vendredi 25 mars 2016

Pâques 1916 ou le paradigme irlandais des nationalistes bretons

L’exemple irlandais

Le vaste réveil des nationalités qui marqua tout le XIXe siècle en Europe incita inévitablement les nationalistes bretons à chercher des modèles. C’est vers l’Irlande que se tournèrent les regards, tant les similitudes entre ce pays et la Bretagne paraissaient évidentes de par leurs origines celtes communes. En outre, et contrairement à la plupart des autres nations européennes, l’influence de la religion catholique y était encore prépondérante. Un peu trop même, pour certains nationalistes qui trouvaient que le clergé n’avait que trop maintenu ces deux peuples dans l’ignorance et la superstition (Ah, si la Bretagne avait été protestante !) D’autre part, les langues d’origine de ces deux peuples avaient fait l’objet de mesures répressives visant à les faire disparaitre. Si l’on ajoute que ces pays pauvres, sans grande industrie, dépendaient essentiellement des ressources agricoles ou maritimes, on comprendra qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’au début du XXe siècle, le mouvement breton puisa son inspiration en cette verte Erin où le mythe devenait réalité. De tous les pays celtiques, l’Irlande semblait donc la plus proche.

Sur le plan culturel, depuis la parution en 1839 du Barzaz Breiz, que s’appropriera le nationalisme breton moderne, la Bretagne disposait d’un corpus littéraire comparable aux Mabinogion du Pays de Galles et du Cycle Fenian de l’Irlande. La publication de ces poèmes bretons traditionnels suscita chez de nombreux intellectuels français, mais aussi partout en Europe, un respect et une admiration pour la langue et la culture bretonnes jusque-là largement ignorées, sinon méprisées. Le début du siècle voit aussi se mettre en place le mouvement des congrès panceltiques, qui va permettre de tisser des liens entre les différentes communautés celtes. En mars 1913, la revue Brug, que vient de lancer Émile Masson, écrit : « L’Irlande est sœur de la Bretagne, sœur de race, celte pure, sœur d’infortune aussi, ayant pâti sous le joug de l’État bourgeois anglais, comme a pâti la Bretagne sous le joug de l’État bourgeois français. » La Première Guerre mondiale va interrompre cette production, la plupart des revues cessant de paraitre. Après la fin du conflit, les journaux bretons vont à nouveau développer des chroniques régulières du style
« Nouvelles d’Irlande » qui deviendra « Panceltia » dans le journal Breiz Atao par exemple, qui consacre de nombreuses pages à l’actualité politique irlandaise, ainsi cet article de Morvan Marchal d’août-septembre 1925 « Le Sinn Fein a voulu la vie de l’Irlande, les nationalistes bretons veulent la vie de la Bretagne, nous ne concevons la Bretagne que celtique ». Cette même année, l’Unvaniez Yaouankiz Vreiz (Union de la jeunesse bretonne) délègue Hémon, Mordrel et Marchal au congrès interceltique de Dublin. Le Bleun-Brug est représenté par Drezen et l’Union Régionaliste Bretonne par Taldir Jaffrennou. Lors de ce séjour en Irlande, Mordrel et Marchal ne laisseront pas de bons souvenirs à leurs hôtes, tant leur conduite fut jugée inconvenante. Dans son ouvrage Breiz Atao, Mordrel revient sur ce voyage : « Le fantôme de la Semaine de Pâques, cette folie romantique pour les autres, cet acte raisonnable et calculé pour ceux de notre race – et qui fut payant – hantait nos rêves. Mille fois, nous nous endormions en combattant dans l’hôtel des postes de Rennes transformé en blockhaus et nous dormions heureux, sentant confusément qu’un acte de violence symbolique, qu’un sacrifice volontaire de la vie, une révolte même manquée aurait sur notre peuple dénaturé la valeur d’un traitement de choc, capable de causer une mutation psychologique. Comme le prouvera le coup du 7 août 1932, nous avions senti juste. » (1) En 1932, le journal Breiz Atao informe ses lecteurs que Louis-Napoléon Le Roux vient de faire paraitre La vie de Patrick Pearse.
Ensuite, en 1935, c’est Ernest Joynt qui publie à Rennes son Histoire de l’Irlande : des Origines à l’État Libre, avec cette présentation des éditeurs « L’histoire de l’Irlande est au plus haut point suggestive pour les Bretons. Puissent nos compatriotes puiser dans le tableau fidèle du passé de l’Irlande, tracé avec amour et talent par M. E. Joynt, un des hommes les plus éminents du mouvement gaélique moderne, la force morale nécessaire au salut de la Bretagne. » Sous l’Occupation, en 1942, est également éditée par le PNB une brochure intitulée L’exemple de l’Irlande « Dans la lutte que nous menons pour la libération de la Bretagne, rien ne peut nous être plus profitable que l’étude des efforts accomplis et des méthodes employées par nos frères d’Irlande pour conquérir
leur autonomie. » Cependant, de tous ces ouvrages, c’est assurément la biographie controversée de Dan Breen My Fight for Irish freedom, qui avait été publiée en 1921 à Dublin, qui rencontrera le plus de succès. L’ouvrage va être traduit en français par un certain Robert Kadig et édité à Rennes en 1939 sous le titre Mon combat pour l’Irlande. Lorsque l’on sait que ce « Kadig » n’est autre que Bob Le Helloco, un des responsables du PNB, l’affaire du « Gwalarn », son bateau échoué au mois d’août 1939 sur une plage de Locquirec avec des armes allemandes, avait tout d’un remake plutôt cocasse des évènements de Banna Strand.

Pâques 1916, de l’insurrection à la résurrection

Si les liens culturels établis avant-guerre par les régionalistes bretons avec l’Irlande ont porté leurs fruits, il n’y a pas réciprocité. La nouvelle génération des militants bretons se radicalise. Pour ces jeunes nationalistes, tel le Christ ressuscité, le soulèvement de Pâques 1916 doit aussi symboliser la rédemption de la Bretagne. Un des héros emblématiques de cette insurrection est assurément Roger Casement qui considère alors que la guerre mondiale est une opportunité pour l'Irlande si elle veut se rebeller contre l'Angleterre « Nous avons présents à l’esprit l’expérience de Roger Casement quand pour lever une brigade irlandaise en 1915 il avait visité le camp de
Limburg où les prisonniers irlandais de l’armée britannique avaient été rassemblés. Tout ce qu’il avait récolté était des insultes et des coups, pour arriver au résultat, au bout de plusieurs mois, de grouper une cinquantaine de lascars dont une bonne quarantaine de gouapes authentiques. » (2) Malgré cet échec, Casement obtient des Allemands une livraison d’armes. Le chalutier allemand « Aud », battant pavillon norvégien, quitte donc le port de Lübeck le 9 avril 1916 avec dans ses cales 20 000 fusils plus les munitions. Trois jours plus tard, le 12 avril, un sous-marin allemand, chargé de convoyer le chalutier quitte à son tour le port de Kiel avec à son bord Casement. Le chalutier devait livrer ses armes le jeudi 19 avril. Le jour-dit, le bateau mouille dans la baie de Tralee mais, malgré plusieurs signaux, il n’y a personne pour réceptionner la cargaison. Rester plus longtemps présentant trop de risques, le commandant du chalutier décide de reprendre la mer le Vendredi saint. En fin de journée, il est arraisonné au large de Queenstown par la Royal Navy. Plutôt que de livrer ses armes, le commandant préfère saborder son navire. Le samedi 21, le sous-marin arrive à son tour dans la baie de Tralee. Casement et deux coéquipiers prennent place à bord d’un petit canot pneumatique et débarquent sur la plage de Banna Strand. Épuisé, Casement s’endort dans une prairie. Mise en alerte par le sabordage du chalutier « Aud », dont les marins rescapés avaient parlé, la police irlandaise patrouille et découvre le canot sur la plage. Une battue est organisée et Casement arrêté le jour-même.

La harpe et la croix gammée

Bien avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, les Allemands, et surtout l’Abwehr, avaient réactivé leurs contacts avec l’IRA par l’intermédiaire de deux hommes, plus ou moins espions ou agents de liaison : l’Irlandais Jim O’Donovan et le Breton Fred Moyse, un nationaliste qui réside à Bruxelles. O’Donovan avait rencontré Moyse une première fois dans la capitale belge au mois d’août 1938. On ne sait pas si à cette occasion il avait également rencontré Debauvais, qui était alors réfugié chez Moyse à la suite d’un mandat d’arrêt lancé contre lui. En apparence, O’Donovan est un fonctionnaire respectable, père de quatre enfants. Il est pourtant le concepteur du S-Plan, cette campagne de sabotages et d’attentats perpétrés par l’IRA dans plusieurs villes anglaises en
1939-1940. O’Donovan se rend à trois reprises en Allemagne, dont une fois avec sa femme, durant l’année 1939 pour le compte de l’IRA. En février, il négocie avec l’Abwehrstelle de Hambourg sur des agents potentiels, une livraison d’armes et de matériel radio en cas de guerre. Au mois d’avril il est de nouveau à Hambourg pour l’organisation d’un courrier secret vers l’Irlande via Bruxelles et Londres en utilisant Fred Moyse qui fera plusieurs passages à Londres où un breton de Dublin, Léo Millardet, également du PNB, le met en relation avec les Irlandais. Au mois d’août, Moyse rencontre à nouveau O’Donovan en Allemagne. Un colonel SS, Edmund Veesenmayer, chargé des relations avec l’Irlande au sein de l’Abwehr, demande à Moyse de se rendre en Angleterre pour remettre aux irlandais le code radio qu’il avait oublié de remettre à O’Donovan, ainsi que 50 000 livres sterling pour l’IRA. Les Allemands envisagent ensuite de faire passer Moyse en Irlande. Le poste émetteur avec lequel l’IRA transmettait ses messages ayant été confisqué par la police, il fallait en passer un autre sur l’île « L’occasion fut l’arrivée de Sean Russel à Berlin. Il était comme blind passenger des États-Unis à Gênes, où un agent secret alla le chercher. Depuis des semaines on me bourrait de leçons de radio et de morse. L’avantage était que Sean avait les relations nécessaires dans le pays et moi la connaissance du matériel. En outre, je pouvais assister le chef de l’IRA physiquement, car sa santé était pitoyable. » Le plan ne se fera pas, les Allemands déclenchant l’offensive à l’Ouest, Debauvais s’oppose à son départ. Pour le projet irlandais, à défaut de pouvoir employer Moyse, les Allemands décident d’aller chercher l’ancien leader Franck Ryan, qui avait commandé les Irlandais des Brigades Internationales et moisissait dans les prisons espagnoles dans l’attente d’une exécution. L’affaire fut arrangée par voie diplomatique et des agents allemands l’enlèvent. Au mois d’août 1940, Ryan et Russel sont embarqués dans un sous-marin pour l’Irlande, mais Russel décèdera à bord.

French difficulty, Breton opportunity

Décidément, jamais les Allemands n’ont autant vu de Celtes qu’en cette année 1939. Au mois de juillet en effet, Lainé et Le Helloco se rendent à leur tour en Allemagne pour obtenir des armes auprès de l’Abwehr. Commence alors ce que les nationalistes bretons ont appelé l’opération « Abadenn Casement ». Un cargo en provenance de Stettin transborde sa cargaison d’armes et d’affiches de propagande sur le « Gwalarn », un dundee qui appartient à Bob Le Helloco. Lors du transbordement, au large de la Bretagne, une caisse d’affiches tombe malencontreusement à la mer. Elle sera récupérée par des pêcheurs et remise à la police de Jersey qui, voyant son contenu, prévient la police française. Dans la nuit du 8 au 9 août 1939, le « Gwalarn » s’échoue sur la plage des Sables Blancs, de Locquirec. Les nationalistes bretons auront plus de chance que leurs prédécesseurs irlandais de Banna Strand puisque les armes seront récupérées par les membres du Service Spécial de Lainé. Malgré tout, alertés par un témoin de la scène du débarquement, les gendarmes sont sur place dès le lendemain et arrêtent Le Helloco, Ange Péresse et Jacques Bruchet. Une fois le rapprochement fait avec la caisse découverte à Jersey, les arrestations vont se multiplier parmi les membres du PNB. Sentant le danger venir, Mordrel et Debauvais prennent la fuite et se réfugient le 28 août chez Fred Moyse à Bruxelles. Le lendemain, ils sont en Allemagne où ils installent à Berlin un « Gouvernement breton en exil » en compagnie de Fred Moyse. Parmi les visiteurs, un certain… Franck Ryan (qui était sourd comme pot parait-il) Un moment de temps, tel Roger Casement, Debauvais envisagea lui aussi de se faire débarquer par un sous-marin allemand sur les côtes bretonnes pour prendre la tête d’une organisation clandestine de combat. Plus réaliste, Mordrel l’en dissuadera.

Avec l’afflux de prisonniers bretons en Allemagne, consécutif à la défaite de l’armée française en juin 1940, de nouvelles perspectives s’offrent aux chefs nationalistes. L’objectif est de renouveler l’expérience de Roger Casement auprès des prisonniers irlandais détenus en Allemagne lors de la Première Guerre mondiale « Nous fîmes la proposition à l’Abwehr que les prisonniers appartenant aux minorités nationales de l’Europe occidentale soient mis dans des camps séparés. Une expérience avait déjà été faite, sans le vouloir, avec l’équipage du cargo Rawaldpindi, tous Écossais, qui avaient été interné à part. Stauffenberg, qui les avait inspectés, était revenu très impressionné par leur standard physique et leur comportement altier. » (3) Dans un premier temps, quelques militant du PNB qui avaient été fait prisonniers sont repérés par Debauvais et son équipe puis chargés de faire le tour des stalags et oflags afin d’y sélectionner des prisonniers bretons qui seront regroupés au camp de Luckenwalde. En échange d’une adhésion au PNB, quelques centaines d’hommes rentreront ainsi en Bretagne jusqu’à la fin du mois de décembre 1940. Dès le mois de juin, une cinquantaine de jeunes gens, soit à peu près l’équivalent des recrues de Casement, avaient déjà pris la route pour Pontivy où s’engageront dans le « Service Spécial » de Célestin Lainé, qui deviendra la Bezen Perrot en décembre 1943.

Les Allemands ayant abandonné définitivement leur projet d’invasion de l’Angleterre à partir des côtes bretonnes, ils continueront néanmoins de soutenir discrètement les nationalistes bretons. Même si les renseignements Généraux continuent de les surveiller attentivement  « Ambrose Martin, sujet irlandais domicilié à Plobannalec a été identifié comme membre de l’IRA, ses rapports avec le PNB et ses déplacements à Madrid sont suspects », les relations avec les Irlandais ne sont plus d’une grande utilité.

Par contre, le mythe du soulèvement de Pâques 1916 et la figure de Casement restent bien présents dans l’esprit des jeunes recrues de la Bezen Perrot. Le plus bel exemple est assurément celui de Xavier Mordellet, alias « Rual » ou « Le mousse », un cadet de la formation, puisque né le 31 août 1927 au Mans. Je l’ai rencontré à quelques reprises chez lui à Pontrieux. La dernière fois c’était avec une équipe de la RTE qui réalisait un documentaire sur les nationalistes bretons réfugiés en Irlande après la guerre. Il m’avait alors donné un manuscrit d’une vingtaine de pages où il explique comment il s’était engagé à la Bezen en juillet 1944. Alors qu’il rêvait d’être marin, chose devenue impossible sous l’Occupation, lors de la rentrée scolaire de 1940 le jeune Mordellet se retrouve dans un collège technique pour devenir ajusteur. Passionné de culture bretonne de part ses origines, il s’inscrit à un cercle celtique où des camarades lui font découvrir le nationalisme breton « Par leur intermédiaire, j’ai pu lire d’abord occasionnellement, puis régulièrement L’Heure Bretonne, puis j’ai eu l’occasion de lire des livres sur la Bretagne et son histoire, mais aussi sur l’Irlande et en particulier des livres sur la lutte des Irlandais contre les Anglais pour reconquérir leur indépendance. J’ai lu la traduction de Dan Breen, un livre sur la révolte de pâques 1916 et d’autres livres du même genre. La révolte de Pâques 1916 avait été faite avec des armes données par les Allemands, à l’époque les Irlandais disaient « English difficulty, Irish opportunity », ce soulèvement échoua et les Anglais massacrèrent de nombreux nationalistes irlandais et la révolte repris des années plus tard et permis aux Irlandais de retrouver leur indépendance. » S’il est un ouvrage qui figurait dans la bibliothèque de nombreux militant du PNB, c’est bien Mon combat pour l’Irlande, et non le Barzaz Breiz, que peu de gens, hormis l'intelligentsia bretonne, avaient lu, contrairement à ce qui a été affirmé de manière très péremptoire dans le documentaire « La découverte ou l’ignorance » de Vincent Jaglin.

Rien dans sa famille ne prédisposait le jeune Mordellet à rejoindre les rangs du PNB. Sa mère était « plutôt de droite et très catholique », alors que son père, originaire de Saint-Brieuc, « était plutôt de gauche. On écoutait Radio-Londres en cachette à la maison. Mes parents étaient pour De Gaulle, malgré quelques critiques ». Le père étant revenu diminué de la Première Guerre mondiale, c’est la mère qui détient l’autorité. C’est ainsi que le garçon va faire sa première communion et fréquente les scouts, ce qui n’était pas très bien vu par certains de ses professeurs. « Mais maintenant, à 14-15 ans, j’avais plus de liberté et quand les copains du cercle celtique m’ont dit que, encouragés par les nationalistes du PNB, ils avaient formé une section des Bagadoù Stourm, j’ai trouvé normal de les rejoindre pour faire comme avaient fait les Irlandais. On allait quelques fois faire des marches dans les bois des environs du Mans, on a reçu plusieurs fois la visite du chef Yann Goulet et on voulait lutter pour faire rendre leurs droits aux Bretons… Il y avait bien un problème : les Allemands, on n’était pas pour eux, mais on voulait profiter de leur présence qui avait permis la renaissance d’un mouvement nationaliste breton que l’État français avait combattu et même interdit avant-guerre. Dans l’ensemble on faisait référence à l’Irlande et à la façon dont ils avaient combattu pour retrouver leur indépendance. » Dans le courant de l’année 1943, Mordellet veut rejoindre de Gaulle et la France libre « Mais je ne savais pas comment : par l’Espagne ? Mais on disait que les Espagnols remettaient aux Allemands ceux qui traversait le pays pour rejoindre en Afrique du Nord la France libre ». Cette année est aussi marquée par les premiers attentats contre les membres du PNB les plus compromis avec l’occupant. Mais c’est surtout l’exécution du curé de Scrignac, le 12 décembre 1943, qui sonne comme un véritable coup de semonce pour les nationalistes bretons.  « On appris qu’il s’était formé un groupe militaire (en réalité il existait déjà depuis longtemps) qui pris le nom de Bezen Perrot, du nom de l’abbé assassiné par la résistance communiste, et le Bezen Perrot était connu pour défendre et protéger les Bretons et avait été constitué pour combattre pour l’indépendance de la Bretagne à l’imitation des nationalistes irlandaisEn attendant on faisait toujours un peu d’entrainement aux Bagadou Stourm mais j’étais de plus en plus écœuré par les assassinats de nationalistes bretons qui avaient redoublés avec le débarquement des alliés. Fin juin j’appris par les journaux l’assassinat de toute une famille bretonne : le père, la mère et je crois un enfant de 6 ans et un bébé de quelques mois dans son berceau. Mon sang n’a fait qu’un tour. Je partis aussitôt pour Rennes rejoindre la Bezen Perrot pour d’abord protéger les nationalistes bretons puis ensuite en luttant contre l’État français pour libérer la Bretagne comme les Irlandais avaient fait. » Au mois de juin 1944, Mordellet se rend une première fois au siège de Breiz Atao, rue le Bastard, pour obtenir des renseignements sur la Bezen. Il dit alors à Lainé qu’il allait réfléchir et qu’il s’enrôlerait pour un mois « à titre d’essai » Effectivement, début juillet, après avoir rassuré ses parents en leur disant qu’il partait rejoindre un maquis, Mordellet débarque à Rennes « Pendant le mois que je passais à la Bezen Perrot, je ne fis rien d’autre que de monter la garde rue Lesage où était la direction. Je m’aperçu, contrarié, qu’ils collaboraient beaucoup avec les Allemands. C’était chez eux que l’on mangeait et c’est aussi avec des Allemands que certains partaient en mission, contre certains résistants. J’ai eu peu de contacts avec les autres de la Bezen, ceux qui partaient en mission avec les Allemands, ils ne logeaient pas rue Lesage mais plus loin. » Mordellet envisage bien de déserter, mais craint des représailles contre ses parents. Finalement, lors de la retraite de la Bezen vers l’Allemagne, au mois d’août 1944, il déserte en Haute-Marne en compagnie de
Texte de Christian J. Guyonvarc'h, 1943
Christian J. Guyonvarc’h, alias « Cadoudal » et d’Yves Le Négaret, alias « Lizidour ». Fait prisonniers par les Américains, ils sont rapatriés sur Rennes pour y être jugés
« J’ai été interrogé plusieurs fois, mais je ne savais presque rien n’ayant été qu’un mois à la Bezen et n’ayant jamais été en mission. Mes parents me donnèrent un avocat et vinrent me voir à Rennes. Je restais huit mois en prison avant de passer en justice. La seule chose qu’il y avait contre moi c’était d’avoir monté la garde rue Lesage, et ce qu’il y avait pour moi c’est que je n’avais que 16 ans au moment des faits. De plus je citais involontairement un jeune « Bryan » Bouessel du Bourg, qui était venu à la Bezen un moment avant de repartir. Ce que je ne savais pas à ce moment là, c’est que son père était dans la justice à Rennes. Si j’avais cité son nom c’est parce que j’avais dit que je voulais quitter la Bezen comme lui ! J’ai été acquitté comme ayant agit sans discernement. Á la suite je suis retourné chez mes parents. » Mineur au moment des faits, Mordellet doit être examiné par un psychiatre chargé de mesurer son degré de responsabilité : « Il ne semble pas avoir eu de sentiments pro-allemands, son engagement dans la formation Perrot est la manifestation de son instabilité habituelle et de la difficulté qu’il a de réagir seul contre toute situation où il a été entrainé. » Pour l’assistante sociale, qui a enquêté sur son passé : « C’est un garçon ayant peu de personnalité, vivant dans le rêve, susceptible d’être généreux pour n’importe qu’elle cause. Il n’a qu’une idée « la marine » et la mer qu’il n’a jamais vue. Bien encadré, Mordellet pourrait servir dans un régiment, par exemple à l’armée coloniale. Il aurait tous les risques désirés, il verrait la grande bleue et travaillerait pour une bonne cause. Cette solution ne pourrait-elle être envisagée comme rachat ? » Célestin Lainé a toujours été fasciné par le complot et l'action directe
« Nos deux bases : Irlande et Prusse », à l'image de la milice des Irish Volunteers, céée en 1913, et qui se fondra dans l'IRA, le bras armé du Sinn Fein. En 1930, il fonde le groupe Gwenn-ha-Du à l'origine de l'attentat du 7 août 1932 à Rennes. En 1936, c'est le Kadervern (Sillon de combat) sur le modèle de l'IRA, qui deviendra le Lu Brezhon (Armée bretonne) en 1940. Sous l'Occupation ce sera le « Service Spécial », qui deviendra à son tour la Bezen Cadoudal en 1943 puis enfin la Bezen Perrot, qui devait être le bras armé du Parti National Breton version Debauvais et finira comme unité de police allemande sous uniforme Waffen SS.

Du mythe à la réalité

Collection privée Kristian Hamon
Parmi les membres de la Bezen qui se sont repliés en Allemagne au mois d’août 1944 et qui seront condamnés à mort par contumace, certains utiliseront les filières vaticanes ou espagnoles pour rejoindre l’Amérique du Sud. D’autres resteront en Allemagne sous une fausse identité. L’Irlande reste cependant la destination naturelle des nationalistes bretons désireux de se faire oublier. Ainsi André Chevallier, alias « Mareg », en fuite en Allemagne et qui revient en France en avril 1945. En janvier 1946 il récolte 500 000 F auprès de sympathisants nationalistes bretons pour acheter un bateau et gagner l’Irlande. Il sera
arrêté au mois de mars au Sables-d’Olonne en compagnie de quatre autres bretons. Jean Miniou, alias « Braz », lui aussi en fuite en Allemagne revient en France au mois d’avril 1945. Il sera arrêté avec de faux papiers au nom de Hamon et une lettre en anglais de M. Purcell, personnalité irlandaise de Paris qui le recommande à Mac-Donald consul d’Irlande pour lui procurer un moyen de gagner l’île. Finalement, c’est grâce à la filière mise en place par Yann Fouéré, qui évoque cette période dans son livre La maison du Connemara, que la plupart des nationalistes bretons recherchés par la justice française vont s’installer en Irlande jusqu’à une hypothétique amnistie. René-Yves Hervé, alias Marcel à la Bezen, condamné à mort par contumace, prendra la fuite en Irlande mais préférera revenir en Allemagne. Désireux lui aussi d'aller voir si l'herbe y était plus verte, Mordellet, une fois libéré de ses obligations militaires, décide de s’installer sur l’île. Il en reviendra totalement dépité avant de devenir matelot (Il en ramènera un vaste répertoire de chants de marins)  : « Les filles étaient farouches et il y avait trop de curés » me raconta-t-il. Ce n’est pas l’auteur de ces lignes qui le contredira. On a du mal à comprendre aujourd’hui ce qu’était le poids de l’Église catholique sur la société irlandaise de cette époque, pourtant pas si lointaine. Il faut imaginer un garçon se rendre à la pharmacie de son village du Donegal avec une ordonnance du médecin, obligatoire pour obtenir une boite de préservatifs. En 1973, lors d’un voyage sur l’île - le « Journal irlandais » d'Heinrich Böll en poche - dont je fis le tour en auto-stop, j’avais eu l’idée de constituer préalablement un petit stock de préservatifs qui ont été revendus avec un léger bénéfice, équivalent à mon billet du ferry, à des étudiants de Trinity College. Il n’y avait rien d’illégal à cela, car c’est justement en 1973 que la Cour suprême autorisa l’importation des préservatifs (affaire McGee) sur l’île. Pâques étant aussi une période de rémission des péchés, que Dieu pardonne au petit dealer que j’étais, mais l’Église, qui jugeait l’usage du préservatif immoral, pesait de tout son poids pour en limiter l’utilisation. Avec une totale hypocrisie d’ailleurs, puisque ce n’était pas l’usage du préservatif qui était prohibé, mais sa vente ! C’est ainsi que parmi les nombreux pèlerins irlandais qui se rendaient à Lourdes, certains se ruaient discrètement sur les pharmacies de la ville. Ce n’est qu’en 1993 que la vente des préservatifs sera autorisée sans limite d’âge.
(1) Olier Mordrel, Breiz Atao, p. 78
(2) Mordrel, op. cit. p. 226
(3) Mordrel, op. cit. p. 264


Ajouté le 31 mars
De la nuit à l'aurore, page 187
Parmi les membres de la Bezen Perrot, Jean Guyomard, alias « Pipo », est né le 29 juillet 1921 à  Guingamp. Considéré comme une brute par ses camarades, il faisait partie du groupe d’André Geffroy « Ferrand » présent à Locminé. Il prendra la fuite en Allemagne où il recevra le grade d’Unterscharführer. Il va s’exiler lui aussi en Irlande, mais sans possibilité de retour, compte-tenu de sa condamnation à mort par contumace. Jean Guyomard était un ancien élève du lycée Anatole Le Braz de Saint-Brieuc et copain du jeune Paul Chaslin, entré au mouvement « Défense de la France » en septembre 1942. Chaslin voulait rejoindre la France libre en passant par l’Espagne en entrainant avec lui trois autres lycéens : Jean Le Bail, Jean-Paul Le Moël et Jean Guyomard. Malheureusement ce dernier, déjà tenté par les thèses autonomistes, préféra rester en Bretagne pour préparer le concours d’entrée à l’école d’Hydrographie de Paimpol. Il s’engagera ensuite à la Bezen.
Grande figure de la Résistance mais aussi des Éclaireurs de France, Paul Chaslin a été fait commandeur de la Légion d’honneur, décoration remise par son amie Marie-Josée Chombart de Lauwe. Il est décédé en 2012. Dans le livre De la nuit à l’aurore, des lycéens dans la guerre 1939-1945, Lycée Anatole Le Braz, publié en 1995, Paul Chaslin revient sur son étonnante rencontre avec Guyomard.

mardi 1 mars 2016

Du risque d'utiliser des pseudonymes dans un ouvrage d'histoire



Il est particulièrement pénible de se voir constamment accusé de falsifier des documents d’archives par mon habituelle contemptrice pour la simple raison d’avoir utilisé des pseudonymes à propos d’hommes et de femmes gravement compromis avec l’occupant. Ce dénigrement systématique, y compris sur le fait que je sois membre de l‘ANACR (Association des Amis et Anciens Combattants de la Résistance) et de l’AERI (Association pour des Études sur la Résistance Intérieure) m’oblige donc à expliquer pourquoi je n’ai pas souhaité, à tort ou à raison, révéler la véritable identité de certains personnages cités dans mon dernier ouvrage. 
« J’ai accompli pour de justes causes des actes injustes, et de cela je me repens. » Maurice Druon, Les Rois maudits, tome 2, « La Reine étranglée ».


René-Yves Hervé et Mathilde le Gall

L’histoire du livre « Agents du Reich en Bretagne » trouve son origine dans un mail que m’adressa Ingeborg, une Allemande à qui son père, ancien membre du Bezen Perrot, venait de révéler qu’il était breton et vivait sous une fausse identité dans le Schleswig-Holstein depuis la fin de la guerre. Le seul indice fourni par Ingeborg étant le pseudonyme de son père, appelé « Marcel » au Bezen, il ne m’a pas été difficile de l’identifier puisque j’avais déjà consulté son dossier, qui était vide, à part une lettre manuscrite. Récemment, alors que je faisais des recherches sur une autre personne dont le dossier était dans la même boite que celui de notre membre du Bezen, j’ai rouvert le dossier de « Marcel » et découvert une belle photographie de ce garçon ainsi que plusieurs documents et une carte d’étudiant qui m’auraient été bien utiles lors de mes recherches sur le Bezen Perrot. J’imagine que ces pièces ont été réintégrées bien après ma première consultation car je puis certifier, ayant pris l’habitude de numéroter chaque pièce d’un dossier, qu’elles n’y figuraient pas auparavant. Cela peut arriver, comme le fait de trouver ensuite et tout à fait par hasard des témoignages ou procès-verbaux dans des dossiers d’instruction autres que celui de l’inculpé et dont le juge n’avait même pas connaissance au moment du procès. De mauvais esprits en concluront évidemment que l’historien a omis volontairement de citer ces documents pour toujours essayer de minimiser les exactions de ces collabos bretons.

Ingeborg voulant savoir ce qu’avait été réellement l’activité de son père sous l’Occupation, il me fallait absolument connaître le nom de jeune fille de son épouse, puisqu’il était marié au moment des faits, en espérant qu’elle fut arrêtée puis interrogée. Dès lors qu’elle obtint ce précieux sésame, il ne me restait plus qu’à me rendre dare-dare (c’est bien le terme…) aux Archives voir s’il y avait un dossier au nom de cette femme. Ce qui était le cas, puisqu'elle s'était livrée aux Américains lors de sa fuite en Allemagne avec son enfant, puis renvoyée en France pour y être jugée. Au vu de son épaisseur, j’ai tout de suite compris que je n’avais pas affaire à une simple affaire d’indignité nationale. Il ne me restait plus qu’à dérouler cette pelote de laine pour découvrir la gravité des faits reprochés à ce jeune couple machiavélique. Je ne vais pas refaire ici l’historique de leurs exactions, tout est détaillé dans le premier chapitre du livre « Agents du Reich en Bretagne ». Je ne sais pas ce qui fut le plus pénible pour Ingeborg : découvrir les crimes commis par son père ou bien savoir qu’il avait un enfant issu de son premier mariage, donc son demi-frère, qu’elle recherchait. J’ai trouvé la démarche de cette femme (nous avons le même âge) bouleversante. J’ai alors pris la décision de ne pas révéler la véritable identité, y compris allemande, de « Marcel » et de sa première femme, ne voulant pas en rajouter au désarroi d’Ingeborg et probablement de son demi-frère. Et puis qu’est-ce que cela apportait de plus à la compréhension de l’histoire de savoir que ce membre du Bezen s’appelait Dupond ou Durand ? Voilà pourquoi, dans le premier chapitre du livre, j’ai utilisé les pseudonymes d’Alain Guerduel et de Marie Kerlivan. Précaution bien inutile aujourd’hui puisque l’on peut découvrir leur véritable identité sous les plumes de Françoise Morvan et d’Yves Mervin. Il s’agit donc de René-Yves Hervé, alias « Marcel » ou « Philippe », né le 3 juin 1921 à Lézardrieux, condamné à mort par contumace, et de Mathilde Le Gall, alias « Hélène », née le 19 août 1920 à Loc-Envel, condamnée aux travaux forcés à perpétuité, peine commuée en 15 ans de travaux forcés en 1950, dégradation nationale à vie. Elle est aujourd’hui décédée. Cet homme et cette femme, agents des Allemands, n’avaient donc que vingt ans lorsqu’ils ont infiltré puis dénoncé le groupe Gallais, de Fougères, en 1941. Grâce au dossier de Mathilde, j’ai pu reconstituer avec précision l’histoire tragique du groupe Gallais. Et pourtant, le pire était à venir.


Gérald Gallais

En effet, le 9 octobre 1941, la police allemande procédait à une vaste rafle sur Fougères. La première perquisition a eu lieu au domicile de la famille Gallais. René Gallais, son épouse Andrée, leurs enfants Huguette et Gérald ont été arrêtés puis emmenés à l’hôtel des Voyageurs, où les autres membres du groupe – une cinquantaine de patriotes – les rejoignirent pour y subir un premier interrogatoire. Ils ont été transférés le soir même au siège de la Gestapo à Angers, d’où quatorze d’entre eux seront déportés en Allemagne, le 18 décembre 1941. Ce jeudi 9 octobre, jour de la rafle, le jeune Gérald Gallais, né le 24 juillet 1926, a été relâché dans l’après-midi, la police n’ayant aucune preuve de sa participation au groupe de résistance. Il reviendra pourtant au domicile familial pour y récupérer un panier de tomates, où sa mère avait préalablement camouflé trois revolvers, puis l’emmènera en lieu sûr chez une amie de la famille. Que s’est-il passé ensuite dans la tête de cet adolescent de quinze ans livré à lui-même ? Il a été remis entre les mains de M. Carnet, secrétaire général de la mairie de Fougères, puis ensuite confié à un oncle de Pontorson. « Entrainé par Coquemont. Son père M. Gallais capitaine de la marine marchande, sa mère et sa sœur sont déportés en Allemagne depuis 1941 comme membres d’un important groupe de résistance. Ce qui ajoute un malheureux drame de famille à la destinée de ce gamin, son oncle et tuteur n’a jamais pu le surveiller. Il vola le poste de TSF de son père pour le revendre aux allemands de St Malo. » (1) Commençait alors l’engrenage infernal d’un gamin que l’on aurait imaginé ayant rejoint un réseau de Résistance plutôt que la collaboration. Là encore, je renvoie au deuxième chapitre de mon livre pour avoir le détail de leurs actions contre la Résistance : dénonciations, assassinats, infiltrations de maquis comme ceux de Broualan ou du moulin d’Éverre ; plusieurs témoins le soupçonne même d'avoir participé à l’arrestation de Thérèse Pierre, alors qu’il était totalement sous l’emprise de Coquemont. « Arthur Coquemont né le 3 avril 1915 à Fougères. PNB, Agent Gestapo. Son père tenait un débit de boisson à Fougères place Aristide Briand. A fait quelques études, vraisemblablement dans une école professionnelle de Rennes, puis devint représentant. D’allure sportive, présentant bien, 1m74 environ, parfois revêtu d’un manteau de cuir marron, coiffé d’un chapeau gris à bords relevés, botté de cuir, portant parfois des lunettes noires, Coquemont se déplaçait souvent à motocyclette. Condamné à la peine de mort par contumace le 10 avril 1946. En fuite en Italie. Marché noir sur grande échelle. Membre actif du PNB. Agent du SRA d’Angers. Fréquente des agents de la Gestapo, notamment un nommé Willy Heinen. Circule avec Gallais sur une moto volée chez un débitant au Pont St-Martin à Rennes. » (2) Gérald Gallais faisait partie du Groupe d’Action pour la Justice Sociale du PPF, basé rue d’Échange à Rennes, sinistre bande de voyous chargés de faire la chasse aux réfractaires du STO. Il figurait également sur la liste des agents de la Gestapo sous le N° SR 930. Peu de temps avant l’arrivée des Américains à Rennes, le Groupe d’Action, la Milice et le Bezen Perrot avaient pris la fuite vers l’Est, où ils continuèrent leurs exactions contre la Résistance. « Pendant notre séjour à Cirey, Gallais Roger, Gugliomini Gaston et Maria, la femme de ce dernier, ont été envoyés en camp de concentration de Schirmeck pour avoir puisé dans les caisses du groupe et s’être rendus coupables de malversations envers les camarades. Nous n’avons plus jamais entendu parler d’eux. » (3) En fait, les internés des camps de Schirmeck et du Struthof avaient été déportés en Allemagne quelques jours avant l’arrivée des Alliés, le 3 septembre 1944. Les documents ayant été détruits ou emportés par les Allemands, il n’est pas possible d’avoir la date exacte du départ de Gallais. Je sais seulement qu’il a été transféré sur Dachau et qu’il est mort le 16 janvier 1945 à Auschwitz, quelques jours avant la libération du camp par l'Armée Rouge. Entre temps, il avait été jugé par contumace à Rennes et condamné à une peine de cinq ans de travaux forcés. 
Dans la mesure du possible, j'ai toujours souhaité rencontrer les personnes, ou à défaut leurs enfants si elles sont décédées, dont je parle dans mes ouvrages, afin de leur soumettre mon texte - Pierre Duclos m'avait dit un jour de ne jamais écrire dans le dos de quelqu'un - libre à moi ensuite de tenir compte de leurs remarques ou de leur souhait de ne pas voir figurer leur patronyme et de modifier le manuscrit. C'est ainsi que j'ai rencontré Huguette Gallais. Elle m'avait demandé d'enlever le passage concernant l'activité de son père comme ancien membre des Croix de feu. Requête que j'ai respecté.  Je lui ai fait part de ma consultation du dossier de son jeune frère aux Archives et les preuves irréfutables de ses crimes. J’ai pu alors constater la douleur que représentait encore le simple fait d’évoquer ce drame auprès de cette vieille femme qui avait tant souffert lors de sa longue déportation. Elle ne voulait pas croire que son frère avait collaboré. Face à ce déni de la réalité, et au terrible destin de ce garçon, je n’ai pas eu le courage de révéler sa véritable identité et j’ai utilisé le pseudonyme qu’il s’était lui-même attribué : « Gérard Goavec ».

J’avais moins de scrupules à l’égard de Coquemont (4), alias « André Colin », en fuite et que l’on ne reverra plus dans la région, mais révéler son patronyme permettait d’avoir accès au dossier de Gérald Gallais ainsi qu’à celui de cette jeune fille, née en 1926 à Cancale, qui décroche son baccalauréat en 1942, et que Coquemont va séduire au mois de mars 1944, en se faisant passer pour un agent de l’Intelligence Service, puis l’entraîner dans sa fuite en Allemagne. Fille d'authentiques patriotes, elle a été rebaptisée « Madeleine » par mes soins, Yves Mervin a estimé nécessaire de révéler sa véritable identité dans son dernier livre.

"La volonté bretonne", journal du PSF
Voilà donc les raisons qui m’ont amené à utiliser parfois des pseudonymes dans mon ouvrage « Agents du Reich en Bretagne ». L’histoire du groupe Gallais faisant partie de la mémoire collective de Fougères, le comportement du jeune Gérald sous l’Occupation a toujours été un sujet tabou. On pouvait lire sur un site internet cette phrase rédigée par la famille : « Déporté et décédé dans des circonstances encore non élucidées ». Avec le décès d’Huguette Gallais, le 18 janvier dernier, la parole va probablement se libérer. Dans l’opinion fougeraise en effet, tout se passait comme si deux mémoires s’affrontaient : celle de 1941, avec la chute du groupe Gallais, dont le chef était un ancien membre des Croix de feu, et celle de 1943, avec l’arrestation de Thérèse Pierre, communiste et FTP.
 


1. PV de police de Fougères du 18 octobre 1944.
2. Rapport de police figurant dans son dossier d’instruction.
3. Interrogatoire de Roger Welwaert, GA du PPF, 4 septembre 1945. Cirey se trouve en Haute-Saône.
4. Même chose pour le jeune Roger Elophe, interprète au SD de Saint-Brieuc, auquel j'ai consacré le chapitre 4 de mon livre. Il en sera question dans une prochaine communication avec un témoignage inédit sur l'arrestation des lycéens d'Anatole Le Braz à Saint-Brieuc.