vendredi 27 janvier 2017

Le racisme breton



Ainsi que je l’avais annoncé, j’ai entrepris d’identifier les personnages créés par Louis Guilloux dans quelques-uns de ses romans faisant référence à la Bretagne des années 30 et 40 : Le Jeu de patience, Les Batailles perdues, Le pain des rêves, Carnets, et deux manuscrits inédits : Les Gens du château, Les autonomistes. Il m’est apparu en effet que l’écrivain s’était inspiré de nombreux nationalistes bretons présents dans son entourage. Si certains sont facilement reconnaissables, d’autres le sont moins. Guilloux me donne beaucoup de fil à retordre lorsque, par exemple, il fait un mix de deux, voire trois nationalistes bretons pour créer le personnage d’Abgrall dans Les Batailles perdues, pour ne citer que celui-là. Ces personnages, finalement pas si fictifs que cela, révèlent un réel intérêt de Guilloux pour la cause bretonne. A cet effet, il a rassemblé une documentation passionnante sur la Bretagne en général et le mouvement breton en particulier. Alors que je consultais les archives de l’écrivain à la bibliothèque de Saint-Brieuc, sous la houlette bienveillante  de mon ancien camarade d’université Arnaud Flici, mon attention fut attirée par un document dactylographié de 10 pages intitulé « LE RACISME BRETON. Ce qu’il faut en penser d’après M. Abel Durand L’Ouest-Éclair, 6 septembre 1938. » Il s’agissait de la retranscription fidèle d’un article paru uniquement dans l’édition de Nantes de L’Ouest-Éclair, daté du 6 septembre 1938.
Abel Durand (1879-1975), adjoint au maire de Nantes, réagit en fait à un autre article, où il est mis en cause, paru dans le N° 13 de la revue bretonne STUR, dirigée par Olier Mordrel. Cet article de STUR, qu’il n’est pas possible de citer en entier, est précédé d’un éditorial intitulé :
La fin d’un vieux dualisme
« Parmi ceux qui, à un titre quelconque, se sont souciés du relèvement de ce pays, deux conceptions se sont toujours opposés et il n’est pas dit qu’elles n’aient pas laissé de traces dans nos rangs : celle de la Bretagne-Région économique et celle de la Bretagne-Ame nationale. Pour M. le Marquis de l’Estourbeillon, la défense de la Bretagne se situait sur le même plan que celui de la virginité d’une adolescente. Il s’agissait de faire reculer le monde matériel, dont les brutales exigences ne pouvaient que souiller cette pureté. Aucun compromis n’était possible entre l’homme d’affaire et le patriote, l’homme qui fait du pain et l’homme qui fait des songes. Les Bretons qui étaient imbus de cette manière de voir se voilaient la face devant une station de chemin de fer et l’idée ne leur serait pas venue de lier organiquement l’idée bretonne à un programme d’activité économique se justifiant par lui-même. S’il leur arrivait, en effet, d’ajouter à leur programme de défense des us et coutumes, une liste de revendications économiques, ce n’était là qu’un trompe l’œil, une concession à l’esprit du siècle. Seules les revendications économiques à caractère conservateur étaient retenues, d’ailleurs à peine énumérées. Les autres, celles qui avaient l’ambition d’apporter du nouveau, étaient rejetées comme attentatoires à l’âme et à l’intégralité de la Bretagne.
Le meilleur exemple qui peut être fourni de ces dernières est la doctrine « nantaise » de M. Abel Durand. En face du vieux Marquis, M. Durand jouait les avocats du diable. Les mots « d’amour » ou de « fidélité » lui faisaient hausser les épaules. Il remuait des statistiques, jonglait avec des chiffres, parlait tarifs et pensait kilomètres. Il n’existait pas de « Bretagne », mais une « région nantaise » que l’impérialisme économique de son chevalier servant étendait jusqu’à Tours et jusqu’à Quimper. Rennes était laissée pour compte. Nous étions horrifiés par une aussi abominable impiété : M. Abel Durand était à nos yeux l’erreur et le crime personnifiés.
Pourtant M. Durand avait aussi en partie raison, car il exprimait un aspect de la vie et la vie n’a jamais tort : elle nous enferme et se referme sur nous comme la paume de la main sur un frêle oiseau. Nous ne pouvons rien penser, rien vouloir, rien tenter de sain, sans respecter ses lois impérissables. L’opposition Estourbeillon-Durand, c’était encore le vieux dualisme Spiritualisme-Matérialisme, robuste legs du XIXe siècle. Lutte entre deux visions systématiques et fragmentaires de la vie, lutte entre deux méprises. »
La Route Vers nous-mêmes
« Des études précédentes qu’on a lues dans cette revue, ont commencé l’esquisse de ce que peut être un racisme-breton, c’est-à-dire la doctrine de la préservation et de l’épanouissement de tout ce que notre sang breton véhicule de nécessités et de possibilités. Elles ont fait justice des assimilations arbitraires et hâtives que certains critiques superficiels s’étaient empressés d’établir entre notre pensée, éclose de l’expérience de notre peuple, et des doctrines étrangères les plus contestables.
Nous voulons aujourd’hui préciser quelques-unes de voies par lesquelles il nous semble que nous pourrons mieux nous révéler à nous-mêmes et en même temps nous débarrasser de l’emprise mortelle de l’académisme latin. Nous voyons les dangers que font courir au génie celtique l’envahissement de la civilisation mécanisée ; nous n’ignorons pas non plus quelle responsabilité ont les affairistes et intellectuels de race juive dans le développement catastrophique de ses positions matérialistes. Mais il n’en est pas moins vrai que sur le plan précis de la culture intellectuelle, c’est le latinisme qui reste le grand ennemi. C’est lui seul, qui depuis deux mille ans, a sapé, puis étouffé la société celtique, ses arts, ses aspirations et ses manières de vivre. C’est lui qu’il faut éliminer, avant d’espérer pouvoir nous retrouver et nous réaliser. »
L’auteur Katuvolkos, pseudonyme de Roger Hervé, développe ensuite plusieurs thèmes : Langue, Art, Religion, Droit, Armée. Dans le domaine des arts, le folklore, les danses bretonnes ou l’architecture sont bien abordés, mais pas la musique.

Le numéro suivant de STUR (14-15) s’ouvre avec un édito de 10 pages sur la décadence de la France :
D’UN VIEUX MONDE
« Il y a quelques vingt ans, si nous avons bonne mémoire, parut en Bretagne un livre portant ce titre. Le « Vieux Monde » c’était, dans l’esprit de son auteur, le peuple breton, dont Alphonse de Châteaubriant mieux inspiré, a dit depuis qu’il était un «  peuple-eau-de-source » (…) La race qui disparaît, c’est la France qui appelle nos fils pour labourer sa terre et peupler ses chantiers. C’est la France qui ne sait plus vouloir, ni lutter. C’est elle qui cesse d’être. C’est elle le « vieux monde »
Le responsable de tout cela ? Le Juif évidemment :
« La finance, c’est-à-dire le monde juif international, mène le bal. (C’est une banalité que de le dire, mais il est banal aussi de dire que le cyanure est un poison.) Elle est servie, sans une velléité de révolte, par les politiciens du régime, dont la fonction essentielle semble être de détourner l’attention du public par un jeu savant de marionnettes, tandis que le travail sérieux se fait dans la coulisse. C’est une caractéristique de la France moderne que d’être tombée entre les mains de cet assemblage d’affairistes de la politique et de politiciens d’affaires, passés maîtres dans l’art de triturer la foule anonyme des villes, abrutie à souhait par la presse à scandales, l’alcool au pas de la porte, le cinéma à sensations et la pornographie sous toutes ses formes, devenus pour eux des moyens d’action normaux et intangibles. Cette foule qui n’a plus de patrie, parce qu’elle n’a plus ni terre natale, ni ancêtres, ni traditions, a toutes leurs faveurs. »

C’est à la page 58, dans la rubrique NOS DISQUES, que cette question d’une musique bretonne abâtardie, pour ne pas dire dégénérée, fait l’objet d’un article exhortant les sonneurs bretons, dans une perspective nationaliste, à s’inspirer des pipe-bands écossais, à l'allure quand même plus martiale et virile que ces couples de sonneurs traditionnels biniou-bombarde, coureurs de jupons un peu trop portés sur le chouchen :
L'Ouest-Eclair 24 juillet 1943
« L’audition de morceaux de bag-pipes ou de horn-pipes est une vraie révélation pour un Breton. Nous possédons bien un instrument à vent traditionnel, le biniou, dont la technique est très proche de celle de la cornemuse insulaire et l’origine sans doute commune. Mais, chez nous, la musique de biniou si originale qu’elle soit, ne s’est guère élevée au-dessus du niveau populaire. Nous avons par exemple des marches paysannes – surtout en Vannetais – mais point de marches militaires. Sur ce terrain-là, comme sur les autres, l’héritage celtique de la Bretagne continentale, pourtant le plus complet et le plus vivant des « cinq nations », est un de ceux qui a donné naissance aux formes les moins aristocratiques et les moins cultivées. L’Écosse et surtout l’Irlande, ont conservé quelques somptueux vestiges des gloires royales passées. C’est d’elles dont il faut se rapprocher, si l’on veut renouveler ainsi qu’exhausser son sentiment du celtisme. Aucune influence ne peut être meilleure que celle-là sur les Bretons trop enclins à considérer les divertissements d’un folklore parfois rudimentaire, et souvent sans envol, comme le fin mot d’une culture nationale. Au point de vue de la lutherie, l’influence du big-pipe s’est déjà fait sentir heureusement en Bretagne. Les binious que l’on construit maintenant – grâce principalement à Dorig Le Voyer – sont très supérieurs aux instruments qu’on trouve ordinairement dans nos campagnes ; ce qu’il reste à faire, c’est l’éducation des sonneurs eux-mêmes. Un biniou est un instrument spécial, d’une tonalité spéciale. Les Écossais ne jouent sur cornemuse que la musique écrite pour cornemuse. Nos Bretons ne savent pas toujours cela. Certains jouent n’importe quoi sur le biniou et la bombarde, et on entend des transpositions catastrophiques ! Ne louange-t-on pas tel « Roi de la bombarde » de faire des tyroliennes avec son instrument ? Cela me rappelle le vieux sonneur virtuose de Carhaix, le fameux Léon, qui affectionnait particulièrement « Sous les ponts de Paris » et la « Valse brune ». Nous sommes d’avis que pour les tours de force, mieux vaut choisir la corde raide dans un cirque qu’un biniou devant un auditoire breton… Actuellement, notre vieille musique de biniou est sauvée de la disparition par les élèves de la K. A. V. et de Nevezadur, presque tous jeunes gens des villes, employés, étudiants, tandis que nos vieux sonneurs des campagnes, pris eux-aussi dans le courant de la mode de Paris, s’évertuent à jouer des airs à la mode, voire à l’occasion la « Marseillaise » ou le « Chant du Départ ». Mais ces jeunes gens sur lesquels reposent tous nos espoirs de renaissance, doivent travailler, se documenter, se cultiver en matière de musique de biniou. Ils doivent acquérir le sens de leur instrument, développer leur technique à l’intérieur de ses possibilités, et surtout adopter dans leur répertoire les grandes œuvres saillantes de nos frères d’outre-mer. Nous allons en présenter quelques-unes.
Bag-pipes écossais
Quels points de comparaison pour nous aider à décanter notre stock musical breton, où surtout depuis deux siècles tant d’impuretés se sont glissées ! Rien de mieux, pour commencer, que d’entendre quelques marches écossaises. Elles sentent la lande, comme les marches françaises sentent la route poudreuse et les marches allemandes la cour de Potsdam. Rien n’est plus varié que les marches écossaises, dans le rythme comme dans le sentiment. Le bruit de la mer, le grondement de l’orage, le chant des oiseaux, le hennissement des coursiers de batailles s’y font entendre tour à tour. Le beuglement toujours égal et continu des bourdons est très heureusement scandé par un jeu de tambour très étudié et d’une cadence fort savante. La première impression est un peu celle d’un tam-tam d’hommes blancs, qui produit un espèce d’envoûtement. Musique religieuse, musique de guerre sauvage et douce à la fois, musique de chez nous (…) Que ceci, de même que les disques de chants celtiques en anglais ou en français, nous fasse sauter aux yeux l’importance et la nécessité d’une profonde et intransigeante culture celtique chez ceux qui prétendent refaire une Bretagne. »
A. C.
Ces initiales « ap Calvez » sont celles d’un des nombreux pseudonymes d’Olier Mordrel. Son analyse est intéressante car les idées qu’il développe préfigurent déjà ce qu’il adviendra de la Kenvreuriezh ar Viniaouerien, créée en 1932, et qui va devenir la Bodadeg ar Sonerion en 1943, sous l’impulsion d’un certain… Polig Monjarret. 
Polig Monjarret et Youenn Gwernig. Collection privée
Cette photo de Polig Monjarret et Youenn Gwernig pour illustrer mon propos. Le grand Youenn joue du biniou bras construit par Dorig Le Voyer, qui n'est qu'une pale copie intégrale du bag pipe écossais. Youenn joue donc de la mauvaise cornemuse écossaise. Les bons sonneurs de biniou bras vont donc en arriver à acheter leurs cornemuses en Ecosse et finir par jouer de la musique... écossaise.