que ses souvenirs des arrestations et de sa déportation sont intacts Huguette ne se rappelle plus de son retour à Fougères. Sinon qu’elle se revoit, encore vêtue de sa tenue de déportée avec ses sabots, en haut de la rue de la Pinterie d’où on lui montre le château. Tout a été bombardé, la rue est détruite, ainsi que sa maison, située tout en bas, face au château. Plus tard, les deux femmes seront relogées dans une baraque installée sur l’emplacement de l’ancienne maison. 

vendredi 8 janvier 2016

Quelques éléments d'analyse des effectifs du Parti National Breton



Quels étaient réellement les effectifs du Parti national breton (PNB) sous l’Occupation ? Cette question ayant fait l’objet d’estimations toutes aussi fantaisistes les unes que les autres dans les ouvrages parus après la Seconde Guerre mondiale, la réponse ne va pas de soi. Les chiffres avancés émanant généralement d’anciens responsables du PNB, ils sont évidemment à prendre avec la plus grande précaution. Pour des raisons évidentes de propagande, y compris après-guerre, ceux-ci avaient intérêt à en exagérer la portée. C’est ainsi que pour Paul Gaignet, responsable des éditions du parti, les effectifs du PNB se situaient entre 10 et 15 000 adhérents. Plus modeste, Job Jaffré, le rédacteur en chef de L’Heure Bretonne, estimait leur nombre à 6 000, alors que Ronan Caouissin et Olier Mordrel avançaient le chiffre de 5 000 adhérents. Roland de Coatgoureden, pour sa part, chiffre à près de 4 000 les adhérents du PNB « rien que pour les Côtes-du-Nord ».  Emporté par son élan, Ronan Caouissin, alias Caerléon, va aller jusqu'à plus de 500 000, les sympathisants à la cause bretonne !
Quoi qu’il en soit de la réalité de ces chiffres, même avec 5 000 adhérents pour les cinq départements bretons, cela reste considérable pour un parti politique autorisé en zone occupée. Rappelons pour mémoire que les effectifs du Parti populaire français (PPF) ou du Rassemblement national populaire (RNP), les deux grands partis d’alors, ne dépassaient pas chacun 30 000 membres. Tandis que le MSR ou le Parti franciste ne comptaient pas plus de 10 000 adhérents. Grâce aux travaux d’historiens comme Alain Deniel, Bertrand Frelaut ou Michel Nicolas, ces chiffres seront revus à la baisse, avec des effectifs de l’ordre de 2 500 à 3 000 adhérents.
Pour autant, nous n’en sommes encore qu’au stade d’estimations. En effet, le fichier des adhérents conservé au « Central », le siège du PNB situé quai Lamartine, ayant été détruit à la Libération, les chiffres avancés ne reposent sur aucune source interne du parti mais sur des fichiers établis par les Renseignements Généraux ou les services de police des différentes préfectures bretonnes. Des listes ont également été retrouvées aux domiciles de certains responsables du parti lors de perquisitions effectuées à la Libération alors que ceux-ci étaient en fuite. Ces documents figurent dans leurs dossiers d’instruction judiciaire consultables aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine (ADIV). En recoupant toutes ces sources, et avec les précautions qui s’imposent, la police ayant tendance à mélanger allègrement militants actifs, adhérents, sympathisants ou simples abonnés à L’Heure Bretonne, tous qualifiés « d’autonomistes », j’en étais arrivé pour ma part à une estimation plus raisonnable de l’ordre de 1 250 adhérents dans mon ouvrage « Les Nationalistes Bretons sous l’Occupation ». C’est-à-dire une moyenne de 200 à 250 adhérents par département, avec une prépondérance certaine pour les départements du Morbihan et des Côtes-du-Nord. L’Ille-et-Vilaine est un cas un peu particulier dans la mesure où bon nombre des animateurs et cadres du parti, originaires de Basse-Bretagne, sont domiciliés à Rennes. La moitié de ces adhérents peuvent être considérés comme des militants actifs et parfaitement repérés ou identifiés comme tels par les services de police de Vichy. Dans ce même ouvrage, il y a une quinzaine d’années, je m’appuyais sur un dossier (ADIV1439W22-23) de 4 400 fiches individuelles de présumés membres du PNB, réalisé par les Renseignements Généraux (RG). Après consultation et analyse de ces fiches, j’avais estimé à 1 400 celles concernant effectivement les adhérents ou sympathisants du PNB, et pour le reste, soit à peu près 3 000 fiches, j'avais pensé qu'il devait s'agir d’abonnés à L’Heure Bretonne. Je ne m'étais pas trompé.
Dans le Morbihan, des estimations ont été faites sur la base d’un document des RG, cité par Marcel Baudot dans son ouvrage « La libération de la Bretagne » (1973). Il s’agit d’un rapport de 1943 intitulé « Liste d’autonomistes » établi par les RG du Morbihan et qui comporte 555 noms avec adresses, professions et appréciations individuelles. En 1945, cette liste réapparait dans les mains du procureur de la République qui ordonne une enquête individuelle sur les personnes suspectées d’avoir appartenu au PNB et devant lesquelles il met une croix : c’est-à-dire 385 noms. Elles feront toutes l’objet d’un interrogatoire et d’une enquête de voisinage par les gendarmes. Le dépouillement systématique des dossiers individuels (ADIV 216W80) à mis en évidence le caractère parfois fantaisiste de cette liste des RG. Sur la foi des déclarations recueillies par les gendarmes, je n’ai retenu que 187 personnes, dont une moitié de militants actifs, comme pouvant être considérées comme effectivement adhérentes au PNB. Pour les autres, il s’agissait surtout de vagues sympathisants abonnés à L’Heure Bretonne ou de membres de cercles celtiques.

Sources du Comité Départemental de la Libération d’Ille-et-Vilaine (CDL35)
Il existe deux fichiers d’adhérents du PNB pour la Bretagne retrouvés dans les archives du CDL35. Il s’agit de fiches bristol individuelles : nom, prénom, adresse et profession. Le premier comporte 568 fiches plus une centaine de fiches fantaisistes mises de côté par mes soins. Ce sont des doublons ou pseudonymes de rédacteurs de L’Heure Bretonne : Corentin Cariou pour Youenn Drezen ; Polig Trevezel pour Polig Monjarret ; Roparz Hemon pour Louis Nemo ; Jean Merrrien pour René de la Poix de Fréminville ; Danio pour Jeanne Coroller qui a également une fiche au nom de Jeanne Chassin du Guerny, etc. Le deuxième fichier comporte 539 noms avec là aussi une centaine de fiches de pseudonymes. Nous ne savons pas qui a constitué ce fichier, mais il convient d'être vigilant car les erreurs de patronymes ou de noms de communes sont très fréquentes : ainsi on relève un Clainchain « Marchand de beurre à Marcillé-Robert » alors qu’il s’agit de Clanchin à Marcillé-Raoul. Il est possible que ce fichier ait été établi sur la base d’une liste dressée par les Renseignements Généraux ou la police à l’occasion de la fameuse « rafle » ordonnée par le général Allard le 20 novembre 1944 et qui va aboutir à l’arrestation d’environ 600 membres du PNB dont les plus actifs seront détenus au camp Margueritte à Rennes.
Intéressant également, ce document des RG des Côtes-du-Nord en date du 14 novembre 1944 intitulé : « Liste de membres du PNB repérés dans le département ». Cette liste de trois pages a été adressée au préfet et au CDL. Au vu de la date de rédaction on peut raisonnablement penser qu’elle a été établie dans la perspective de la rafle Allard, on relève 76 noms d’adhérents connus. Elle est complétée par une autre liste de militants du département « se réunissant fréquemment » qui indique 91 noms et adresses. Plus étonnante, cette liste d’une vingtaine de médecins en date du 7 mars 1943 et qui démontre que leur présence au PNB n’était pas négligeable.

Fichier d’abonnés à L’Heure Bretonne
Le premier numéro de L’Heure Bretonne est paru le 14 juillet 1940 avec un tirage de 50 000 exemplaires. Il évoluera ensuite entre 20 et 30 000. Ce qui est assez considérable pour un hebdomadaire de parti politique. Un fichier de 53 pages intitulé « Liste des abonnés à L’Heure Bretonne année 1942 » avec noms, prénoms, professions et adresses vient d'être mis au jour dans les archives du CDL35. Il a probablement été retrouvé au siège du journal, à l’angle de la rue d’Estrées et de la place du Maréchal Pétain. Ce fichier comporte 2907 abonnés : Morbihan, 775 ; Côtes-du-Nord, 493 ; Ille-et-Vilaine, 490 ; Finistère, 384 ; Loire-Inférieure, 308 abonnés ; autres départements, 227 abonnés ; région parisienne, 211 abonnés ; puis une vingtaine à l’étranger, essentiellement en Allemagne et Belgique. C’est donc bien dans le Morbihan et les Côtes-du-Nord, et tout particulièrement dans les zones où l’on parle le plus le breton : le pays vannetais et le Trégor, que les idées développées par les PNB trouvent un écho favorable. On relève sur cette liste pas moins de 403 cultivateurs, 58 médecins, 28 pharmaciens, 80 patrons d’hôtel-restaurant, 44 ecclésiastiques dont 16 dans le Morbihan et 10 dans les Côtes-du-Nord.

Le cas des prisonniers de guerre libérés
L'Heure Bretonne 11 août 1940
Dès le mois de juin 1940, les chefs du PNB réfugiés en Allemagne obtiennent des autorités allemandes la possibilité de faire libérer des prisonniers de guerre bretons. Célestin Lainé s'inspirait-il de Sir Casement qui entreprit de former une brigade irlandaise parmi les soldats irlandais prisonniers en Allemagne lors de la Première Guerre mondiale ? Toujours est-il qu'un premier groupe d’une quarantaine d’hommes, qui constitueront le noyau dur de son futur « Service Spécial », prend la direction de Pontivy, où est annoncée la création du Conseil National Breton le 4 juillet. En Allemagne, les prisonniers de guerre anciens membres du parti sont mis à contribution pour faire le tour des stalags, ainsi André Geoffroy de Locquirec : « En Allemagne j’ai fait partie de la commission de recensement et visité ainsi 3 camps : les stalags 8C, 4B, 3A, et un camp annexe servant au regroupement des prisonniers avant leur libération. J’étais chargé de recenser les prisonniers bretons en vue de leur rapatriement proposé par les autorités allemandes. 415 Bretons sont ainsi revenus ». La même opération sera tentée auprès des officiers de différents oflags, mais sans succès. 
L'Heure Bretonne 20 juillet 1940
Les soldats bretons choisis sont ensuite séparés de leurs camarades d’infortune puis regroupés dans un premier temps dans des stalags particuliers comme le 4B à Mühlberg, le 8C à Sagan ou le 9B à Bad-Orb. Les membres du PNB vont alors exhorter les « volontaires » à rejoindre le camp de Luckenwalde où après une période de « conditionnement idéologique» consistant en des conférences de propagande nationaliste et des cours de langue bretonne, ils seront rapatriés en Bretagne. Émile C. de Pleucadeuc, saisit l’aubaine: « J’ai été mobilisé au 218e régiment d’artillerie et fait prisonnier le 16 mai 1940. J’ai été envoyé au stalag 1B en Prusse orientale. Environ deux mois après, environ 5 000 Bretons furent expédiés au stalag 9B et j’étais du nombre. En quittant le stalag 1B les Allemands nous disaient qu’on retournait chez nous et que nous étions libérés parce que nous étions bretons. Dans le dernier stalag, des délégués bretons demandaient à leurs camarades prisonniers comme eux s’ils voulaient être libérés, ils nous invitaient à nous faire inscrire. Comme plusieurs milliers de camarades, j’ai donné mon nom. Á ce moment je n’avais qu’un désir : quitter l’Allemagne ! Début décembre 1940, on me fit savoir que je rentrais en France sans plus d’explications. J’ai eu le bonheur de quitter ce camp avec 2 ou 300 camarades. » En Bretagne, les nationalistes vont développer leur propagande dans L’Heure Bretonne autour de ces libérations obtenues grâce au PNB. Un bureau est même ouvert à cet à Rennes pour recueillir les demandes d’intervention du parti auprès des autorités d’occupation. Dans L’Heure Bretonne du 11 août 1939, le parti précise « Nous ne demandons aucune adhésion aux prisonniers pour les faire libérer. Ceux qui adhèrent à leur sortie sont évidemment nombreux, mais nous n’usons d’aucune contrainte. Nous voulons en effet que les adhésions soient spontanées et sincères. » Cette déclaration sera contredite par certains témoignage de prisonniers ayant reçu la visite de militant du parti à leur retour chez eux. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que ces hommes ont signé un engagement de ne jamais prendre les armes contre les autorités d’occupation. Il est difficile de savoir quel a été exactement le nombre de prisonniers libérés. D’après certains témoignages et rapports de gendarmerie, car bon nombre de ces prisonniers vont être interrogés à la Libération sur les conditions de leur retour d’Allemagne, entre 5 et 600 hommes seraient rentrés chez eux jusqu’à Noël 1940, date du dernier convoi. On imagine que le fait de revenir au pays quelques mois seulement après l’armistice va susciter bien des interrogations dans le voisinage… Interrogé par les gendarmes, notre prisonnier libéré de Pleucadeuc va finir par reconnaitre : « qu’il avait assisté courant 1941 à un congrès organisé par le PNB à Rochefort-en-Terre et qu’il s’était abonné à L’Heure-Bretonne. Si j’ai adhéré au PNB c’est uniquement pour rentrer d’Allemagne car je n’ai jamais été un vrai autonomiste breton. »
Sur un document inédit de sept pages, malheureusement sans date ni indication d’origine, retrouvé dans les archives du CDL et intitulé « Prisonniers libérés. Liste des adhérents du Parti National Breton (ont versé la cotisation de 10 frs pour 1941) » on relève 278 noms et adresses de prisonniers revenus probablement au mois de décembre 1940. Sur ces 278 prisonniers : 84 sont domiciliés dans le Finistère ; 45 en Ille-et-Vilaine ; 36 dans les Côtes-du-Nord ; 36 en Loire-Inférieure ; 29 dans le Morbihan, le reste hors de Bretagne.
Parmi ces prisonniers libérés ayant versé une cotisation au PNB en 1941, on relève le nom de Théodore Clanchin, qui avait été mal orthographié sur les fiches des adhérents, commerçant en beurre et œufs de Marcillé-Raoul (35). Dirigeant avec son frère une entreprise de négoce prospère, Théodore Clanchin a été fait prisonnier en juin 1940 puis envoyé au stalag 4B de Mühlberg. Cet industriel n’est pas un inconnu puisqu’une place porte aujourd’hui son nom à Marcillé-Raoul. Ce cas parmi d'autres n'aurait en rien attiré mon attention si Reynald Secher ne lui avait consacré un chapitre sur le récit de sa captivité habilement placé au milieu de biographies de résistants de la première heure dans son livre « Histoires de résistants en Bretagne ». Si l’historien nous décrit les conditions de détention du prisonnier, il se garde bien d’évoquer son adhésion au PNB : « Les repas sont frugaux, rarement chauds. La nourriture est presque exclusivement composée de rutabagas trempés dans de l’eau. Les pommes de terre sont très rares. Les organismes s’affaiblissent, victimes des restrictions. En quatre mois, Clanchin perd 29 kilos sur 76 ! à 34 ans il pèse 47 kilos ! La mort est omniprésente, extrêmement douloureuse pour les survivants, traumatisante pour les proches, toujours étonnés d’être encore vivants d’autant qu’elle n’est pas une fatalité mais la suite logique de privations et de l’inexistence de soins. Cependant avec la paix dite de Montoire, où Pétain et Hitler se rencontrent, le 24 octobre 1940, les conditions de vie s’améliorent, les gardiens deviennent moins brutaux, les repas sont diversifiés, de plus en plus de colis arrivent intacts. Mais certains hommes porteront tout le reste de leur vie les traces de ces premiers mois de captivité. Alors que Théodore Clanchin dépérit en Allemagne, son épouse Suzanne se meurt d’un cancer dans la maison familiale. Son cas est désespéré. La tante de Théodore, institutrice à Betton, Mme Lendormy, sachant l’issue fatale, entreprend des démarches énergiques afin d’obtenir sa libération. Aussi sa surprise est-elle totale lorsque, convoqué par le commandant du camp, celui-ci lui annonce sa remise en liberté. La demande a été facilitée par la politique générale du Reich qui consiste à accentuer les divisions au sein des nations vaincues en favorisant les minorités, comme celles des Bretons, et les sécessions. Le 30 novembre, Théodore Clanchin est transféré au camp 0/1 II de Luckinivald (sic). Là il retrouve un certain nombre de connaissances rennaises ou doloises. La stupeur est générale, le doute réel mais l’espoir immense. Ces hommes éprouvés physiquement, épuisés, rongés par la dysenterie, croient pour la 1ère fois depuis longtemps à leur libération. Le 10 décembre, le groupe d’une soixantaine de Bretons quitte le camp afin de prendre le train pour la France. » 
L’Ouest-Éclair 3 mai 1941
Certes, la situation sanitaire des camps de prisonniers était déplorable, notamment durant les premiers mois de captivité, avec pour conséquences des épidémies favorisées par une alimentation insuffisante ou de mauvaise qualité. Mais que dire alors sur ce qu’ont vécu les hommes et les femmes déportés vers les camps de concentration et qui, pour ceux qui survivront à l’horreur nazie, ne reviendront qu’en 1945 ? Et que dire des camps d'extermination qui, par définition, étaient destinés à éliminer systématiquement tous les Juifs ?
Quoi qu’il en soit, Théodore Clanchin est de retour au pays après six mois de captivité. Rétabli, il reprend ses activités commerciales avec succès puisqu’il est chargé de mission du Secrétariat d’État au Ravitaillement puis, le 3 mai 1941, nommé répartiteur départemental lors d’une réunion syndicale des marchands et expéditeurs de beurre et œufs d’Ille-et-Vilaine. Il sera ensuite promu comme directeur régional des quatre départements bretons.