vendredi 29 avril 2016

La rafle du lycée Anatole Le Braz de Saint-Brieuc



Peu de lycées peuvent s’enorgueillir d’avoir été décorés de la Croix de guerre 1939-1945. Parmi ceux-ci,  Anatole Le Braz « Vivant exemple, pour l'Université, de résistance active et d'héroïsme militaire » est sans doute celui qui a le plus marqué les esprits par la jeunesse de ses martyrs. Hormis quelques pages du livre de Louis Guilloux « Le jeu de patience », paru en 1949 ; le seul ouvrage de référence sur ce drame est un livre collectif réalisé par l’Association des anciens élèves du lycée « De la nuit à l’aurore, des lycéens dans la guerre 1939-1945 », Presses Bretonnes, 1996. Si ce livre retrace avec précision le déroulement de la rafle et met en évidence qu’elle n’était pas consécutive à l’exécution du militaire allemand de la gare Plérin, un autre coup de main, toujours à Plérin, et qui aura de graves conséquences sur la suite des événements, a été totalement occulté. C’est cette lacune qu’il m’a semblé utile de combler et peut-être par là même, apporter quelques éléments nouveaux et inédits sur cette tragique histoire. 

Le coup de main de Plérin
Le 12 novembre 1943, en fin de journée, Yves Salaün et Pierre Le Cornec, qui sont armés, s’approchent de la petite gare de Plérin pendant que Georges Geffroy et Alain Jouanny font le guet sur la route. Un vaguemestre de l’armée allemande avait été précédemment repéré par le petit groupe. Salaün et Le Cornec tentent de l’assommer pour lui prendre son arme et sa sacoche de courrier. Le vaguemestre dégaine son pistolet pour se défendre. Le Cornec fait immédiatement feu avec son revolver et le touche mortellement. La sacoche et l’arme récupérées, les quatre lycéens se séparent et disparaissent. D’après une déposition du lycéen Pierre Jouanny, quelques personnes ont assisté à cette affaire de Plérin : « Une italienne habitant un immeuble situé en face la gare de Plérin, elle recevait fréquemment chez elle des membres de la Gestapo et autres allemands. Un monsieur d’une cinquantaine d’années, moustache, casquette genre marin, imperméable jaunâtre, semblait être un voyageur attendant le train. Après le coup, les quatre jeunes gens ont rencontré en descendant la cote, M. Georges Bogrand ». La gendarmerie française enquête aussitôt « D’après un témoin, la victime attendait le train de Paimpol lorsqu’il fut agressé par deux individus armés et circulant à bicyclette. L’Allemand aurait cherché à se cacher dans les broussailles proches. L’un des agresseurs l’aurait alors abattu à coup de revolver et l’aurait ensuite fouillé calmement. Les deux inconnus auraient disposé d’une troisième bicyclette sans doute destinée à un complice ». Le plus étonnant est que l’enquête en restera là pour l’instant, les Allemands ayant classé l’affaire comme « drame passionnel ».

L’autre coup de main de Plérin
Quelques jours plus tard, toujours à Plérin, sept jeunes résistants font irruption dans une ferme au lieu-dit « Pré-Méno », sous la direction d’un certain Yves Ricard : « Le 24 novembre 1943, sur ordre de M. François j’attaque une ferme collaborant avec l’ennemi en compagnie de mon frère Roger, de Michel François, de Laporte Pierre, de Le Mée Yves, de Vigneron Jean et Jouan François. Nous avons décidé d’attaquer la ferme Arthur de Plérin. Mon frère Roger et son beau frère Michel n’ont pas assisté à l’attaque mais ont seulement donné des renseignements. Les quatre autres et moi vers 19 heures sommes entrés dans la ferme et avons pris la somme de 7 300 francs sous la menace de deux revolvers prêtés à nous par Salaün. Une huitaine de jours après j’ai remis à chacun d’eux la somme de 850 francs et 800 francs à Friquet de Châtelaudren, gardant le reste pour moi. » Il se pourrait que ce "M. François" soit Joseph François, résistant FFI, tué par l’ennemi le 4 août 1944 lors de la libération Saint-Brieuc. Mathurin Arthur porte évidemment plainte à la gendarmerie. Cette affaire de revolvers prêtés par Salaün est importante pour comprendre la suite des événements. Pierre Jouanny : « Ricard Yves demeurant à Robien où il jouit d’une mauvaise réputation était arrêté le même jour que nous. Il entraina plusieurs camarades au cambriolage d’une ferme de Plérin, garda 5 000 francs pour sa part et remit le reste à ses acolytes (ce trait seul le juge) qui reçurent chacun 800 francs. Ce vol qui relevait de la police française fut pris en main par les allemands puisqu’il y avait port d’armes. Or, Ricard qui se disait travailler pour la résistance avait réussi à se faire prêter deux revolvers pour l’attaque de la ferme par Salaün et Le Cornec, tous deux fusillés à Fresnes par la suite. » L’arrestation dont parle Pierre Jouanny est bien évidemment la rafle du vendredi 12 décembre au lycée Anatole le Braz de Saint-Brieuc.

La rafle du vendredi 12 décembre 1943
Il est 8 h 10. La Feldgendarmerie dispose des barrages pour encercler les trois annexes du lycée. La plupart des élèvent sont déjà entrés dans les salles de classe ou dans la cour du petit lycée. Tandis que les feldgendarmes demandent à tous les élèves qui rentrent encore leurs papiers d’identité, la Sicherheistdienst (SD), police de sûreté de la SS, improprement appelée Gestapo, sous la conduite de l’officier Müller, pénètre à l’intérieur même du petit lycée. Un soldat prend position devant chaque classe. Müller, accompagné du surveillant général, va de classe en classe une liste à la main. René Le Bras : « J’étais en travaux pratiques avec une moitié de la classe 1ère M2. L’un des Allemands tenait une feuille à la main. Il a appelé Raymond Quéré. Le surveillant général lui a répondu qu’il avait déjà été interpellé. Alors il m’a appelé. On m’a dit de sortir. J’ai été conduit dans la cour du petit lycée où je trouve Quéré, Marcel Nogues et d’autres raflés sous le préau ». Joseph Morfoisse est en classe de philo-sciences : « Un feldgendarme planté au pied de l’estrade, jusqu’à ce que Müller, qui « œuvre » dans les autres classes, sa liste à la main, vienne dans la notre pour arrêter Jean Collet, Jean Geffroy et Jean Jannic ». Pierre Rinvet est en classe de math élèm : « La police allemande vient, munie d’une liste, appeler plusieurs d’entre nous. J’étais du nombre ». Il y a également Pierre le Cornec, Roger Le Huérou, Louis Masserot et Pierre Lainé. Le Cornec se doutait-il de quelque chose ou se sentait-il particulièrement menacé ? Toujours-est-il qu’il sort de sa poche un revolver et le charge, bien décidé à s’enfuir. Ses camarades l’en dissuade et finalement il glisse l’arme dans le casier de sa table. Pierre Rinvet assiste à la scène : « Plusieurs élèves manipulent le revolver. Finalement Masserot le récupère. Il est rejoint par Lainé qui le prend à son tour : « Donne le moi je vais le jeter dans les chiottes ». Il le prit et je fus fort surpris quand Müller revint le lendemain de la tournure que les événements avaient pris. Je suis allé faire le ménage chez Rinvet ». Interrogé le 7 novembre 1944, Pierre Lainé déclare : « Le Cornec avait dans sa table un revolver et deux chargeurs. J’étais placé juste derrière lui. Lorsqu’il fut arrêté les Allemands ne fouillèrent pas sa table mais tout le monde en classe sut l’existence de ce revolver. Les élèves arrêtés furent gardés quelque temps sous le préau du lycée. Je pris le revolver et les deux chargeurs avec l’intention de les faire disparaitre mais le lycée était encore cerné et j’eus le tort au cours d’une récréation de remettre le revolver dans la table de Le Cornec, et c’est en rentrant que les élèves l’ont vu. Ils se sont tous appelés pour le montrer. Je repris le revolver à midi après l’avoir caché dans le poêle et je l’ai camouflé chez moi à Lamballe. »
Il est 9 h 00. Des lycéens qui avaient cours à cette heure-là pénètrent à leur tour dans le lycée, malgré la présence de camions allemands. C’est ainsi que Marcel Nogues et Yves Salaün, qui figurent sur la liste, sont arrêtés et rejoignent leurs camarades sous le préau. Ils sont 19 lycéens : Allain ; Cadran ; Collet ; Drillet ; les deux Geffroy ; Gouriou ; Jannic ; Jouanny ; Le Bras ; Le Cornec ; Le Faucheur ; le Huérou ; Le Joncour ; Nogues ; Quéré ; Rabel ; Rinvet ; Salaün. Embarqués dans une camionnette bâchée, précédée d’une voiture du SD et suivie d’une autre, les lycéens sont emmenés à la prison de Saint-Brieuc où ils sont regroupés dans une salle commune au 1er étage, sauf Le Cornec, qui est aussitôt isolé dans une cellule. Passant devant Pierre Rinvet, il lui glisse : « Je prends tout sur moi, n’avoue rien ! » Il s’agissait de poudre et d’explosifs que Rinvet avait dérobés pour lui dans une carrière.
Il est 10 h 45. Rudolph, du SD, arrête Jean Le Gludic, 19 ans, à son travail, au bureau du ravitaillement général : « Il avait à la main un bout de papier portant mon nom. Dans la voiture il y avait déjà un élève, Geffroy (Le frère de celui qui sera fusillé). On le transporta à la maison d’arrêt tandis que j’étais moi-même conduit chez Ricard. Rudolph a procédé à l’arrestation de Ricard et nous avons été emmenés ensemble à la maison d’arrêt. » Le 7 novembre 1944, Yves Ricard, 20 ans, déclare : « J’ai été arrêté le 10 décembre 1943, en même temps que le fils Le Gludic. Les élèves du lycée avaient été arrêtés deux heures avant moi. Le jour-même j’ai été interrogé sur les cartes d’identité qu’on avait trouvées sur Le Gludic. C’est tout ce que l’on m’a demandé ce jour-là. On m’a demandé aussi si je connaissais Louis Le Bret. » Lors d'un nouvel interrogatoire, il déclare : « Le 10 décembre 1943 un membre de la Gestapo accompagné de Le Gludic est venu m’arrêter à mon domicile et il m’a conduit à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Au bureau il m’a simplement demandé à qui appartenaient les cartes d’identité trouvées en possession de Gludic. J’ai reconnu qu’elles étaient ma propriété. C’est à partir de ce moment que j’ai été mis en cellule avec un nommé Camard de Dinan. » Lors de l’enquête d’instruction, la police ne trouvera aucun « Camard de Dinan ». A mon sens il s'agit de Jérôme Camard, maire d’Étables-sur-Mer, qui hébergeait des aviateurs alliés. Il a été arrêté le 23 septembre 1943 puis libéré le 25 juin 1944. Son fils, Jean Camard, du réseau Pat O’Leary, a été lui aussi arrêté le 20 juin 1943 à Paris. Emprisonné et condamné à mort, il s’évade le 6 mars 1944, gare du Nord alors qu'il allait être déporté. Lors de son arrivée à la prison, Le Gludic est conduit dans la salle du gardien allemand, un certain Émil, pour être fouillé : « On trouva sur moi trois fausses cartes d’identité que je devais remettre aux élèves du lycée comme je le faisais presque journellement depuis 15 jours. Les photos n’étaient pas sur les cartes. Il était 12 h 30. A 14 h Rudolph revint et me dit qu’il savait que c’était Le Bret qui m’avait fourni le cachet. Il me demanda également si je connaissais certains élèves du lycée. J’ai nié avoir connu des élèves. Mais en ce qui concerne le cachet il me fit comprendre qu’il était inutile de nier. Il vint chez moi mais le cachet ne s’y trouvait pas. Il sut que mon camarade Rabel était venu à la maison et nous avons passé l’après-midi à chercher Rabel et Le Bret qu’ils ne trouvèrent pas ce jour là. » Quelqu’un a-t-il déjà parlé ? C’est probable puisque les Allemands débarquent chez le père de Pierre Le Cornec, photographe à Étables-sur-Mer : « Le 10 décembre à 14 h la Gestapo venait chez moi à Étables et m’a dit que j’avais une carabine, un fusil de chasse et un revolver, et que ces armes étaient dans ma chambre noire. Comme j’en avais beaucoup plus que cela, je me rendis compte qu’ils avaient été mal renseignés et j’ai tout nié. D’autant plus qu’il y avait un an que j’avais enlevé ces armes et les avaient camouflées. Les Allemands ont fouillé partout ce jour-là, mais n’ont rien emporté à ma connaissance. Ils m’ont arrêté et écroué. »
Il est 19 h. De retour en prison, Le Gludic est mis en cellule avec Le Cornec, que le SD vient chercher pour subir son premier interrogatoire boulevard Lamartine. Il reviendra à 21 h. Le Gludic partagera la cellule de Le Cornec jusqu’au mardi matin. Au terme de cette journée, il ne fait aucun doute que l’objectif de la rafle est le démantèlement d’un groupe de jeunes résistants susceptibles de posséder des armes. Les Allemands ne semblent pas avoir fait le lien avec l’affaire de la gare de Plérin.

Un jeune délateur du PNB
Lorsqu’ils arrivent au lycée, les Allemands disposent d’une liste de lycéens. Elle a été établie par un jeune dénonciateur que la rumeur de l’époque désignera comme étant Georges Fischer, qui s’était amouraché d’une certaine Marcelle M., secrétaire au RNP local. Il n’en fallait pas plus pour l’accuser d’être un indicateur du SD. Condamné à mort par un tribunal du Front National, il est abattu par trois FTP le 14 juillet 1944, alors qu’il n’y était pour rien. En effet, on découvrira plus tard que le véritable responsable s’appelle Georges Plessix, employé au Trésor de Saint-Brieuc et adhérent du Parti National Breton. Plessix raconte au lycéen Paul Cadran, 18 ans, qu’il avait adhéré au PNB en 1941 : « Après avoir appartenu au Front Patriotique de la Jeunesse ». Arrêté puis interrogé le 13 octobre 1944, Plessix se défausse sur son camarade : « C’est Cadran qui m’a fourni la liste des types : entre 40 et 60. Cette liste je l’ai remise à Pageot chez De Quelen. J’accuse Pageot d’avoir fait des attaques à main armée dans des fermes. On a fait un sale coup à 12 km de Saint-Brieuc. Pageot déguisé en allemand, on se présentait au fermier pour perquisitionner. On raflait l’argent. » Jean-Paul Pageot, 18 ans, est le chef des « Bagadoù-Stourm » de Saint-Brieuc, l’organisation de jeunesse du PNB, dont Jacques de Quelen est le responsable local. Roger Elophe, le jeune interprète français du SD, auquel j’ai consacré un chapitre dans mon livre « Agents du Reich en Bretagne » le connait bien : « Chaque fois que Plessix venait au SD il était reçu directement par Rudolph ». Paul Cadran s’est lié d’amitié avec Plessix qui exerce une grande influence sur lui, le faisant même adhérer au PNB en juin 1943. Dans sa déposition, Cadran reconnait avoir indiqué à Plessix que Le Cornec possédait un revolver. Plessix lui demande s’il ne pouvait pas se procurer des armes pour le PNB, dont certains adhérents sont de plus en plus menacés, auprès de ses anciens camarades. Cadran lui remet alors une liste d’une vingtaine de noms, dont le sien en tête. Dans sa déposition, Cadran reconnait que par lâcheté : « Il n’avait pas prévenu ses camarades de l’existence de cette liste ». Après-guerre, il écrira une lettre manuscrite au lycéen Guy Allain, rescapé des camps allemands, pour lui demander pardon et reconnaitra avoir établi cette liste pour la remettre à Plessix. Si Plessix, comme il y a tout lieu de le croire, à informé les Allemands que Le Cornec détenait une arme, on comprend mieux sa mise à l’écart dès les premières heures de la rafle.

La deuxième descente des Allemands au lycée
Lundi 13 décembre. Les policiers du SD, dirigés par Rudolph, reviennent au lycée. Un homme, dont j’ignore l’identité, assiste à cette perquisition. Il est juste indiqué « Note de l’inspecteur » sur le document. Probablement un inspecteur d’académie « Deux ou trois jours après cette première alerte (La rafle du 10, K.H.), alors que je me trouvais en inspection au lycée, Rudolph et un acolyte pénétrèrent à nouveau dans l’établissement (Petit lycée) pour arrêter encore trois ou quatre lycéens. Le proviseur que je trouvais en conversation avec « Rudolph » m’avoua quelque temps après que l’Allemand, au moment où je survins, venait de lui confier que l’affaire était très grave, qu’il s’agissait du « meurtre » d’un officier allemand à Plérin, et que certains élèves avaient déjà avoué leur complicité. Ce jour-là (Le 10, K.H.) ils arrêtèrent au lycée le porteur de revolver pris à l’officier allemand abattu ; mais le lycéen put à temps passer son arme à des camarades de classe. Quelques jours après certains élèves (4 ou 5) étaient relâchés tandis qu’on m’apprenait que d’autres étaient mis au secret et que les policiers allemands avaient réussi à savoir où le jeune Le Cornec avait caché un fusil ; ils y conduisirent leur victime qu’ils ramenèrent ensuite à travers tout le village, portant sa carabine sur l’épaule afin « d’instruire la population ». Le préfet, au moment des vacances de la Noël me fit savoir que plusieurs élèves étaient accusés du meurtre de Plérin et que certains d’entre eux avaient avoué. Dès cet instant nous avons vécu sous la menace d’un licenciement total de l’établissement. » Le « porteur de revolver » arrêté est bien évidemment Le Cornec qui sera conduit, le visage ensanglanté, par les Allemands au viaduc du Ponto à Étables-sur-Mer, où il avait caché une vieille carabine. Pierre Lainé est en classe lorsque le SD se présente : « Le 13, Rudolph est entré dans la classe vers 9 h, il a demandé la place de Le Cornec, il s’y est rendu et a demandé le revolver. Le proviseur accompagnait Rudolph dans la classe, il a dit : « Il est dans l’intérêt de la classe et du lycée que celui qui détient le revolver le déclare ». J’ai dit au proviseur dans la classe que c’était moi qui l’avais et il m’a dit de le dire à Rudolph (…) J’ai été emmené à Lamballe à la suite. Nous sommes restés très peu de temps à Lamballe, le temps de prendre l’arme et de repartir. Lorsque je fus remis en liberté il pouvait être environ 12 h 1/4. Je savais que Le Cornec avait un revolver puisque je l’avais trouvé dans sa table, mais j’ignorais absolument que ce revolver avait servi à exécuter l’allemand de Plérin. Pendant le trajet Rudolph ne me parla nullement de l’affaire de Plérin. Il se borna à me demander pourquoi j’avais pris ce revolver. J’ai répondu que je l’avais pris afin de le décharger et d’éviter la production d’une pièce compromettante. Si je me suis décidé à faire savoir que j’avais le revolver c’est que je me suis rendu compte que cela n’avancerait à rien de résister. Les allemands commençaient déjà à interroger un élève qui flanchait déjà. C’était Le Floch, élève de math élem. Et je suis persuadé que Rudolph n’aurait reculé devant aucun procédé pour faire parler l’un d’entre nous. Or si tout le monde ne connaissait pas l’affaire de Plérin, tout le monde savait que Cornec avait une arme. J’ai remis le revolver Mauser car je n’ai pas soupçonné un instant que Le Cornec avait exécuté un Allemand. » De retour à Saint-Brieuc, Lainé sera relâché le lendemain. De la part de la police allemande, pour une affaire de détention d’arme, cette libération aussi rapide est surprenante et suscitera bien des interrogations, comme sa déclaration à propos du jeune Le Floch, qui n’a pas convaincu ce témoin : « Ayant eu peur, dit-il, qu’un de ceux qui avait été appelé par les Allemands ne dise qu’il avait le revolver, il l’a donné volontairement, or le jeune homme qu’il a cité, Le Floch, n’aurait certainement pas parlé je le connais trop pour cela. Et en tous cas il n’avait qu’à attendre qu’il ait causé. Je trouve que Lainé est presqu’autant coupable que Ricard car sans cette preuve mes 3 camarades n’auraient pas été fusillés. » Je n’ai pas réussi à décrypter la signature de l’auteur de cette lettre.

Les Allemands font le lien avec Plérin
Lundi 13 au soir. Ayant mis la main sur le Mauser, les Allemands savent désormais avec certitude que ceux qui ont abattu le vaguemestre de Plérin sont parmi les lycéens d’Anatole Le Braz. Le Cornec est le premier suspect. « Le lundi soir ils sont venus le chercher à 7 h pour l’interroger. Il est revenu à 9 h avec Rudolph dans un état épouvantable. Il eut toute la nuit une fièvre atroce et le lendemain à 7 h ils sont revenus le chercher. A ce moment là on m’a changé de cellule », déclare Le Gludic, que l’on reconnait sans peine comme le garçon cité dans l’ouvrage « De la nuit à l’aurore », page 219 « Un garçon extérieur au groupe des lycéens, qui a partagé pour une nuit la cellule de Le Cornec avait rédigé cette déclaration, qu’il préfère aujourd’hui oublier : « Le 13 décembre vers 7 h le soir, la Gestapo rentre dans la cellule et Viesser (Lire plutôt Wierze, K.H.) lui met les menottes et l’emmène. Il revient vers 9 h 30 et Rudolph lui dit en enlevant les menottes : « Tu as vu ce que tu as reçu aujourd’hui, eh bien ! Ce n’est rien, s’il le faut nous continuerons pendant 15 jours. Tu parleras. Avec qui étais-tu ? J’étais seul. Bon nous verrons demain. Pierre a la figure en sang et me raconte son premier interrogatoire (Un coup de cravache lui marque la joue gauche). Á son arrivée à la Gestapo, ils l’ont fait se déshabiller, ne lui laissant que sa chemise et son pantalon. Ils lui mettent une couverture sur la figure pour étouffer ses cris, puis, à six, ils le frappent à coups de nerfs de bœuf et de cravaches. Puis ils le descendent dans une des cellules de la cave où il reste, transi, pendant près de deux heures. Le lendemain matin, à 7 heures, ils reviennent le chercher et à ce moment on me fait changer de  cellule. Par la suite quand je suis allé en chambre commune j’ai pu voir qu’ils le laissèrent longtemps menotté dans sa cellule et seul. » Si les Allemands sont convaincus de la culpabilité de Le Cornec, ils ignorent qui et combien d’autres lycéens étaient avec lui. Malgré les tortures, Le Cornec ne parlera jamais. N’obtenant rien de lui, les Allemands vont « interroger » Yves Salaün et Georges Geffroy. Ce qui est étonnant puisqu’ils ne sont pas censés connaitre leur implication dans l’affaire de Plérin, donc quelqu’un les a renseignés. Un homme va rapidement être suspecté : Yves Ricard, dont on se rappelle qu’il avait été arrêté avec Le Gludic le vendredi 10 : « Quand je suis arrivé à la maison d’arrêt avec Ricard, j’ai été fouillé le premier puis conduit immédiatement en cellule. Ricard était également dans la pièce, mais comme je suis sorti avant lui j’ignore absolument s’il a été interrogé et pendant combien de temps. Par la suite j’ai toujours été séparé du reste de mes camarades de lycée. » Á la demande des familles des victimes, une enquête est donc ouverte à la Libération. Ricard est arrêté le 25 août 1944 puis interné au camp de rétention administrative de Langueux. Le 7 septembre 1944, la Commission de Vérification des Arrestations rédige son rapport : « En l’état des renseignements qu’elle a recueilli, la Commission estime que les faits reprochés à Ricard sont susceptible de donner lieu à l’ouverture d’une information judiciaire. Il est possible que Ricard ait dénoncé à la police allemande des codétenus qui ont été ultérieurement fusillés. Une instruction complète est nécessaire. » L’enquête n’est pas simple. Les déclarations de Ricard sont confuses. Les victimes ayant été soit fusillées soit encore déportées à cette date en Allemagne, les témoins directs des faits sont rares.

L’inculpation d’Yves Ricard
Le 24 octobre 1944, Ricard est inculpé d’Intelligence avec l’ennemi. Il n’est bien sûr pas question de refaire le procès. Il a été jugé à Rennes le 10 février 1945. Faute de charges suffisantes, la Cour de justice prononcera un non-lieu. Comme souvent, dans ce genre d’affaires, les responsabilités sont multiples. Ces lycéens, âgés de 17 ou 18 ans, ont manqué d’un encadrement sérieux de la part d’adultes résistants et ont fait preuve d’imprudence. Mais n’est-ce pas le propre de la jeunesse ? Il y a eu des bavardages. Jouanny est formel : « Ricard avait appris par Le Cornec l’affaire de Plérin. Il a été arrêté le même jour que nous. J’avais connu Ricard à une réunion et le tort de Le Cornec  était d’avoir trop ébruité l’affaire de Plérin. » Ricard lui-même en conviendra : « Friquet m’avait révélé que Le Cornec était l’auteur de l’exécution de l’Allemand, 10 ou 15 jours avant l’attaque la ferme Arthur. »
Le 6 septembre 1944, le commissaire Vergnes procède à l’audition de Ricard : « Environ une dizaine de jours après (La rafle du 10, K.H.), à 19 h, j’ai été conduit boulevard Lamartine en compagnie de Le Cornec pour y subir un interrogatoire. Là, ils ont fait Le Cornec endosser un imperméable qu’il a reconnu être sa propriété, puis ils lui ont présenté un pistolet en lui disant : « Voici le revolver de l’allemand que tu as tué à Plérin ». Ayant affirmé que c’était faux ils nous ont mis chacun dans notre cellule. Aussitôt après ils ont fait remonter le Cornec au 1er étage et j’ai bien entendu le frapper pendant une vingtaine de minutes, ils l’ont ensuite redescendu et m’ont fait monter à sa place où j’ai constaté qu’une table entourée de 7 hommes était couverte de sang. Ils m’ont demandé à qui étaient destinées les cartes d’identité trouvées sur Le Gludic.  J’ai répondu que je les avais eues quelques jours avant par mon chef, sans savoir à qui j’allais les remettre. Ils ont fait à nouveau rentrer Le Cornec et lui ont dit de remettre son veston, comme il ne pouvait le remettre seul par suite des coups reçus, il a demandé aide au chef qui lui a répondu qu’il n’aidait pas un assassin. Quelques instants après, ils nous ont ramenés à la maison d’arrêt. Arrivés là, ils ont mis Le Cornec en cellule et moi au bureau devant une table et un jeu de cartes et m’ont offert une cigarette. Ils ont fait entrer Salaün et ont à nouveau présenté le revolver qui fut déjà présenté à Le Cornec en lui répétant la même phrase, qui lui non plus ne l’a pas reconnu. Ils m’ont mis en cellule et ont continué à interroger Salaün. Vers le 10 janvier 1944 j’ai été conduit à la Gestapo où on m’a fait signer ma déposition et ils m’ont interrogé sur l’attaque de la ferme de Plérin. En voyant qu’ils savaient tout j’ai du tout avouer. Le 1er février en compagnie de Le Cornec, Salaün et Geffroy, ainsi que mes camarades j’ai été transféré à Fresnes où je suis resté en cellule jusqu’au 22 mai date à laquelle ils nous ont remis entre les mains de la justice française qui elle nous a libéré le 19 juillet 1944. » Cet interrogatoire de Ricard suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponse. Pourquoi en effet les Allemands interrogent-ils Le Cornec en sa présence ? Interrogatoire qu’il situe une dizaine de jours après la rafle. Il y a aussi cette affaire d’imperméable. S’agit-il d’un vêtement que Le Cornec portait le jour de l’attentat dont un témoin aurait fait une description ? C’est probable. Pourquoi également cette mise en scène du jeu de carte et de la cigarette devant Salaün ? Quoi qu’il en soit les deux lycéens n’ont pas parlé.
Le 7 novembre 1944, c’est au tour du juge Dauvergne d’interroger Ricard, qui répète à peu près la même chose : « J’ai été arrêté le 10 décembre 1944, en même temps que le fils Le Gludic. Les élèves du lycée avaient été arrêtés deux heures avant moi. Le jour-même j’ai été interrogé sur les cartes d’identité qu’on avait trouvées sur Le Gludic. C’est tout ce que l’on m’a demandé ce jour-là. On m’a demandé aussi si je connaissais Louis Le Bret. Je ne fus interrogé que 8 ou 10 jours après. Ce jour-là j’ai été emmené boulevard Lamartine avec Le Cornec. On nous a fait entrer dans un bureau et on a demandé à Le Cornec si un imperméable qui se trouvait sur la table lui appartenait. Le Cornec l’a reconnu pour être le sien. On lui montra ensuite un revolver en lui disant « C’est le revolver qui a tué l’Allemand de Plérin » Le Cornec a répondu qu’il l’ignorait et que ce revolver ne lui appartenait pas. Ils ont fait descendre Le Cornec à la cave et ils m’ont interrogé uniquement sur mon groupe de résistance. Ils m’ont demandé d’où je possédais des fausses cartes d’identité et ils m’ont demandé le nom de mon chef de groupe. J’ai dit que c’était un nommé François, car j’étais persuadé qu’à cette époque M. François faisait usage d’un faux prénom. Ils m’ont demandé son adresse et bien que je la connaisse je me suis gardé de la révéler. Ils m’ont demandé si je faisais partie de la résistance. Je leur ai répondu que non. Ils m’ont dit que ce n’était surement pas moi. Je leur ai dit que j’ignorais absolument les noms des membres de la résistance ; en un mot ils m’ont interrogé sur le groupe auquel j’appartenais, mais ils ne m’ont pas du tout parlé des élèves du lycée. Ils me renvoyèrent à la cave sans m’avoir martyrisé. Ils firent alors monter Le Cornec et j’entendis un grand remue ménage. Je dois indiquer une erreur rectifiée de suite : c’est Le Cornec qui a été interrogé le premier et c’est après son interrogatoire qu’on m’a fait monter dans la pièce où il avait été martyrisé. C’est à ce moment là seulement qu’on m’a interrogé sur mon groupe de résistance. Par conséquent je précise bien que Le Cornec a été interrogé avant moi. La table était pleine de sang et lorsque je vis Le Cornec redescendre il pouvait à peine tenir debout. J’indique même que lorsque j’entendais le bruit de l’interrogatoire de Le Cornec j’avais bien peur qu’on m’accuse d’avoir participé à son activité puisqu’on nous avait amenés ensemble à la Gestapo. Mais comme je vous le disais il n’en fut rien. Après mon interrogatoire à moi on fit remonter Le Cornec dans un état lamentable. On dut même lui passer son imperméable et il déclara seulement qu’il n’était pas un assassin. Après quoi on nous renvoya tous les deux à la maison d’arrêt. Je vous affirme qu’on ne m’avait pas parlé des élèves du lycée. Il n’avait été nullement question des armes qu’auraient pu détenir Salaün et Le Cornec et je n’en ai jamais parlé. Je vous affirme que je suis resté 8 jours sans être interrogé. Un codétenu, un nommé Camard, habitant Dinan pourrait en témoigner. De même je vous affirme qu’il n’a pas été question des élèves du lycée lors de mon interrogatoire le jour de mon arrestation. Evidemment ce jour-là il n’y avait pas de témoin. De retour à la maison d’arrêt le jour-même de l’interrogatoire boulevard Lamartine, on m’a fait entrer dans un bureau ou se trouvait Émile le gardien allemand de la prison. Rudolph était présent et m’offrit une cigarette. Émile me fit assoir et aussitôt après a fait descendre Salaün. On lui montra le revolver qu’on avait déjà présenté à Le Cornec et on lui dit que c’était le revolver qui avait tué l’allemand de Plérin. On lui demanda avec insistance si c’était lui qui était l’auteur de l’attentat. Il a nié énergiquement et moi on me renvoya dans ma cellule. Dans la suite Camard déclara qu’il avait été interrogé en même temps que Salaün, que les Allemands avaient déclaré qu’il y avait deux agents de la Gestapo avec les étudiants et que Salaün avait avoué qu’il m’avait prêté deux revolvers, que Salaün croyait d’ailleurs que je l’avais dénoncé. Je fus transféré par la suite dans une autre cellule avec le nommé Thouément. La Gestapo est revenue encore dans ma cellule et m’a dit qu’ils savaient que j’avais participé à l’attaque d’une ferme. C’est Salaün qui m’avait dénoncé. J’ai reconnu alors l’attaque de la ferme de Plérin et on me demanda le nom de mes camarades. Comme je ne le disais pas il m’a giflé brutalement et il est parti. Mais j’affirme qu’il ne fut pas question de l’assassinat de l’Allemand. J’affirme que je n’ai jamais dénoncé pas plus à ce moment là qu’ailleurs les auteurs de l’attentat de l’Allemand à Plérin. Si Thouément n’avait pas été fusillé il pourrait témoigner. Lorsque je fus dans ma cellule contigüe à celle des étudiants je leur ai demandé de m’expliquer et j’ai reconnu avoir fait la gaffe d’avoir en novembre présenté Salaün à Le Bret que je croyais alors être un dénonciateur. Je n’ai jamais été en cellule avec un nommé Rabel de Plourhan. Le 1er février je suis parti à Fresnes. J’ai été ensuite transféré à la Santé et comme il y a avait un soulèvement à la Santé le 14 juillet et le 19 juillet, le juge d’instruction français qui s’occupait de l’affaire en profita pour me faire libérer. Je dois dire que mon père avait versé 100 000 francs à un inspecteur de police et c’est peut-être cela qui m’a permis d’être transféré de Fresnes à la Santé. Il est possible également que Elophe soit intervenu en ma faveur.
Je précise que l’interrogatoire en présence de Thouément eut lieu au moins 15 jours ou 3 semaines après l’interrogatoire du boulevard Lamartine. Je tiens à ajouter que j’ai vu Elophe depuis que je suis à la maison d’arrêt et qu’il m’a dit qu’il n’y avait pas eu de dénonciateurs des trois étudiants, que c’était seulement à la suite d’une perquisition qu’on avait trouvé le revolver d’un allemand. » Là encore, Ricard déclare avec insistance qu’il est resté 8 ou 10 jours sans avoir été interrogé. La police a fait une recherche au sujet du codétenu Camard de Dinan, cité par Ricard. Sans succès car il était inconnu dans cette ville. Á mon sens il s’git de Jérôme Camard, maire d’Étables, qui cachait des aviateurs alliés. Arrêté par le SD, Camard a été incarcéré à Saint-Brieuc du 29 septembre 1943 au 25 juin 1944. Son fils Jean, également résistant, ancien élève d’Anatole Le Braz, a lui aussi été arrêté puis condamné à mort. Il s’est évadé gare du Nord à Paris alors qu’il allait être déporté. Quant à René Thouément, également cité, c’est un FTP qui a été arrêté au mois de novembre 1943. Incarcéré à Saint-Brieuc, il a été fusillé à Paris le 15 juin 1944.
Un mois plus tard, le 9 décembre, lors de sa déposition, le père de Pierre Le Cornec est confronté à Ricard, qui déclare : « Je me suis rappelé depuis que c’est le 13 décembre au soir que j’ai été confronté avec Le Cornec et non 8 ou 10 jours après comme je l’avais dit d’abord. Ce jour-là les Allemands possédaient l’imperméable de Cornec. » C’est donc bien le lundi soir, le jour-même où les Allemands ont récupéré le Mauser, que Ricard et Le Cornec sont emmenés au SD, et non 8 ou 10 jours après. Cette date concorde avec la déclaration de Pierre Lainé lors de sa déposition du 9 décembre 1944 : « Je sais que dans les premiers jours de l’arrestation de Le Cornec, probablement le samedi 11, il a été question de son imperméable. Quelqu’un a du venir le chercher en classe, ou plus exactement on l’a fait demander ou chercher en classe. Je n’y avais pas porté un intérêt spécial. Encore une fois cela devait se passer le lendemain de l’arrestation globale, le 11 ou le lendemain de la seconde descente le 14.Je vous affirme que du 10 au 13, personne ne m’a dit que c’était Le Cornec qui avait exécuté l’allemand de Plérin. Je reproche vivement aux lycéens qui le savaient de ne pas me l’avoir dit car je n’aurais pas eu la même attitude si j’avais su que ce revolver pouvait avoir une telle importance. » Au sujet de cette possible intervention de l’interprète Elophe en sa faveur, Ricard est à nouveau interrogé le 26 janvier 1945 : « Le11 janvier 1944 j’ai été emmené à la Gestapo aux fins d’interrogatoire. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Elophe. Questionné par un Allemand en civil sur l’attaque d’une ferme à Plérin avec plusieurs camarades, sur l’ordre de mon chef de la résistance, Elophe m’a dit « Surtout ne parlez pas de résistance dites que c’est vous qui avez fait cette attaque de votre plein gré et que le bénéfice devait vous en revenir ». En résumé, Elophe s’est montré très compréhensif pour moi, il a cherché à redresser une situation bien compromise et c’est grâce à lui si je suis encore en vie. » Ricard se trompe-t-il encore de date ? Lors d’une audition, Elophe déclare en effet : « Comme il m’a été expressément signifié qu’en cas de fuite, un des membres de ma famille répondrait de moi comme otage, je rejoins Saint-Brieuc le 22 décembre. Après les fêtes de Noël et du Nouvel An passées dans ma famille à Quimper, j’obtiens un certificat médical du docteur Piriou un congé de maladie de 15 jours, en sorte que je regagne Saint-Brieuc le 21 janvier. » Elophe interviendra également pour les camarades d’Yves Ricard impliqués dans l’attaque de la ferme. René Thomas, un négociant de Saint-Brieuc, détenu au camp de Langueux, est interrogé le 9 février 1945 : « J’ai connu Elophe interprète à la Gestapo à l’occasion de l’arrestation de quatre jeunes lycéens et deux ouvriers du Légué. Les parents des jeunes sont venus me trouver à mon bureau me priant d’intervenir. De suite je suis monté au boulevard Lamartine où j’ai été reçu par Elophe. Ensemble nous avons été reçus par le chef de la Gestapo. Elophe a par la suite très bien agi et j’obtenais quelques semaines après la libération de ces jeunes : Ricard, Le Mée, Michel et Laporte. » Il s’agit bien du groupe qui a participé à l’attaque de la ferme, comme le confirmera Paul Cadran : « Jouan François et Yves Le Mée ont été arrêtés 3 semaines plus tard pour autre chose (L’attaque d’une ferme de Plérin avec Ricard) ils n’étaient pas sur la liste. » C’est bien sûr Roger Ricard, le frère d’Yves, qui a été libéré. François Jouan n’aura pas cette faveur puisqu’il sera transféré à Fresnes le 1er février.

L’impossible vérité
Ils sont donc 18 lycéens regroupés dans une grande salle de la prison de Saint-Brieuc. Les conditions d’hygiène sont rudimentaires avec de la paille sur le sol et des couvertures. Le 29 janvier 1944, René Le Bras, Jean Geffroy, Pierre Gouriou et René Cadran sont libérés. Le 1er février, Salaün, Georges Geffroy et Le Cornec sont transférés à Fresnes. Le 21 février, ils seront fusillés au Mont-Valérien. De nouveaux arrivants garnissent la chambrée : Martin, Morin et Pondemer (Marcel Pondemer, probablement), résistants jocistes au Légué et ouvriers chez Chaffoteaux et Mory. Le 23 février, c’est au tour de Drillet, Jannic, Rinvet, Rabel et Jouanny d’être libérés. Restent donc en prison parmi les lycéens raflés le 10 décembre : Guy Allain, Jean Collet, Louis Le Faucheur, Pierre Le Joncour, Jean Lemoine, Marcel Nogues, Raymond Quéré et Roger Le Huérou. Le 1er mai 1944, ils sont déportés vers l’Allemagne. Collet, Le Huérou, Quéré et Lemoine seront exterminés dans les camps de concentration. Allain, Le Faucheur, Le Joncour et Nogues reviendront, mais ce dernier décèdera deux mois après son retour. Le lycée a donc payé un lourd tribut à la lutte contre le nazisme et l’émotion est grande à Saint-Brieuc. Nous ne disposons pas des minutes du procès d’Yves Ricard, sinon quelques dépositions de rares témoins. Il n’est donc pas facile de savoir qui a dit quoi et quand. Il y a la déposition de Pierre Lainé bien sûr, mais il n’a passé qu’une nuit en prison. Jean Le Gludic a bien partagé la cellule de Le Cornec les premiers jours, mais ce dernier n’était visiblement pas en état de parler : « Je ne connaissais presque pas Le Cornec et il ne m’a en cellule absolument pas parlé de rien, sinon pour une histoire de tracts pour laquelle il se croyait arrêté. Tout ce que j’ai su c’est qu’avant l’interrogatoire, le fils du gardien de la prison vint prévenir Le Cornec que les camarades avaient passé dans sa chambre et qu’ils avaient enlevé tout ce qui s’y trouvait. Pendant la nuit qui suivit son interrogatoire, Le Cornec a été incapable de me dire quoi que ce soit. » La déposition de Pierre Jouanny, le 7 novembre 1944, est la plus accablante : « A la maison d’arrêt nous étions tous dans la même chambre. Sauf Salaün et Le Cornec. Nous apprîmes tous que Ricard avait été interrogé. Salaün ne fut interrogé qu’après l’interrogatoire de Ricard. Nous savions cela car nous réussissions à avoir beaucoup de renseignements. Ricard s’était fait prêté 2 revolvers par Salaün et Le Cornec pour l’attaque de la ferme Arthur. La Gestapo lui demanda comment il se les était procurés il fournit les noms de Le Cornec et Salaün. Et comme on lui demanda il déclara qu’il ne les a pas vendus comme auteurs du coup de Plérin mais comme détenteurs d’armes je l’ai entendu personnellement le dire (…) La gestapo ayant demandé à Ricard d’où provenaient les armes qu’il avait en main, il aurait répondu « Ce sont Le Cornec et Salaün qui me les ont prêtées » et comme on lui demandait « C’est sans doute toi qui a tué l’allemand à la gare de Plérin » spontanément il a dit « Ah non, ce n’est pas moi mais je peux vous dire qui c’est : ce sont Salaün et Le Cornec ». Il reçut alors deux gifles de l’officier de la Gestapo qui l’interrogeait, lequel lui dit : « Tu es un beau salaud de dénoncer ainsi tes camarades ». Or de l’aveu même de la Gestapo, sans ces paroles criminelles de Ricard, jamais les Allemands ne seraient revenus sur le meurtre de Plérin (Ils avaient classé l’affaire comme drame passionnel). Après la perquisition au lycée où l’on retrouve l’arme de l’allemand (Emportée par Lainé de Lamballe qui ne fut pas arrêté, je voudrais savoir pourquoi) Le Cornec qui en était le possesseur fut roué de coups mais n’avoua rien. Yves Salaün fut emmené à la Gestapo après l’interrogatoire de Ricard. Il ne crut pas devoir nier devant ces accusations formelles. C’est alors qu’il nous fit parvenir un mot qui fut lu tout haut dans la chambrée, il nous disait « Les Allemands savent tout pour le coup de Plérin, sauf le nombre de patriotes que nous étions. J’ai déclaré que toi Georges Geffroy tu étais sur la route à garder les bicyclettes que nous t’avions prêté une arme que tu nous avais rendue après et il ajoutait Pierrot (Jouanny) est mis hors de cause et peut être tranquille. » C’est ainsi que son témoignage me sauva. Nous apprîmes également en prison que Ricard dénonçait aussitôt ses acolytes entre autres son frère et son beau-frère pour l’attaque de la ferme. Rabel de Plourhan qui passa quinze jours en cellule avec Salaün nous apprit que ce dernier avait dit à Ricard « Tu m’as vendu, je te descendrai », ce à quoi Ricard aurait répondu « Je reconnais avoir fait une petite gaffe et je le regrette ». Plus tard Ricard fut transféré dans une chambre près de la notre (Nous pouvions communiquer par une porte) Ricard réussit à l’ouvrir un jour et entra dans notre chambre en disant « Qui est-ce qui veut s’expliquer avec moi ? », personne ne lui répondit et comme il insistait, un camarade (Quéré) lui dit : « Sors d’ici, nous savons ce que tu as fait, nous ne causons pas à des bandits, nous sommes des patriotes tu le paieras. » En sortant il affirma n’avoir pas dénoncé Salaün et Le Cornec comme ayant tué l’allemand mais seulement comme détenteurs d’armes. A partir de ce moment nous avons été convaincus de la culpabilité de Ricard, avons juré de venger nos chers camarades disparus. Nous lui aurions pardonné ses paroles quoique criminelles par ses conséquences si Ricard avait été torturé par la Gestapo, mais comme il n’a subit aucun mauvais traitement, c’est donc par lâcheté uniquement et parce qu’il espérait se tirer d’affaire qu’il a vendu nos camarades. Je désirerais également qu’une enquête soit faite pour vérifier s’il a pu réellement s’évader de Fresnes (Les personnes qui ont été à Fresnes affirment que c’est impossible) et s’il n’aurait pas été plutôt libéré après avoir promis son  appui à la Gestapo ; c’est le seul rôle digne de lui qu’il ait été capable de suivre. En conclusion, nous tous camarades des trois pauvres disparus, demandons l’arrestation immédiate de Ricard, coupable par lâcheté de la mort de Salaün, Le Cornec et Geffroy, comme tel nous trouvons qu’il mérite d’être exécuté. Peuvent témoigner comme moi : Pondemer, Couvran, Drillet, Morin, Martin, Rabel, Geffroy, Le Braz, Jannic, Nivet, Cadran, Gouriou. »
Paul Cadran était également présent lorsque Ricard est venu dans la chambrée : « Salaün a fait passer un billet en prison. Il nous a dit on vient de me faire sortir. Il avait trouvé Ricard avec une cigarette à la bouche. Muller lui a demandé « C’est bien lui qui avait les armes lors de l’assassinat ? » Il a dit que c’était lui. Ricard avait dénoncé Le Cornec qui a été torturé par la Gestapo. Ricard est monté dans une chambre à côté. La nuit on pouvait communiquer par une porte. Ricard a voulu nous parler, nous ne lui avons pas répondu. Il a dit : « J’ai commis un gaffe, mais ce n’est pas de ma faute. » J’étais présent, il est juste resté 5 minutes. » 
Un autre étudiant de 21 ans, Alphonse Berel, qui ne faisait pas partie de la rafle, fait une déposition le 22 novembre 1944 : « J’ai connu Ricard à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Salaün, Le Cornec et Geffroy étaient accusés d’avoir tué un Allemand à Plérin. Mes camarades de cellule accusaient Ricard de les avoir dénoncés. Ricard m’affirma qu’il était totalement étranger aux arrestations. Je sais que Ricard a été confronté avec Salaün et Le Cornec par Rudolph de la Gestapo. Salaün a été obligé de reconnaitre son acte, le meurtre du soldat allemand. Je n’ai jamais compris pourquoi Ricard assistait à cette confrontation, lui qui me disait n’être pour rien dans cette affaire. Ricard avait été à la Gestapo, ainsi que Le Cornec. Je ne sais pourquoi. Ils sont revenus tous les deux à la prison en compagnie de Rudolph. Dans la voiture il y eut un incident et je crois que Rudolph avait demandé à Le Cornec le vrai nom de « Popeye ». Le Cornec, qui venait d’être martyrisé, aurait répondu que « Popeye » était en réalité Salaün. » Cette réponse de Le Cornec est étonnante, sauf à vouloir brouiller les pistes, car « Popeye » était le pseudonyme d'un militant CGT et futur membre du CDL22, Christian Le Guern.
François Jouan est probablement un des derniers détenus à avoir vu Le Cornec : « Dans le train entre Saint-Brieuc et Fresnes Salaün m’a dit qu’il savait que c’était Ricard qui les avait dénoncés. Je lui ai demandé s’il en était certain, il me répondit que oui et il m’expliqua que Ricard interrogé en même temps que lui à la Gestapo, ce qui était déjà étonnant, n’avait pas été frappé ni maltraité alors que lui Salaün avait été martyrisé. Ils avaient été arrêtés le même jour que Ricard mais un peu plus tôt que lui. Or l’après-midi même alors que les Allemands n’auraient rien du savoir de l’affaire et avant que Salaün, Geffroy et Le Cornec étaient mis en cellule menottes aux mains. Par conséquent seul Ricard avait pu parler. Á Fresnes j’ai pu parler une fois à Le Cornec dans les douches. Il m’a dit avec un très grand courage : « Tu t’en tireras probablement. Quant à moi je suis sûr d’y passer. Je suis absolument sûr que c’est Ricard qui nous a vendus. Fais le nécessaire auprès des miens et des camarades pour nous venger quand la paix sera revenue. »
Il y a également cette déposition du 9 décembre 1944 de Pierre Éllouet, 18 ans, qui n’était pas au lycée : « Je me suis engagé après la Libération et à cette époque Ricard était également à la caserne Charner. Il a dit (Non pas à moi car il savait que j’étais un ami des fusillés) mais à d’autres militaires devant moi et je l’ai parfaitement entendu, qu’on l’accusait d’avoir dénoncé les élèves du lycée. Il ajoutait « Mon père a donné une somme pour me faire libérer de Fresnes, il n’y a donc aucune raison que je sois arrêté de nouveau ». Ceci se passait au tout début d’août et je ne vois pas pourquoi Ricard se serait inquiété à ce moment là de cette histoire s’il ne se serait pas senti coupable puisque personne n’en avait encore parlé. »

L’évacuation du lycée
La suite des événements est connue. Désireux de mettre fin aux foyers de résistance dans les établissements scolaires, les Allemands exigent la fermeture du lycée. L’inspecteur d’académie essaie de négocier avec le SD : « Avant de partir chercher ma femme à Foix, je fus obligé de demander pour elle un laissez-passer, et je vis à cet effet le fameux capitaine Maschke. L’atmosphère fut « lourde » et l’Allemand me dit une violente scène contre le lycée, élèves et professeurs, et m’indiqua que la fermeture s’imposait et qu’il l’avait proposée à « ses chefs ». Le proviseur, pour calmer provisoirement l’orage, fit signer à tous les élèves une déclaration de « loyalisme » : cette mesure nous donna sans doute un sursis. Le mois de janvier relativement calme. Au début de février, on apprenait que trois lycéens étaient condamnés à mort ; quelques autres étaient au contraire libérés. Une quinzaine environ restaient en prison. Vers le 15 février, nouvelle visite de « Rudolph ». Arrestation de M. Guennebaud. A la fin du mois, exécution à Paris des trois élèves condamnés. Début mars messe dite à Notre-Dame de l’Espérance par l’abbé Vaugarmi pour la mémoire des trois lycéens. Je suis averti par mon interprète de la fureur de Maschke. Le 10 mars, le feldkommandant exige l’évacuation dans l’Indre du lycée Saint-Charles, collège moderne de Lamballe, Sacré-Cœur de Lamballe, Notre-Dame de Guingamp, et quelques jours après Saint-Joseph de Lannion. Visite du proviseur le 11 mars, il faut partir. Mais question de droit : ni le préfet ni moi-même ne pouvons exiger des familles le repliement des enfants. Ce sont les familles qui ont tout pouvoir sur eux et non les autorités universitaires. Le préfet que je « visite » ne tient pas compte de l’argument, il faut partir. Je vais voir le capitaine Maschke. Violent plus que jamais, menace de faire arrêter élèves et professeurs. Je lui réponds que je n’ai aucun pouvoir pour exiger des parents l’envoi des fils dans l’Indre. En France, les parents sont libres dans leur autorité. Maximum de violence : il menace d’envoyer les Feldgendarmes arrêter les élèves et il exige l’adresse des élèves et des familles. Cependant les élèves sont alertés et le lycée est presque vide à partir du 15 mars. Par la suite, création de l’annexe de Beaufort. Cette mesure ramène un peu de calme. « Ils » sont satisfaits pour quelques jours. Profitant de ces dispositions, je me propose de faire une visite au « Chef de la Gestapo » d’ordinaire invisible et partout doublé par « Rudolph ». Mon but : mettre en avant la création de Beaufort pour me faire « livrer » sous ma propre responsabilité les élèves maîtres qui restent emprisonnés à Saint-Brieuc (4 ou 5 en tout), d’autre part demander des renseignements sur l’arrestation récente de M. Guennebaud.
Visite : reçu entre deux portes par un sous-ordre qui appelle l’interprète (Elophe). Je décline mon identité et demande à voir « L’officier qui commande », prétextant que c’est sur ordre du Ministre que je fais cette démarche, lequel s’est mis en rapport à Paris avec le chef des SS, dont je donne le nom, d’où très gros effet - tout ceci pure fable mais cela prend – après brève conversation entre Elophe et le sous-officier, je suis accompagné au 2ème étage de la maison du boulevard Lamartine. Petit bureau bien meublé avec vase de fleurs. (Cela me frappe assez !). Jeune lieutenant (3 étoiles d’argent sur fond noir au col du dolman) qui se lève et me salue à l’hitlérienne. Je m’incline bourgeoisement. Je n’ai vu ce personnage que là : jamais en ville je ne l’ai rencontré depuis. Accueil fort courtois (très différent de Maschke), conversation par interprète. Je ressors mon laïus de tout à l’heure, mêmes effets. Je parle de mes élèves maîtres. Réponse à demi favorable. J’ai l’impression qu’il n’a pu être relevé aucune charge précise contre eux ; la conclusion me paraît être que pour sa part pas d’inconvénients mais il faut que je me mette en rapport avec « L’inspection qui s’occupe de l’affaire ». Je parle alors de  Guennebaud mais la figure du chef se rembrunit et se ferme et il me répond par un « non » catégorique et glacial. Aucune insistance ne m’est permise. Salut à l’hitlérienne dans un style impeccable et je suis conduit en bas dans le bureau de Rudolph. Je remets le disque (ter). Rudolph grossier et haineux. Me parle des normaliens, semble être d’accord sur les charges, aucune de précise, ce sont de « braves garçons », mais, portant la main à son front, il me dit « c’est là » ; j’insiste alors en observant qu’ils vont quitter la Bretagne, et qu’ils demeureront dans l’Indre sous ma seule garantie. « Ce n’est pas l’esprit de la collaboration que de retenir en prison des Français sur lesquels ne pèse aucune charge précise ». Sourire méprisant et méchant. Il me répond : « Ce sont des ennemis de l’Allemagne, vous les défendez, vous êtes aussi un ennemi de l’Allemagne, Monsieur. » Conversation interrompue par coup de téléphone puis par Elophe. Celui-ci se met à parler en allemand. Rudolph lui répond en français en haussant les épaules « Qu’il n’a pas le temps de la voir ce soir et qu’elle aille au cinéma toute seule (indicatrice ? Maîtresse ?). Dehors, mon interlocuteur qui parle fort bien le français se montre impatient et de plus en plus grossier. Je sens que la partie est perdue : « Il ne leur sera pas fait de mal », c’est sa dernière parole et il m’ouvre la porte. Pourquoi différences de réception chez l’officier et chez Rudolph ? Simple comédie sans doute : le second refusant ce que le premier paraissait accorder… Je rentre fatigué comme si je venais de passer une épreuve d’agrégation !!! »

L’indignation des parents
Après l’énoncé du non-lieu prononcé par la Cour de justice de Rennes, les parents des victimes sont indignés. Le 10 mars 1945, la mère de Pierre Salaün écrit au procureur : « Nous avons eu la stupéfaction d’apprendre la libération du sieur Ricard, lequel aurait parait-il bénéficié d’un non-lieu ! Je ne saurais vous dire à quel point cette nouvelle nous a bouleversés. Comment peut-il se faire que des témoignages comme celui de M. Rabel, pour n’en citer qu’un seul, soient jugés sans valeur, lorsqu’il affirme avoir entendu le personnage en question répondre à mon fils, qui l’accusait de l’avoir vendu « Il ne faut pas m’en vouloir… Je me suis coupé… Je ne l’ai pas fait exprès. » Et ceci d’un ton embarrassé sur la signification duquel il n’y avait pas à se méprendre. Sans valeur aussi cette réflexion de l’infâme Rudolph, rapporté par mon fils à son camarade de cellule, au retour d’un interrogatoire « Et vous vous êtes confié à un type comme Ricard ! Vous n’aviez donc pas vu ce que c’était ! » Ceci il est vrai est le témoignage d’un mort. Et les morts ne peuvent pas se défendre. Si cet individu avait la conscience si pure, pourquoi donc intervient-il avec tant d’énergie pour essayer d’arrêter le premier rapport déposé contre lui ? Pourquoi faisait-il intervenir dans ce sens certaines personnalités ? »
Le premier rapport dont fait allusion la mère de Pierre Le Cornec est un document intitulé « Rapport Morin concernant la situation d’Yves Ricard », rédigé le 8 août 1944, donc deux jours après la libération de Saint-Brieuc, et qui va déclencher la procédure contre Ricard : « Dans le courant du mois de novembre 1943, la ferme de Mathurin Arthur, demeurant au lieu-dit Pré-Méno en Plérin, se trouvait être attaquée par une bande de jeunes gens au nombre de 6 dont le chef se trouvait être Yves Ricard. Ces messieurs se disant soi-disant patriotes et agissant parait-il en tant que FTP ont sur la menace de leurs revolvers terrorisé le fermier et pris une certaine somme d’argent qu’ils se sont partagés en part inégales puisque Ricard aurait d’après la déclaration de certains de ces messieurs gardé la moitié de la somme. Sur plainte de M. Arthur ce Ricard a été arrêté par la gestapo le 8 décembre. Peu de jours après, c'est-à-dire le 10 décembre la Gestapo arrêtait 18 jeunes lycéens faisant partie de Défense de la France parmi lesquels se trouvaient Le Cornec, Geffroy et Salaün, tous nous nous trouvions dans la même cellule. Ricard de son coté apprenant ces arrestations et ayant appris je ne sais comment que les auteurs du meurtre de l’allemand étaient Le Cornec et ses deux camarades a demandé à la Gestapo à être interrogé. En effet, peu de temps avant que  le coup de la ferme se produise Ricard avait demandé à emprunter des armes à notre groupe pour faire disait-il une affaire intéressante. Pour cela il s’était adressé à ces camarades : Salaün et Geffroy. C’est sans aucun doute pour cela que Ricard a su par la suite quels étaient les auteurs du meurtre. Donc aussitôt interrogé ou en partie plutôt, l’on fit immédiatement descendre Le Cornec pour l’interroger et le rouer de coups, suivi peu de temps après par Salaün où ils les séparent de nous, c'est-à-dire qu’ils restèrent en cellule. C’est quelques jours après que Salaün fit parvenir par ceux qui nous envoyaient la soupe (prisonniers comme nous) un petit mot à Geffroy disant qu’il devait être interrogé le lendemain « Les Allemands savent tout, ceci en parlant de la question Défense de la France. Ils savent même que c’est nous qui avons tué l’Allemand, mais qu’ils ne savaient pas qu’il y avait un 4ème nommé Jouanny qu’il ne fallait en aucun cas parler de lui. » Donc ces deux jeunes gens n’avaient encore rien avoué, malgré les tortures qu’ils avaient pu avoir. Ce n’est qu’après l’interrogatoire de Geffroy qui se trouvait être le 24 décembre, veille de Noël que nous avons su exactement comment les Allemands ont été si bien renseignés. En effet, le sieur Ricard lors de son arrestation aurait dit, croyant tirer « sa peau » selon l’expression : « C’est bien moi qui ai dévalisé la ferme mais ce n’est pas moi qui ait tué l’Allemand. Saisissant la balle au bond la Gestapo n’a pas négligé une si belle occasion et sans aucun doute Ricard a lâché les noms de ces 3 camarades tombés si glorieusement. Cette déclaration se confirmait très bien lorsque quelques jours après la Gestapo nous disait textuellement : « Pourquoi vous confier à un salaud comme Ricard ? » et qu’ils étaient loin de soupçonner un lycéen auteur de ce meurtre. Et encore un peu plus tard lorsque Ricard fut transporté de sa cellule à la chambre commune attenante à la notre par laquelle nous pouvions communiquer à l’aide d’une porte consignée, l’ayant ouverte Ricard nous déclara, car il savait que nous étions au courant de ses agissements : « Je sais que j’ai fait une petite blague » en faisant allusion à nos 3 glorieux camarades, il appelait cela lui le traitre, une petite blague. Donc la situation et la conclusion sont très nettes. Ricard a pour se tirer d’affaire sacrifié nos camarades, eux 100% français alors que lui n’était pas digne de ce nom ; de plus n’étant pas affilié à aucun mouvement patriotique, il se couvrait de notre pauvre drapeau déjà tant souillé pour commettre ses lâchetés voir même ses crimes. Nous ne demandons pour ce monsieur que la justice française cette fois fasse effet. Le 8 aout 1944. Certifié exact et sincère par 3 camarades prisonniers de ces pauvres victimes du devoir : R. Morin ; M. Pondemer ; E. Martin. »
Visiblement, l’accusation aura du mal à mettre la main sur ce rapport puisque cinq mois après, le 9 décembre, le père d’Yves Salaün écrit au juge Dauvergne : « J’ai appris par M. Geffroy que M. Rose, maire de Plérin avait refusé de communiquer le rapport qui lui avait été adressé sur l’affaire Ricard et que ce rapport devait être déposé chez M. Gallais. Je me suis rendu chez lui il m’a dit qu’il ne se souvenait pas avoir vu ce rapport. Je lui ai répondu que c’était étonnant vu l’importance de cette pièce. Gallais reconnut alors qu’il avait ce rapport et que Ricard avait fait une démarche auprès de lui pour tenter d’arrêter l’affaire. Une autre personne avait fait une démarche similaire mais il ne voulait pas révéler son nom. »
Lors d’une confrontation, Georges Gallais, pharmacien à Saint-Brieuc déclare : « J’ai bien reçu la visite de M. Salaün et je lui ai dit que j’avais bien eu le rapport Ricard mais que je l’avais transmis aux Corps-Francs. Il est exact que j’ai reçu la visite de Ricard fils. Je n‘ai pas voulu l’écouter, je l’ai arrêté immédiatement ayant bien compris qu’il était venu dans l’intention d’arrêter l’affaire. Je reçu aussi la visite de Mme Guennebaud qui défendait Ricard d’une façon extrêmement vive. » M. Salaün : « Je ne signale qu’une chose, c’est que j’ai eu beaucoup de mal a remettre la main sur l’original de ce rapport Morin qui avait été transmis à divers bureaux. » Le juge : « Le témoin Salaün nous donne le carnet que son fils a tenu en prison. Dans ce carnet que le jeune Salaün a tenu au jour le jour, il est indiqué « Lundi 13 décembre. Nous étions déjà couchés depuis une heure et demie quand on vint chercher l’un d’entre nous : c’était moi. J’étais vendu comme détenteur d’un revolver et comme ayant fait le coup de Plérin. Inutile de nier. » Le témoin ajoute : « Je n’ai pas besoin de vous dire quelle valeur d’authenticité j’attache à ce journal que mon fils a eu le courage de tenir jusqu’au bout. »
Le père d’Yves Ricard, transporteur à Saint-Brieuc, s’indigne également de l’inculpation de son fils. Le 28 septembre 1944 il écrit au préfet : « Je suis sur que mon fils n’est pas coupable des faits qui lui sont reprochés au sujet des trois lycéens fusillés à Fresnes. Il est inadmissible que mon fils soit maintenu en prison comme terroriste après avoir fait ce qu’il a fait pour la résistance. L’argent de la ferme a été dépensé pour recruter des camarades pour la résistance. Il a délivré de fausses cartes d’identité. Il a été dénoncé puis mis en prison par la Gestapo. Il a failli être fusillé pais grâce à de bons renseignements il a été sauvé. » Le 30 novembre, c’est un mémoire qui est adressé au juge : « Mon fils travaillait au terrain d’aviation comme chauffeur avec ma camionnette où il a eu une histoire avec un Allemand. Il a fait deux mois de prison à Dijon il est revenu et a été envoyé comme travailleur de force en Allemagne où il sabotait l’outillage et a manqué d’être envoyé dans un camp de concentration. Au bout de 6 mois je l’ai fait revenir avec de faux-papiers, donc il n’est jamais reparti, il s’est caché à La Poterie dans une ferme puis quand il a su qu’il y avait un maquis à Plédéliac il y est allé, là il a fait le vrai patriote. » Des camarades et chefs de maquis vanteront le patriotisme de Ricard. L’interprète Elophe, qui devait être en « arrêt maladie » à Quimper témoigne également dans une déposition : « J’ai suivi entièrement en tant qu’interprète l’affaire du lycée. Pour moi Ricard est absolument innocent. L’arrestation globale des lycéens ne vient certainement pas de lui. Elle doit venir du milieu PNB. Ce n’est pas Ricard qui a dénoncé Jouan et Le Mée. C’est Salaün au cours d’un interrogatoire auquel j’assistais. J’ignore si Ricard travaillait pendant son séjour à Fresnes, en tout cas lorsque son dossier est parti pour Fresnes, je l’ai vu et rien ne laissait paraitre qu’il était un dénonciateur. Par conséquent ce n’est pas pour cette raison qu’il aurait eu un régime de faveur. J’ai traduit toute la déposition de Le Cornec. C’est lui qui a dénoncé Salaün et Geffroy. D’ailleurs on avait identifié Le Cornec par son revolver et d’après l’enquête il était déjà établi que trois personnes étaient présentes au meurtre de Plérin. Aussi n’eut-on pas de cesse de faire dire à Le Cornec le nom de ces deux personnes. Je n’étais pas là lorsque Rudolph a offert une cigarette à Ricard. En ce qui concerne l’affaire de Plessix je ne puis dire qu’une chose c’est que je me serais beaucoup méfié de Plessix. L’arrestation des lycéens venait probablement du milieu du PNB. »
Cette indignation des parents des lycéens, on la retrouvera également à propos des victimes de Roger Elophe. Alors que l’accusation attendait une peine de mort, Elophe sera condamné aux travaux forcés à perpétuité. L’instruction fut menée par le même juge Dauvergne, en poste à Vitré avant-guerre, puis magistrat à la Cour d’assises de Rennes sous l’Occupation, donc ayant prêté serment au Maréchal Pétain.

Sources : Dossiers Plessix ADIV 214W53, Cadran ADIV 214W74, Ricard ADIV 214W63, Elophe ADIV 214W22, archives privées.