samedi 5 novembre 2016

Gérald Gallais, ou le destin tragique d'un adolescent sous l'Occupation




Cette communication est extraite du bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie du pays de Fougères Tome LII-LIII  Année 2014-2015. Ne souhaitant pas les retrouver sur internet, j’ai volontairement retiré les photographies des inculpés. Huguette Gallais étant encore vivante lorsque j'ai rédigé mon ouvrage Agents du Reich en Bretagne, et ne voulant pas lui faire de la peine, j'ai alors pris la décision d'employer des pseudonymes, ce qui m'a été vivement reproché par Françoise Morvan. Les lecteurs reconnaîtront donc : Gérald Gallais, alias Gérard Goavec ; André Colin, alias Arthur Coquemont ; René-Yves Hervé, alias Alain Guerduel ; Mathilde Le Gall, alias Marie Kerlivan.
Parmi les dossiers de la Cour de Justice qu’il m’ait été donné de consulter aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine (ADIV), celui de Gérald Gallais, s’il n’était pas le pire, fut certainement l’un des plus dramatiques, tant me revenait en mémoire le « Lacombe Lucien » du film de Louis Malle. Comment, en effet, imaginer que ce garçon, qui n’avait que quinze ans lorsque sa famille fut arrêtée et déportée, et qui aurait du logiquement continuer le combat contre l’occupant, puisse basculer dans le camp de la collaboration pour finir dans un camp de concentration en Allemagne.
De retour de captivité, au mois de mai 1945, Andrée Gallais et sa fille Huguette ignorent tout des agissements de Gérald durant leur absence : « En novembre 1945, nous apprenions que mon fils devait être jugé par le tribunal de Rennes pour intelligence avec l’ennemi, à notre grande surprise évidemment. Jugement par contumace, jugement ridicule à mon avis mais non moins existant. » Huguette déclare au juge : « Pendant un certain temps de ma captivité, j’ai reçu de lui plusieurs lettres dont la dernière du 28 février 1943. Ses sentiments étaient toujours très français et la dernière phrase de sa lettre était : « Bonsoir sœur chérie, reste ce que tu es, reste digne, la mort passe, la gloire reste ! » Sa signature était en V avec les points du Général de Gaulle. » Cinq jours auparavant, le 23 février 1943, les douze membres du groupe ont été condamnés à mort. Ignorant qu’elles ont été graciées, Andrée et Huguette Gallais, ainsi que Louise Pitois, seront maintenues au secret à la prison d’Augsburg jusqu’au 9 septembre 1943. Aucune correspondance ne pouvait donc leur parvenir « Quant à mon fils Gérald, je ne peux le soupçonner de trahison, car à cette époque toute sa loyauté nous était acquise. Il en résulte que nos dénonciateurs ne peuvent être que les époux Hervé. Alors que nous étions à Augsburg, mon fils nous adressa une lettre dans laquelle il mentionnait qu’il avait vu à Fougères les époux Hervé ; elle fut acheminée jusqu’à la prison puis retournée à l’expéditeur après contrôle de la Gestapo. Nous avons retrouvé cette lettre dans les papiers de mon fils à notre retour en France et je vous l’enverrai pour être jointe à la procédure », écrira au juge Andrée Gallais. Lors de cette audience de la Cour de Justice de Rennes du 7 novembre 1945, sont jugés : Gérald Gallais ; Émile Luec ; Claude Garavel ; René-Yves Hervé et Mathilde Le Gall. Ouest-France annoncera le lendemain que Garavel a été condamné à mort (Il sera fusillé) et Mathilde Le Gall aux travaux forcés à perpétuité, mais aucune ligne sur le procès Gallais. Mineur au moment des faits, il a été condamné à cinq ans de travaux forcés par contumace. Pour qui a une certaine expérience de ce genres d’affaires, et compte tenu du réquisitoire définitif, la peine parait plutôt clémente « Gérald Gallais fut, pendant l’occupation, un des agents français les plus actifs de la police de sûreté allemande. Il avait cependant en 1940 et 1941 appartenu au groupe de résistance dont son père, gardien du château de Fougères, était le chef : ses parents, sa sœur et lui-même ainsi que 50 habitants de Fougères furent arrêtés dans le courant du mois d’octobre 1941.Gallais Gérald fut relâché dans des circonstances qui n’ont pu être déterminées ; son père fut fusillé à Munich le 21 septembre 1943, sa mère et sa sœur déportées en Allemagne ont été rapatriées le 24 avril dernier. Gallais exerça son activité au service de la police allemande de concert le plus souvent avec Arthur Coquemont et René Hervé, tous deux également en fuite. » Les jurés de la Cour de Justice ont-ils estimé qu’il était inutile d’aggraver la douleur d’une famille déjà lourdement éprouvée ?

La fin du groupe Gallais
Revenons à ce jeudi 9 octobre 1941. Dès six heures du matin, la police allemande procède à l’arrestation des membres du groupe qui sont emmenés à l’Hôtel des Voyageurs pour y être interrogés. Celui-ci étant infiltré depuis plusieurs mois par le couple René-Yves Hervé et Mathilde Le Gall, les Allemands sont parfaitement au courant de ses agissements. Parmi les personnes relâchées le soir même, figure le jeune Gérald. Ce qui ne manquera pas d’étonner les policiers lors de l’enquête d’instruction. Interrogé, le 23 juillet 1945, le gendarme Robert Marcel témoigne : « J’ai été incarcéré à Angers en même temps que les parents de Gérald Gallais qui avaient été arrêtés à la suite d’un dépôt d’armes à Fougères. Á cette époque les parents Gallais soupçonnaient un nommé Hervé de les avoir dénoncés. Toutefois, au cours de leurs interrogatoires les Gallais étaient fort surpris de voir toutes les précisions que les Allemands connaissaient de leur activité, notamment les descriptions très précises de scènes qui s’étaient déroulées à leur foyer et en dehors de la présence de tout étranger. » Plusieurs membres du Groupe d’Action déclarent avoir entendu Gallais se vanter d’avoir dénoncé ses parents, mais quel crédit accorder aux déclarations de ces individus de sac et de corde qui renieraient père et mère pour sauver leur tête ? Huguette Gallais est formelle : « Mon frère Gérald qui depuis un an travaillait avec nous dans la Résistance fut arrêté également le 9 octobre, subit deux interrogatoires et fut relâché mais je suis sûr que mon frère n’avait rien dit ; ainsi que je l’ai toujours déclaré le dénonciateur des 56 personnes arrêtées le 9 octobre 1941 est Hervé René dit « Philippe » ou encore « Isidore » et sa femme née Mathilde Le Gall, dite « Hélène ». Si mon frère avait parlé il y aurait eu beaucoup plus d’arrestations. » Même constat du gendarme Théophile Jagu, le seul membre du groupe libéré à Augsburg et rentré à Fougères le 5 avril 1943 : « Je ne crois pas que Gérald Gallais soit à l’origine de l’arrestation de ses parents. A cette époque il était gaulliste 100% et s’il avait voulu dénoncer à ce moment, il y aurait eu beaucoup plus d’arrestations, car il était au courant de tout ce que faisaient son père et sa sœur. » Aussitôt relâché, le soir du 9 octobre, Gérald retourne au domicile familial pour y récupérer un panier de tomates dans lequel sa mère, au moment de son arrestation, avait caché trois revolvers, puis les confie à Mme Caillet : « Gérald Gallais m’a dit que c’était sa mère qui lui avait dit de m’apporter la corbeille et lui avait dit cela au moment ou elle a pris congé de lui à la Feldgendarmerie et lui avait dit qu’il y avait des revolvers dans la corbeille. Jamais je n’ai soupçonné Gérald Gallais d’être le dénonciateur de ses parents et des autres membres du groupe qui furent arrêtés. Je crois que si Gérald Gallais avait été le dénonciateur il m’aurait moi-même dénoncée, sinon ce jour là, au moins par la suite ; il savait très bien qu’elles étaient mes activités dans la Résistance, il savait où je cachais mes armes. » Qu’advient-il ensuite de ce jeune homme ? D’après Théophile Jagu, il a été remis à M. Carnet, secrétaire général de la mairie de Fougères, puis confié à un oncle de Pontorson. Hormis quelques témoignages, les archives sont muettes sur son comportement pendant les deux années qui suivent. « Pendant 18 mois ou deux ans après l’arrestation de ses parents, Gérald Gallais manifestait des sentiments très français et se comportait en bon français. Malheureusement il fréquentait les époux Hervé qui sont, à mon avis, les auteurs de la dénonciation de notre groupe » déclare Marie Guilloux, épouse d’Antoine Perez, déporté avec René Gallais. Nous savons également que le jeune Gallais était encore à Pontorson jusqu’à la fin de l’année 1943 « La carte de textile que vous me présentez appartient à ma fille Annick, âgée de 6 ans. Elle a du se trouver en possession de mon cousin Gallais Gérald pour des achats. Il a été chez mes parents jusqu’à la fin 1943. En raison de sa mauvaise conduite, mes parents lui ont  fait comprendre qu’il devait quitter la maison. Au moment de son départ il a du emporter la carte de textile de ma fille. Je sais que mon cousin, dont j’ignore le refuge actuel, est recherché comme ayant appartenu à la Gestapo. Je ne suis donc pas surprise que la carte en question ait été retrouvée parmi les papiers de la Gestapo à Rennes où Gallais résidait le plus souvent. » D’après Théophile Jagu : « Son oncle et tuteur n’a jamais pu le surveiller. Il vola le poste de TSF de son père pour le revendre aux allemands de St Malo. » Livré à lui-même, ce garçon de 17 ans semble avoir trouvé refuge villa « Les Nieilles » à Paramé, chez un certain Coquemont, avec qui il s’est acoquiné et qui l’entrainera dans sa déchéance.

Dans l’ombre de Coquemont
Arthur Coquemont debout à gauche, Gérald Gallais assis au centre.
Arthur Coquemont est né le 3 avril 1915 à Fougères, où son père tenait un débit de boisson, place Aristide Briand. Après de vagues études à Rennes, il devient représentant et est déjà connu des services de police « Avant-guerre, militait dans les rangs du PAB et était surveillé à ce titre depuis 1938 par la police Fougères. Fut surpris par des agents alors qu’il apposait des tracts autonomistes dans la nuit du 14 au 15 octobre 1941. A été vraisemblablement renvoyé de ce parti en 1942. » L’Occupation, pour un individu comme Coquemont, prêt à toutes les compromissions avec les Allemands, c’est l’opportunité de juteux trafics avec l’occupant. « D’allure sportive, présentant bien, 1m74 environ, parfois revêtu d’un manteau de cuir marron, coiffé d’un chapeau gris à bords relevés, botté de cuir, portant parfois des lunettes noires, Coquemont se déplaçait souvent à motocyclette. Condamné à la peine de mort par contumace le 10 avril 1946. En fuite en Italie. Marché noir sur grande échelle. Membre actif du Parti National Breton. Agent du SRA d’Angers. Fréquente des agents de la Gestapo, notamment un nommé Willy Heinen. » En 1942, Coquemont devient délégué du service social de l’entreprise de travaux publics Desprez qui travaille pour l’organisation Todt à Paramé. Georges Desprez est un aventurier et collabo de grande envergure, qui ira jusqu’à escroquer les Allemands, ce qui lui vaudra d’être arrêté et déporté. Rescapé des camps de concentration, il se lie avec le PCF et sera condamné après-guerre à la peine de mort par contumace pour… intelligence avec l’Union Soviétique. Il avait fondé à Saint-Malo une section de « Ligue française » de Pierre Constantini, sans grand succès. La police soupçonne Coquemont d’être l’auteur de l’arrestation du jeune Maurice Bachelot en 1942, accusé d’avoir tenté de livrer les plans de la défense de St-Malo, ce qui lui vaudra d’être fusillé quelques mois plus tard. La société Desprez dissoute en avril 1943 par les Allemands et son patron arrêté, Coquemont conserve pour lui une camionnette de l’entreprise.  

Le marché noir

Durant l’hiver 1943-1944, disposant d’ausweis et de faux papiers pour se déplacer dans la zone côtière interdite avec le camion récupéré chez Desprez, Coquemont et Gallais se livrent à un vaste marché noir. Avec une forte présence militaire allemande, dont les marins de la Kriegsmarine chargés du ravitaillement des îles anglo-normandes et la construction des fortifications par l’organisation Todt, la Festung Saint-Malo est un marché propice à tous les trafics. Lors d’un chantier de l’entreprise Desprez à Châteauneuf, Coquemont s’était mis en cheville avec un abattoir de la commune « Un marchand de bestiaux du Tronchet lui fournissait les bêtes autant qu’il en voulait et il ravitaillait les allemands et divers restaurants de Saint-Malo. Il expédiait même par bateaux à Jersey et Guernesey. Son trafic s’étendait même sur l’alcool et le blé ». Le cuir en général, et surtout les chaussures, particulièrement recherchées, font aussi l’objet d’un important trafic. Profitant des relations de Coquemont dans cette industrie traditionnelle de Fougères, Gallais n’est pas en reste. Il est interpellé une première fois par l’inspecteur de police Albert Nogues : « Me trouvant rue St-Vincent, j’interpellai un individu qui transportait un énorme colis sous son bras. Ayant déjà remarqué à différentes reprises cet individu, que je suspectais de trafic de chaussures, je l’invitais à me faire connaître son identité. Il me répondit alors que ma qualité d’inspecteur de police français ne me permettait pas de lui demander son identité, car il appartenait au service des SD allemands. Il me déclara spontanément que le colis qu’il transportait contenait des bottes et des chaussures destinées à la Feldgendarmerie de St-Malo (…) Je l’emmenais au Commissariat Central malgré son opposition. Je procédais alors à la vérification du contenu de son colis qui comprenait une quinzaine paires de chaussures, tant d’hommes que de femmes. » Arrivé au commissariat, Gallais exige de l’inspecteur d’être emmené au bureau du SD (Sicherheistdienst, service de sécurité de la SS) de Saint-Malo « Gallais m’y accompagna et arrivé à la villa « Les Quatre Vents » à Rochebonne, il pénétra dans cette villa en faisant le salut hitlérien et s’isola pendant dix minutes environ avec un des membres des SD. Un policier allemand revint alors et m’enjoignit de lui remettre ma carte d’identité. Ce que je fis. Quelques instants plus tard, il revint et m’ordonna de remettre immédiatement les chaussures saisies à M. Gallais. » Le 11 janvier 1944, Coquemont est à son tour appréhendé par la police « Porteur d’une somme de 24 295 F qui représentait certainement sa participation à une importante affaire de trafic d’alcool dans laquelle il joua d’ailleurs, même après son arrestation, le rôle d’indicateur. Sur nos renseignements le véhicule fut saisi à St-Malo, l’affaire fut suivie par l’Administration des Contributions, mais Coquemont ne fut pas inquiété. Lorsque je l’arrêtais, il le prit de haut, me déclarant qu’il appartenait à la police allemande, qu’il était directement au service de Grimm chef de la Gestapo à Rennes. A l’appui de ses dires, il me présenta une autorisation de se rendre en zone côtière signée du Kommandeur de la SD. Il me signala que cela pourrait me coûter cher de le mettre en prison, et répéta la même chose aux inspecteurs de mon service, à mon encontre. » Grâce à leurs faux-papiers et cartes de police allemande, les deux hommes peuvent circuler en toute impunité dans la zone côtière interdite. Le 17 avril 1944, ils sont contrôlés par un gendarme de la brigade de Cancale au lieu dit « Les Portes Rouges » en Saint-Méloir-des-Ondes « Ayant présenté des pièces dactylographiées en allemand et revêtues du cachet allemand avec croix gammée ; Goavec s’est montré d’une extrême arrogance en disant qu’il n’avait pas le triste honneur d’appartenir à la gendarmerie Française. Etant repassés à l’hôtel Audot ils ont inscrit leur nom sur une fiche comme suit : Collin André, journaliste, né le 3 avril 1915 à Rennes, sans autre indication,  deuxièmement Goavec Gérard, né le 26 juillet 1926 à Boulogne (Seine), étudiant, ayant résidé à St-Malo et venant de Fougères. »

Au service du SD

Pouvoir se permettre d’agir en toute impunité face à la police de Vichy, implique nécessairement d’entretenir des relations privilégiées avec les officiers du SD, qui occupent la Cité des étudiantes de Rennes. « Les agents du SD étaient recrutés par Grimm sur présentation. J’ai entendu Grimm dire à Kerbot, son secrétaire, que les agents du SD de Rennes n’apportaient en général que des affaires insignifiantes parce que trop jeunes et inexpérimentés. Je dois dire cependant que quelques uns étaient très forts tels que Coquemont et Gallais » déclarera l’interprète Claude Geslin, ancien du PNB. Une liste de 180 noms d’agents du SD a été retrouvée au siège du SD par les Américains lors de la libération de la ville. Claude Geslin, de Saint-Brice-en-Coglès y figure avec le N° SR 923, mais aussi d’autres fougerais : Gérald Gallais, N° SR 930, alors domicilié au 7, rue Rallier du Baty à Rennes ; Julien Guérinel, gendarme, N° SR 748 ; Henri Lecoq, dentiste, N° SR 731 ; Joseph Loysance, assureur, N° SR 762 ; Paul Thébault, travaillant dans la chaussure, N° SR 750. Parmi les « affaires » apportées au SD, figure celle de l’arrestation de Thérèse Pierre, autre figure emblématique de la Résistance fougeraise. Gérald Gallais était-il impliqué dans cette arrestation ? Impossible de répondre avec certitude, mais le témoignage de François Morinais, un commerçant de 39 ans, est troublant : « Le 21 octobre 1943, je me trouvais dans la salle de café tenu par ma sœur, 36 bis rue des Prés. Mon attention fut alors réveillée par la vue d’une voiture allemande en stationnement devant la maison et je restais aux aguets derrière la vitre. 20 minutes plus tard, je vis Mlle Thérèse Pierre descendre la rue en compagnie d’un officier nazi qui la fit monter en voiture et referma brutalement la portière. Cela fait, l’officier se dirigea vers le bas de la rue et revint, 5 à 6 minutes plus tard, accompagné d’un jeune homme dont voici le signalement : Age 18 à 20 ans, taille moyenne, 1m70 tout au plus, mince de corps, quoique ayant les épaules bien carrée et le buste bien droit. Figure très jeune, un peu pâle, figure plutôt ronde sans être grosse, cheveux châtains tirant sur le foncé et rejetés en arrière, costume de couleur bleue foncée. L’individu portait en outre sur le bras un imperméable beige, et à la main une mallette marron de petite taille. Ce jeune homme ne paraissait pas être en état d’arrestation, il ne semblait ni inquiet ni gêné. Tandis que l’officier s’installait sur le siège avant de la voiture près du chauffeur, il ouvrit lui-même l’une des portes arrière et s’assit près de Mlle Pierre. L’automobile démarra aussitôt. Je dois préciser qu’en conduisant Mlle Pierre à la voiture, l’officier allemand la tenait par le bras droit. Le jeune homme dont je vous ai parlé ci-dessus au contraire marchait librement. » Les policiers présentent alors au témoin une photo de Gérald Gallais « Sans pouvoir à coup sûr affirmer qu’il s’agit bien là de l’individu aperçu, ceci en raison du temps écoulé, je dois dire que ce portrait me parait conforme au souvenir que j’ai conservé de cet individu. »
Au début de l’année 1944, les conditions d’accès à la zone côtière interdite, qui a été étendue jusqu’à une ligne Dinan-Combourg-Antrain, se restreignent. Ce qui ne facilite pas les affaires de nos deux trafiquants, qui sont de plus en plus repérés. C’est donc à Rennes qu’on les retrouve le 11 mai 1944. Ce jour-là, vers midi, Joseph Lecomte, alias « Le Retour », agent du réseau « Turquoise », a rendez-vous avec Jean Uxaut, membre de « Libé-Nord », au café Allano, rue du Pré-Botté à Rennes. Lorsqu’il pénètre dans le café, Uxaut est déjà attablé avec deux hommes. Prudent, Lecomte se dirige vers le bar pour ne pas parler à Uxaut devant ces deux inconnus, mais Uxaut lui fait signe de le rejoindre « Parmi ces deux personnes celui que j’appelle Coquemont et un second vêtu d’un blouson marron que je présume être Le Roy ». » Michel Le Roy, un jeune collaborateur, est le fils de l’écrivain breton Florian Le Roy, journaliste à L’Ouest-Éclair. Uxaut, accompagné de Coquemont et Le Roy, sortent du café Allano pour se rendre au café de l’Europe, rue Jean Jaurès, où il sera arrêté par ses deux compagnons et livré au SD. Uxaut sera déporté en Allemagne et ne reviendra pas. Pendant ce temps, Lecomte est resté au café Allano : « A midi, en sortant du café avec un de mes agents de la Résistance, un individu est entré dans le café, il était vêtu d’une gabardine et d’un chapeau écrasé. J’ai quitté mon agent à la porte du café et je me suis dirigé aux urinoirs près de la poste. En sortant, je m’engageais dans la rue Jules Simon quand Coquemont et le présumé Le Roy m’ont arrêté au nom de la police allemande. Ils étaient devant vers moi, un 3ème est venu se placer derrière moi, je l’ai reconnu pour l’individu à la gabardine qui était entré au café au moment ou je sortais. Ils me firent mettre les mains derrière le dos et me recommandèrent de garder le silence. » Lecomte ne pense qu’à une chose : s’enfuir. Ce qu’il va faire, arrivé à l’angle des rues Le Bastard et du Champ Jacquet : « A partir de ce moment, je ne puis rien dire étant occupé à m’enfuir et ne m’occupant pas de ce qui se passait derrière moi. J’ai simplement entendu Gallais dire à Coquemont : s’il ne veut pas avancer, donne lui un coup de matraque. » Descendant à toute allure la rue Le Bastard, Lecomte entend un coup de feu et ressent une douleur. Une balle s’est logée dans son bras. Plusieurs coups de feu sont tirés par Gallais, mais il réussit à s’enfuir. Une lycéenne, présente dans la rue, sera également blessée.
Le 29 juin 1944, Coquemont et Gallais sont envoyés par le SD à Dinard. Ils se présentent sous leurs fausses identités, Goavec et Colin, au bureau de Gabriel Delaveyne, comptable des Allocations Familiales : « Ils m’ont dit qu’ils étaient des prisonniers politiques évadés de la prison de Vitré. » Leur déclaration est tout à fait plausible puisque le 29 avril, Loulou Pétri et ses FTP, par un coup de main d’une grande audace, avaient réussi à s’introduire dans la prison de Vitré pour libérer 48 prisonniers politiques. « Ces deux individus m’ont demandé si je connaissais des personnes appartenant à la résistance dans le pays et si j’avais des cartes de pain à leur donner, se disant démunis de provisions. Les susnommés ayant l’aspect douteux, surtout le jeune Goavec, je les ai invités à aller de ma part demander à déjeuner, à la cantine scolaire, où ils sont allés. » Une semaine plus tard, le 6 juillet, à neuf heures du matin, accompagnés de deux feldgendarmes, Coquemont et Gallais sonnent à la porte du 104, avenue Georges V à Dinard, domicile de Delaveyne : « Je suis descendu et j’ai été arrêté immédiatement, sans explication. Pendant que j’étais gardé sous la voute de mon appartement par un feldgendarme, l’autre et les deux individus en question sont montés dans mon appartement où se trouvaient ma femme et ma fille. Ces deux dernières ont été également arrêtées sous la menace du revolver. Ma femme, qui n’était pas vêtue, a été mise dans l’obligation de s’habiller devant Coquemont, tandis que ma fille était surveillée par Gallais. Quant au feldgendarme, celui-ci était resté sur le palier et ne s’est occupé de rien. Coquemont est descendu avec ma femme et ma fille, pendant que Gallais était resté dans l’appartement. » Delaveyne, son épouse Margueritte et sa fille Yvonne, sont emmenés à la Kommandantur de Saint-Servan par Coquemont qui rejoint ensuite Gallais à l’appartement pour y effectuer une nouvelle perquisition. « Ensuite, Coquemont est revenu à la Kommandantur où il m’a questionné pour me demander si je connaissais les chefs de la résistance de Dinard. Je lui ai répondu négativement. Voyant qu’il ne pouvait obtenir aucun renseignement de moi, il s’est approché et m’a frappé violement sur la tête à coups de poings. » Le couple et leur fille sont ensuite transférés de Saint-Servan à la prison de Rennes, où Delaveyne sera de nouveau interrogé et frappé. Une semaine après l’arrestation de ses parents, la fille ainée de Delaveyne, assistante sociale à Rennes, se présente à la Feldgendarmerie de Saint-Malo pour récupérer les clefs de l’appartement où elle se rend en compagnie d’un feldgendarme. Elle constate la disparition d’argent, de bijoux et d’objets de valeur : « Tous les papiers étaient épars dans les pièces où un désordre indescriptible régnait. Ces constatations ont été faites en présence du feldgendarme connu sous le nom de « Georges », lequel a fait un rapport. » Libérée le 23 juillet, Mme Delaveyne se rend à son tour à la Feldgendarmerie de Saint-Servan : « Elle déclare qu’environ 28 à 30 000 F, une montre en or, une chaine de montre en or et une montre-bracelet de dame avaient été enlevées de son appartement. Elle avait appris par les voisins que deux agents auraient encore perquisitionné l’appartement en l’absence des Feldgendarmes. » Le rapport du feldgendarme « Georges » sera transmis à ses supérieurs, mais il n’y aura pas de suite. Les Américains sont aux portes d’Avranches. Delaveyne figure parmi les déportés du dernier convoi dit de « Langeais ». Il sera libéré à Belfort.
Le 10 juillet 1944, vers 19 h 15, deux étranges paroissiens font leur apparition à l’hôtel Chancerel de Pontmain, en Mayenne, où le père de Georges Toth, mécanicien dans le bourg, prend une consommation avec son fils : « En pénétrant dans la salle le plus âgé a prononcé les paroles suivantes : « Police allemande ! » et aussitôt le plus jeune a présenté une mitraillette qu’il tenait sous un imperméable. Dans la salle de débit il y avait 5 civils et deux officiers allemands. Nous avons tous pensé qu’il devait s’agir de terroristes et les officiers allemands m’ont dit : « Nous pensons qu’il s’agit de terroristes et non de la police allemande. » Ils se sont dirigés vers mon fils qui était assis à la même table que moi et le plus âgé des policiers lui a dit : « Suivez-nous ». Sous la menace de la mitraillette ils ont contraint mon fils à pénétrer dans la salle à manger contigüe à la salle de débit. Ils ont fermé la porte à clefs et 15 minutes après ils sont sortis de l’établissement pour se diriger à pieds vers Saint-Ellier-du-Maine. » Georgette Nourry, la bonne du café, est présente : « Le plus âgé des policiers à un moment donné a conversé en allemand avec l’un des deux officiers allemands qui consommaient également dans la salle de débit. L’officier a demandé les papiers au policier qui a acquiescé aussitôt et vraisemblablement les papiers étaient réguliers puisque les deux officiers n’ont formulé aucune objection. » En passant devant le garage, Toth récupère sa veste et son chapeau et embrasse sa mère en lui disant : « Maman tu ne me reverras plus ». Entendant ces paroles, son père décide de le suivre à distance. Arrivé devant la maison du docteur Fresnay à Montaudin, le trio s’arrête pour discuter. Le père de Toth pense un moment que les deux hommes allaient libérer son fils : « Soudainement ce dernier a bondi sur Gallais qui est tombé à la renverse et a lâché sa mitraillette. Mon fils a profité de cet instant pour s’enfuir et escalader une barrière qui se trouvait à proximité. L’individu qui accompagnait Gallais a aussitôt saisi l’arme et fait feu sur mon fils qui s’est écroulé dans la prairie. » Les deux hommes et leur moto avaient été repérés à Montaudin dans l’après-midi. Le jeune Gallais, vêtu d’un imperméable de couleur beige (Le même que le jour de l’arrestation de Thérèse Pierre ?), sera formellement reconnu lors de l’enquête effectuée  par la gendarmerie. Pour le deuxième homme, un doute subsiste entre Coquemont ou René-Yves Hervé, qui parle très bien l’allemand. Quoi qu’il en soit, pour les enquêteurs : « Il n’a pas été établi que le dit Toth avait été exécuté pour avoir appartenu à un groupe de résistance ; il résulte au contraire des témoignages recueillis que le meurtre de Toth qui entretenait avec les Allemands des relations suspectes était le résultat d’un différent d’ordre commercial ou sentimental qui l’opposait à Coquemont. » Toth, qui a été délesté de son portefeuille lors de son exécution, aurait fourni l’alcool à Coquemont lorsqu’il fut arrêté à Saint-Malo. Ce qui n’empêchera pas la famille de faire des démarches pour qu’il soit reconnu comme « Mort pour la France »…



Le Groupe d’Action pour la Justice Sociale

Dans les bas-fonds de la collaboration, le « Groupe d’Action pour la Justice Sociale » (Désormais abrégé en GAPPF), dirigé par Lucien Imbert dit « Le Caïd », se distingue par la cruauté de ses membres. « Il faut reconnaitre que Imbert s’est retrouvé à la tête d’une véritable bande de gangsters », déclarera un membre de la Bezen Perrot, qui ne passait pas lui-même pour être un enfant chœur. Émanation du PPF de Jacques Doriot, le GAPPF est composé d’une quinzaine d’hommes en provenance de Saint-Malo, où ils avaient été recrutés par le docteur Daussat. Ces hommes et leurs femmes s’installent début juin 1944 dans une maison située au 25, rue d’Échange à Rennes. Contrairement aux membres de la Bezen Perrot, qui sont en uniforme et doivent respecter la discipline allemande, ils sont en civil et font à peu près ce qu’ils veulent. Armés, disposant de cartes de la police allemande, leur mission consiste à faire la chasse aux réfractaires du STO pour le compte de la SD, ils vont surtout se livrer au marché noir et commettre les pires exactions contre la Résistance. Ceux qui ont été retrouvés à la Libération seront pratiquement tous fusillés, ainsi Claude Garavel, 24 ans : « J’ai connu Gallais en juin 1944, celui-ci venait fréquemment voir Imbert auquel il fournissait des renseignements. C’est lui qui a organisé l’opération contre le maquis de St-Hilaire-des-Landes. Il connaissait bien la région et avait obtenu les mots de passe grâce auquel il se fit conduire par un paysan à l’endroit précis où était caché le maquis. C’est lui qui fit appeler les troupes allemandes et les dirigea dans leur combat par sa connaissance parfaite de la région. Gallais était armé d’une mitraillette. Gallais était très apprécié des chefs allemands. » Depuis l’expédition de Pontmain, Gallais est désormais seul. Coquemont a quitté Rennes le 13 juillet pour Paris en compagnie de sa jeune maitresse, originaire de Cancale. Réfugié en Allemagne, il passera en Italie. On ne le reverra plus. Le petit maquis de Saint-Hilaire-des-Landes se situe en fait au moulin d’Everre, en Saint-Marc-sur-Couesnon, où une douzaine de jeunes FTP avait trouvé refuge. Le 27 juillet au soir, les Allemands, accompagnés de leurs supplétifs du GAPPF et de la Bezen Perrot donnent l’assaut et incendient le moulin. Quatre maquisards sont fusillés sur place et cinq personnes emmenées à Rennes puis déportées. Les Allemands ne sont pas arrivés là par hasard. Comme à Broualan, le 7 juillet, les lieux avaient été repérés au préalable « Fin juillet Garavel, Martin et Gallais ont été envoyés par le SD dans la région de St-Aubin-du-Cormier où ils ont découvert un maquis » déclare Armand Lussiez, du GAPPF, qui sera fusillé un an plus tard. Lucien Imbert commande le groupe : « J’ai connu Gérald Gallais le jour de l’expédition de St-Hilaire-des-Landes. C’est lui qui avait détecté un maquis dans cette région et nous y avait conduits. Il n’a pas cependant participé à la fusillade des 5 patriotes qui fut faite uniquement par les Allemands sur ordre de Wentzel. » Jean Martin, 27 ans, fait également partie du GAPPF : « J’ai connu Gallais rue d’Echange à Rennes, où il était agent du S.D. C’est lui qui avait organisé l’expédition de Saint-Hilaire-des-Landes où j’ai participé. Il avait fait une enquête dans la région et s’était procuré les mots de passe des maquis. C’est lui qui appela les Allemands et au cours de cette expédition quatre maquisards furent tués et d’autres faits prisonniers. Gallais s’était spécialisé au S.D. dans la recherche des maquis. C’était un agent très apprécié et dont tout le monde avait peur (…) Il expliquait qu’il était entré au service du SD par idéal. »



Fuir à tout prix

Les Américains aux portes de Rennes, c’est la panique pour les collabos rennais les plus compromis avec l’occupant. Tous devinent le genre de châtiment qui les attend s’ils tombent aux mains des résistants. Le GAPPF prend la fuite le 1er août à bord d’un convoi composé d’un camion « réquisitionné », de la moto de Coquemont et d’une voiture de tourisme, pour arriver au siège du PPF à Paris le 10 août. Une semaine après, le groupe est à Chaumont, en Haute-Marne, où il caserne dans un centre de formation professionnelle dont le directeur est Gaston Vitoux : « Le 19 août 1944, 35 PPF repliés de Rennes sont arrivés en autocar à Chaumont et restèrent une semaine durant dans l’immeuble que j’occupe actuellement. » D’après une enquête effectuée auprès de la police de Reims : « Gallais lui-même donna l’impression d’être un serviteur zélé de la SD de Chaumont. C’est à ce titre qu’il fut signalé, dès la libération de la ville au CDL. » Les membres du GAPPF ne sont pas les seuls bretons à Chaumont, puisque la Bezen Perrot est également cantonnée dans ce bâtiment. Après être passé par Vittel, Épinal puis Saint-Dié, le GAPPF atteint Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, où il reste une dizaine de jours, avant de se rendre à Cirey-sur-Vezouze, une commune proche où le groupe va stationner plus d’un mois. Plusieurs opérations sont alors menées contre la Résistance locale sous les ordres du SD de Rennes, replié au château tout proche de Val-et-Châtillon. Parmi les patriotes arrêtés, deux gendarmes de Cirey : Pierre Haxaire et Pierre Math, qui seront déportés à Schirmeck puis à Dachau le 9 octobre où ils succomberont en février 1945. « J’ai participé à Cirey à l’arrestation de deux gendarmes qui furent remis aux allemands et d’un épicier nommé Valentin qui fut dévalisé. J’étais présent aussi lors du pillage du café lorrain. Mes camarades se livrèrent de leur côté à diverses opérations, c’est ainsi que fut arrêté à Val-ès-Châtillon un nommé Thomas. Il fut exécuté avec trois autres prisonniers dans les bois proches de Cirey. J’avais creusé leurs fosses avec Le Pottier sur ordre d’Imbert » déclare Lussiez. Jean Thomas, chef de secteur FFI, est également arrêté le 1er octobre. Le 10 octobre, c’est au tour d’un autre gendarme, Jean Coupaye, d’être arrêté à Blâmont puis emmené au château de Val-et-Châtillon. Le 14 octobre, Thomas et Coupaye, plus deux autres FFI, Morquin et Roger, sont transportés dans la forêt de Maîtrechet, proche de Cirey, pour y être exécutés. D’après Roger Welvaert, du GAPPF, le peloton d’exécution, commandé par deux officiers allemands, Brower et Winzel, était composé de : Imbert ; Chaperon ; Tilly (qui sera fusillé à Rennes) ; Terrier et Gonzales. Le même Welvaert ajoute : « Pendant le séjour à Cirey, Gallais, Gugliometti et sa femme ont été envoyés en camp de concentration de Schirmeck pour avoir puisé dans la caisse du groupe et s’être rendus coupables de malversations envers les camarades. Nous n’avons plus jamais entendu parler d’eux. » Gaston Guglielminotti et sa femme étaient accusés par Imbert de malversations envers les autres membres du groupe et d’avoir puisé dans la caisse du GAPPF. Réchappé de camps, Guglielminotti va revenir en France : « Parmi les personnes arrêtées je peux citer le curé de Petitmont, deux gendarmes de Cirey dont un fut maltraité par Gallais. Toutes ces personnes furent déportées en Allemagne. J’en ai retrouvé plusieurs au camp de Schirmeck et de Dachau. C’est le 13 octobre 1944 que j’ai été arrêté sur ordre d’Imbert et envoyé à Schirmeck avec les autres prisonniers du groupe. Imbert donna comme motif de mon arrestation le fait que je lui ai escroqué une certaine somme d’argent. En réalité c’était là l’aboutissement d’une vieille rancune qu’il gardait contre moi. » Lorsque l’on connait les méthodes du GAPPF et de son chef, c’est l’hôpital qui se moque de la charité : « Lors d’une perquisition chez des particuliers, il s’empara d’une somme d’une quarantaine de 1 000 francs ce qui motiva son envoi dans un camp de concentration à Schirmeck près de Strasbourg. Á part cela, je sais très peu de choses sur son activité car il était très renfermé. Il nous racontait simplement que son père avait été arrêté par la Gestapo à Fougères et qu’il avait évité sa mort en enlevant du domicile paternel les armes qui s’y trouvaient. Il expliquait qu’il était entré au SD par idéal. » Les troupes alliées approchant de la frontière allemande, le GAPPF franchit le Rhin et s’installe à Neustadt. Les camps de Schirmeck et du Struthof sont libérés par les Américains le 22 novembre 1944.

Trois mois, trois camps

Avec le retour des déportés et prisonniers politiques qui ont survécu aux horreurs des camps nazis, les autorités judiciaires disposent de témoignages précis sur les dénonciations de résistants et patriotes. Les collabos ou miliciens arrêtés en Allemagne sont également renvoyés en France et livrés à la justice, permettant ainsi de réactiver les procès de l’épuration. Ayant appris par les interrogatoires des inculpés du GAPPF que Gallais avait été interné à Schirmeck, les policiers rennais contactent leurs collègues de Strasbourg, qui répondent le 18 septembre 1945 : « Tous les internés de Schirmeck et du Struthof ont été déportés en Allemagne 2 ou 3 jours avant l’arrivée des alliés, les documents ayant été emportés ou détruits par les Allemands en majeure partie, il n’est pas possible d’établir si Gallais se trouvait au dit camp avant l’arrivée des Américains. » Ce n’est qu’au mois de juillet 1947 qu’Andrée Gallais apprendra que des objets personnels ayant appartenu à son fils, lors de son arrivée à Dachau, ont été retrouvés lors de la libération du camp par les Américains le 29 avril 1945. Entre temps, Gérald Gallais avait été transféré à Auschwitz, où il est décédé le 16 janvier 1945, quelques jours avant la libération du camp par l’Armée Rouge.
Encore aujourd’hui, les circonstances du décès de Gérald Gallais, trois mois seulement après son arrestation, restent un mystère. Comme l’est sa décision de collaborer « par idéal », deux ans après la chute du groupe, avec ceux-là mêmes qui dénoncèrent ou déportèrent sa famille. Le sujet étant resté tabou sur Fougères, on ne sait rien de sa personnalité. On le suppose influençable, comme peut l’être un garçon de son âge ayant perdu ses repères familiaux. Il également décrit comme discret, peu bavard et « renfermé sur lui-même ». Il est un élément toutefois, qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler. Très jeune, Gérald Gallais fut impliqué dans la vie politique de ses parents. Son père était un ancien « Croix de feu », dont on retrouvera plusieurs membres au sein du groupe. Ce qui ne plaisait pas à tout le monde, comme en témoigne le résistant Henri Fleury : « J’ai fait rentrer plusieurs camarades au groupe : Bocquet Armand, Lebastard, Pégand, je précise que celui-ci refusa d’y rentrer. Notre chef de groupe était le capitaine Gallais, gardien du château de Fougères. Il était « Croix-de-Feu » et c’est la raison pour laquelle Gérard, qui était communiste, refusa d’y entrer ». La dissolution des « Croix de Feu », en 1936, donnera naissance au Parti social français, dont l’organe violemment antisémite et anticommuniste La Volonté Bretonne publia une photo du jeune scout Gallais. Le responsable de ce journal n’était autre qu’Eugène Leclerc, de Landerneau, dont le fils Édouard connaîtra lui aussi quelques déboires à la Libération.
L’affaire Gérald Gallais ne sera pas close pour autant après le jugement de la Cour de Justice. Le 18 avril 1950, Louis Pétri adresse une lettre au Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre « Le comité des anciens combattants FFI FTP de Fougères nous signale que vos services ont attribué la mention « Mort pour la France » au milicien agent du SD allemand de Rennes « Gallais Gérald ». Au nom du comité directeur de notre association, nous vous adressons notre protestation sur cette regrettable décision. Une enquête sérieuse aurait du être faite, sur la valeur des témoignages jointe à la demande de Mme veuve Gallais pour l’obtention de la mention « Mort pour la France » pour son fils. D’autre part, Mme veuve Gallais a fait une demande de pension et de restitution du corps de son fils à la Direction Départementale des Anciens Combattants et Victimes de Guerre d’Ille-et-Vilaine. Dans sa séance du 21 février 1950, la commission d’homologation FFI d’Ille-et-Vilaine a refusé d’examiner le dossier de Gallais, suite aux renseignements qui lui sont parvenus. » Le 17 mai 1950, le Ministère répond : « Comme suite à votre lettre du 19 avril 1950, j’ai l’honneur de vous faire connaître que, dès sa réception, des instructions ont été données pour que la restitution du corps de Monsieur Gallais soit refusée à la famille. Quant à la mention « Mort pour la France », une enquête, dont les résultats seront portés à votre connaissance, est actuellement en cours. »

K.H.

Sources utilisées : Dossiers René-Yves Hervé ADIV 213W52, Gérald Gallais ADIV 213W49, Arthur Coquemont ADIV 213W60, Mathilde Le Gall ADIV 213W50, Fonds Pétri ADIV 167J5