dimanche 16 avril 2017

Les fusillés de la Maltière et du Colombier : recherche documentaire sur une faute historique

Ouest France 5-6 août 2017
Dans un article du journal Ouest-France, daté du 3 janvier 2017, consacré au projet de restructuration du site de la Maltière, un élu de Saint-Jacques-de-la-Lande, Bernard Bougeard, déclare : « Pour redonner du sens et identifier ce lieu tragique et emblématique, un parcours proposera un cheminement ponctué de 79 stèles représentant chacun des fusillés avec son nom, son âge et la date de l’exécution, précise Bernard Bougeard. » L'initiative de la Municipalité de Saint-Jacques-de-la-Lande mérite en effet d'être saluée, sauf que parmi les 79 noms qui figurent sur l'actuel monument de la Maltière, Pedro Garco (Pedro Flores-Cano) et Roméo-Montori Lorenzo n'ont strictement rien à y faire puisqu'ils ont été fusillés le 8 juin 1944 à la caserne du Colombier. Et à moins de considérer qu'ils auraient été fusillés deux fois, ce qui est assez rare, il va bien falloir choisir sur lequel de ces deux monuments leurs noms doivent être inscrits.

21 janvier 1944
En matière de répression pénale des actes de résistance, il convient de distinguer deux types de juridictions : les tribunaux militaires allemands, mis en place dès l’arrivée des troupes d’occupation, et les tribunaux d’exception du régime de Vichy, avec les Sections spéciales, installées à partir du mois d’août 1941. A Rennes, cette Section spéciale n’a prononcé aucune peine de mort (Voir ma communication du 13 avril 2015 sur ce blog). Au mois de janvier 1944, la répression se durcit avec la nomination de Joseph Darnand comme secrétaire général du maintient de l’ordre, lequel instaure les Cours martiales, qui peuvent elles-mêmes se constituer en Cours criminelles extraordinaires avec la loi du 14 mai 1944. Les condamnés n’ont alors aucun recours possible, ni possibilité de se pourvoir en cassation. L’exécution de la sentence doit être immédiate. On s’est même posé la question de savoir comment ils allaient être exécutés puisqu’un communiqué de novembre 1943 précise que les « terroristes » condamnés à mort seront « passés par les armes » et non guillotinés. Les exécutions terminées, les corps devront être transportés au cimetière le plus proche par fourgon sous la protection d’un commissaire de police sans aucun cortège, puis inhumés dans une fosse commune. Ce refus d’accorder une sépulture aux condamnés, outre son caractère éminemment symbolique, vise à empêcher tout rassemblement patriotique sur les tombes. Dans la réalité, il s'agit le plus souvent de fosses individuelles, sans nom, avec uniquement un numéro d'inhumation. Darnand interdisant également toute demande d’exhumation, les familles ne pourront récupérer les corps de leurs proches et organiser des obsèques qu’après la Libération, à condition de disposer des informations nécessaires sur les lieux d’inhumation et de pouvoir reconnaître les corps. Dans la quasi-totalité des cas, les condamnations à mort ont été prononcées par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 748 de Rennes. Les Allemands sont les maîtres, s’agissant d’actes commis contre les troupes d’occupation, ils font ce qu’ils veulent et n’ont de compte à rendre à personne. Les archives qui n’ont pas été détruites avant leur départ par les nazis ou récupérées par les Américains au siège du SD, rue Jules Ferry, sont très rares. Ce qui ne facilite évidemment pas les recherches. Pour être tout à fait précis sur l'origine des sources, je précise que les documents issus du cabinet du préfet ont été versés aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine (ADIV) et ceux issus de la mairie de Rennes aux Archives municipales de Rennes (AMR).
La Maltière
La première condamnation à mort, prononcée le 12 septembre 1940 par le tribunal militaire de la Feldkommandantur de Rennes (FK 748), est celle de Marcel Brossier, fusillé le 17 septembre à la Maltière. L’exécution sera suivie d’un communiqué paru dans L’Ouest-Éclair  et d’une affiche apposée sur les murs de la ville. Le délai peut être parfois plus long entre le jugement et l’exécution de la sentence. Roger Barbé, deuxième résistant fusillé à la Maltière, qui avait été condamné à mort le 12 avril 1941, ne sera exécuté que le 4 octobre 1941. François Claverie, arrêté le 11 juin 1942, sera fusillé le 23 juin, et Marcel Boschet, arrêté le 11 juillet 1942, sera fusillé le 11 août. Tous les quatre ont été inhumés au cimetière de l’Est.
Le 30 décembre 1942, les Allemands procèdent à la première exécution collective de 25 résistants d’Ille-et-Vilaine à la Maltière. La population avait été informée puisque le procès et le verdict avaient fait l’objet d’un article en une de L’Ouest-Éclair daté des 26 et 27 décembre. Faisant suite à celles de Châteaubriant du 22 octobre, ces exécutions ont un réel retentissement dans le département. Des prisonniers de guerre coloniaux avaient été requis par les Allemands pour creuser les tombes au cimetière de Saint-Jacques-de-la-Lande, mais aucun cercueil n’avait été prévu. Ce qui provoqua une rébellion, ceux-ci refusant d’enterrer ces hommes « comme des chiens ». Il faudra faire fabriquer des cercueils précaires. Lorsque le convoi transportant les corps entra dans le bourg de Saint-Jacques, il ne faisait plus aucun doute pour les témoins et riverains du cimetière que ces hommes avaient été fusillés à la Maltière. Tout au long de l’Occupation, malgré l’interdiction, des familles et patriotes viendront discrètement fleurir les tombes des résistants. Sur la liste de la Feldkommandantur reçue par la mairie de Rennes, on peut constater qu'au mois de janvier 1945, quatorze corps ont été inhumés au cimetière de l’Est.
Archives de Rennes 119W7
Archives de Rennes 119W7



















Alors que la Résistance accentue sa lutte, avec la création des premiers maquis bretons, on ne relève aucune exécution à Rennes en 1943. C’est à partir du mois de mars 1944 qu’elles vont reprendre, toujours à la Maltière, mais avec une exception de taille : celles de la caserne du Colombier. 
- Le 12 mars 1944, trois résistants sont fusillés à la Maltière. Deux d’entre eux : Jean Le Floch et Yves Manach, faisaient partie d’un maquis de Spézet (29) venu s’installer sur la commune de Plévin (22). Arrêtés à l’issue d’une rafle menée le 26 janvier 1944, les deux hommes ont été inculpés pour le meurtre de deux agriculteurs venus porter secours à des fermiers voisins attaqués par des membres de ce maquis dont les méthodes d’action n’étaient pas approuvées par les chefs FTP locaux. Dans ces conditions on comprend que leurs noms ne figurent sur aucun monument. On ne sait pas quel fût le rôle d’Yves Page dans cette sombre histoire.
Archives de Rennes. Fonds Foulon CDL 35
Ces résistants ayant été arrêtés lors d'une opération menée par la police de Vichy, cette affaire relève de la Cour martiale française de Rennes. Dans ce cas de figure, ce sont donc des gendarmes français qui doivent procéder aux exécutions, avec les problèmes de conscience que l'on devine chez certains militaires. Ce qui ne semble pas être le cas de cet adjudant-chef comme le démontre le document ci-joint. Les trois résistants ont été inhumés au cimetière de l’Est.
- Le 31 mai 1944, selon la version couramment admise www.cndp.fr/crdp-rennes/crdp/crdp_dossiers/dossiers/lireville/1annee (Plaquette réalisée par la Mairie de Saint-Jacques) ce sont dix résistants originaires des Côtes-du-Nord qui sont fusillés à la Maltière. Ces hommes avaient été libérés de la prison de Dinan dans la nuit du 11 au 12 avril, à la suite d’un coup de main audacieux des FTP de Louis Pétri. Cependant, un problème se pose à propos du résistant Jean Garnier, qui figure parmi ces dix fusillés. En effet, un article, paru le 28 mai 2014 dans le l’hebdomadaire Le Petit Bleu, revient sur les circonstances de ces arrestations, mais ne cite pas Jean Garnier « Dénoncés, neuf patriotes étaient rapidement arrêtés.
Le peuple des Carrières, éditions Apogée, 2011
Parmi eux Jean-Baptiste Brault, Marcel Blanchard du Hinglé, Francis Lafranche, Hyppolyte Thomas de Bobital. Tous les quatre travaillaient aux carrières Rioche. Henri Laplanche, dinannais, est arrêté le 8 mai 1944. Charles Maillard, trévronnais, est arrêté le 4 mai ; Louis Hesry, dinannais, chef de groupe de la Résistance, René Fayon, dinannais, Jean Perquis sont aussi arrêtés. Ils seront tous les neuf transférés à Rennes, torturés et fusillés le 31 mai 1944. Des obsèques nationales auront lieu à Dinan le lundi 18 septembre 1944. »

Archives de Rennes 119W7
J’ai aussi constaté que Jean Garnier ne figure pas sur la liste des entrées du registre d’écrou de la prison Jacques Cartier en date du 16 mai 1944, alors que l’on trouve un Jean Cornier. Y aurait-il eu une confusion à la suite d’une erreur de retranscription manuscrite ? Quoi qu’il en soit, la liste établie par la Feldkommandantur 748, adressée au cabinet du préfet puis transmise à la mairie de Rennes le 25 juin 1944, comporte bien neuf noms, plus celui d'un certain Louis Bodeur qui est rayé. Jean Garnier n’a pas disparu pour autant, puisqu’on le retrouvera sur la liste des fusillés du 30 juin. C’est également cette date qui figure sur son acte de décès de la commune du Hinglé (Jugement déclaratif de décès rendu par le Tribunal civil de Rennes le 14 février 1945). Il est également indiqué sur cette liste que cinq fusillés ont été inhumé au cimetière de l’Est, les quatre autres au cimetière du Nord. Les corps seront exhumés le 16 septembre 1944 et Jean Garnier ne figure pas parmi les PV d'exhumation.

Registre des inhumations du cimetière de l'Est
ADIV
- Le 23 juin 1944, toujours à la Maltière, ce sont à nouveau onze résistants, condamnés à mort la veille, qui sont passés par les armes. Les six résistants du premier groupe, sous les ordres du FTP Guy Bellis, avaient participé à plusieurs attentats commis sur Fougères, dont celui du 11 mai contre le garage Opel, détruisant une trentaine de camions allemands. Ils ont ensuite été arrêtés le 6 juin lors de l’attaque du garage de la Feldgendarmerie de Fougères. Les cinq résistants du second groupe ont été arrêtés au mois d’avril dans les Côtes-du-Nord. Nouveau problème là encore avec cette liste établie par la Feldkommandantur 748 car les résistants Claude Chollet, inclus dans le 1er groupe, et Louis Bodeur, inclus dans le 2e groupe, n'y figurent pas. On remarque que cette attestation (liste de 9 noms) comporte une liste pénale 1 N°17/44 et une liste pénale 2 N°18/44. Michel Hugnet, et non Huguet comme indiqué par erreur, était membre du groupe FTP de Guy Bellis. Précision transmise par son neveu.
Archives de Rennes 119W7
Sur cette même liste, transmise à la mairie de Rennes, on peut constater que le nom de Louis Bodeur, qui n'apparaissait  pas sur la liste allemande, a été ajouté au bas du document. Sur une autre liste de fusillés, consultable aux Archives de Rennes, son nom est également cité, avec le numéro d'ordre d'entrée 215 au cimetière du Nord, puis transféré à Lézardrieux le 27 septembre 1944. Sur le registre d'inhumation de ce cimetière, il y avait bien 10 entrées de prévues le 23 juin. Aucun nom n'y est inscrit, mais au N° 215, on relève l'inscription "exhumé et reconnu le 9 septembre 1944", ce que confirme le rapport ci-joint. Le cas de Louis Bodeur est
particulier puisqu'il est le seul fusillé n'ayant pas été jugé et condamné par le tribunal de la Feldkommandantur 748, ce qui explique probablement pourquoi il ne figure pas sur la liste adressée au préfet de Rennes. Pourtant, et l'attestation du 10 juillet 1944 de la Feldkommandantur 665 en fait foi, Bodeur a bien été fusillé le 23 juin. D'après la notice que lui consacre le Maitron, il avait été blessé lors de son arrestation à Pleumeur-Gautier (22) puis transféré le 7 juin sur un brancard à la maison d'arrêt de Rennes, pour être ensuite fusillé à la Maltière. Son nom n'apparaît pas sur le registre d'écrou de la prison Jacques Cartier, pas plus que sur le monument de la Maltière. Concernant Claude Chollet, dont le nom figure sur le monument de la Maltière, il a bien été exécuté avec le résistant Charles Lehmann le 23 juin, mais à Loyat (56). Leur forfait accompli, les Allemands vont pendre les corps des deux homme pendant 24 heures à un pylône électrique. Il n'y a que quatre PV d'exhumation aux Archives de Rennes : Guillermic (tombe N°219), Nogre (tombe N°216), Peigne (tombe N°218), Touboulic (tombe N°217), exhumés au cimetière du Nord le 18 septembre 1944. Il n'y a pas de PV d'exhumation pour les cinq autres. Notons que Louis Bodeur était originaire de Lézardrieux, trois autres fusillés : Marcel Le Guillermic, Paul Nogré et Maurice Peigné, de Loc-Envel. Est-ce une coïncidence ? René-Yves Hervé, alias « Marcel » au Bezen Perrot, un des plus redoutables agents du SD de Rennes, était lui aussi originaire de Lézardrieux. Sa femme, Mathilde Le Gall, également agent du SD de Rennes, née à Loc-Envel, était la fille du garde-chasse de Lady Mond, dont le château est situé sur les deux communes de Belle-Isle-en-Terre et de Loc-Envel. En 1941, ce couple avait infiltré puis dénoncé aux Allemands le groupe Gallais de Fougères. Mathilde Le Gall a été formellement reconnue en compagnie de soldats allemands lors d'arrestations effectuées début 1944 par le SD de Saint-Brieuc. 
Archives de Rennes 119W7
- Le 30 juin 1944, les Allemands procèdent à leur dernière exécution collective. Toujours selon la version couramment admise, 18 résistants, qui avaient été condamnés à mort la veille, sont fusillés à la Maltière. Trois sont originaires d’Ille-et-Vilaine, quatre du Finistère, neuf du Morbihan et deux des Côtes-du-Nord. Il manque donc le Dolois Jean Garnier, qui figure pourtant sur l'attestation du 3 juillet 1944 de la Feldkommandantur 748. Un jugement déclaratif de décès du tribunal d’instance de Rennes, transmis le 14 février 1945 à la Mairie de Dol-de-Bretagne, précise également que Jean Garnier est bien décédé le 30 juin 1944 à Saint-Jacques. Sur la liste ci-jointe de la Feldkommandantur transmise à la mairie de Rennes, il est indiqué cimetière de Saint-Jacques. Un autre document indique également des inhumations à Saint-Jacques sous les N°1157 à 1175.
L'intention première des Allemands était-elle d'inhumer les fusillés au cimetière de l'Est ? Il y a tout lieu de le croire puisque sur le registre du cimetière, à la date du 28 juin, donc la veille du jugement, 19 emplacements étaient prévus avec les mêmes numéros que ceux indiquant leur inhumation au cimetière de Saint-Jacques. Il faut également noter que ces fusillés sont inscrits sur le registre des décès de Saint-Jacques.
Archives de Rennes 119W7
- Au mois de juillet 1944, nous n’avons pas la date exacte, six hommes ont été exécutés d’une balle dans la tête, sans autre forme de procès. Ces crimes trouvent leur origine dans une opération de police menée dans la nuit du 15 au 16 juillet. Cette nuit là en effet, à la suite d’une information, le commissaire de police de Rennes décidait d’envoyer six policiers sur une ferme isolée de Louvigné-de-Bais où se trouvaient six « malfaiteurs », selon l’expression consacrée, qui projetaient de rançonner des fermiers des environs. Une fois la ferme cernée, les arrestations étaient prévues au petit jour. Rien ne s’est passé comme prévu et trois policiers ont été blessés lors de l’attaque. Le commissaire se rend alors sur place accompagné d’une vingtaine de miliciens. Un des six résistants qui avait pu être arrêté sera emmené au SD pour être interrogé. Il va raconter « tout ce qu'il savait » et donner les noms de ses camarades qui seront arrêtés par la Milice et emmenés au cantonnement de la Croix-Rouge, où ils seront torturés puis exécutés à Saint-Jacques. Sur la plaquette de la Maltière, il est indiqué que les corps avaient été découverts « vers le 20 août 1944, donc plus de quinze jours après la Libération », ce qui ne correspond pas du tout avec les documents suivants :

- 1er rapport des gendarmes, arrivés sur place le 21 juillet 1944, dans la matinée :
« Dans un fossé en bordure d’une prairie, exploitée par M. Chevalier au Bois-Tilleul, en Saint-Jacques-de-la-Lande, nous remarquons un pied chaussé d’une espadrille et un bras vêtu de coton noir au dessus du sol, le reste du ou des corps était recouvert de terre rabattue du talus et de la bordure du fossé. Aucune trace n’est visible aux alentours, le sol étant recouvert d’herbe. Cependant, à 10 mètres environ, il existe une petite excavation creusée à l’aide d’un outil et paraissant avoir été faite vraisemblablement pour appuyer les pieds d’une arme automatique.
Le terrain où reposent le ou les cadavres étant voisin d’un champ où se trouvent plusieurs tombes faites par l’autorité allemande, nous n’avons pas poussé plus loin nos recherches sans prévenir l’autorité d’occupation (la Feldgendarmerie et la SD). Par la suite un officier de la Standort-Kommandantur a été dépêché pour se rendre sur les lieux et, en notre présence, il a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’exécutions faites par les Allemands et qu’il se désintéressait de l’affaire. Néanmoins, après avoir enlevé un peu de terre en présence de cet officier, nous avons constaté la présence d’au moins quatre corps. »
- 2e rapport du juge d’instruction qui procède à l’exhumation le 22 juillet :
« Nous examinons la sépulture qui nous est indiquée. Nous constatons qu’elle est faite de façon rudimentaire, les cadavres n’ayant été recouverts que de mottes de terre et d’herbe arrachée au talus de la bordure du champ. Un bras émerge, de même on voit un pied chaussé dans la direction de l’Est, et un pied déchaussé dans la direction de l’Ouest. Un chausson en bon état et de couleur marron est à proximité de la fosse sur l’herbe du pré. Nous ordonnons de déterrer les cadavres. Deux hommes spécialement requis procèdent à ces opérations, il apparait alors que les cadavres ne sont recouverts que d’une épaisseur d’une vingtaine de centimètres de mottes de terre et d’herbe. Six cadavres sont ainsi retirés. »
- 3e rapport daté du 23 juillet du commandant de gendarmerie au Commissaire du Gouvernement :
« Le 22 juillet 1944, six cadavres d’hommes, jetés pêle-mêle dans une fosse profonde de quelques centimètres, ont été mis à jour à Saint-Jacques-de-la-Lande, dans une prairie au lieu-dit « Le Bois-Tilleul », voisin de la poudrière.
La mort remonte à quelques jours. Cinq des victimes ont été tuées par balle dans la nuque, la sixième par strangulation. Le médecin légiste a découvert sur tous les corps des ecchymoses et des traces de violence. Aucune identification n’a été possible. Rien n’a encore été découvert qui permette de faire la lumière sur cette exécution. »
Extraits (sans date) de l’enquête du commissaire de police : « A l’aide des signalements relevés et des morceaux de vêtements prélevés, ces six cadavres ont pu être identifiés par les fonctionnaires de notre service qui avaient procédé à leur arrestation le 21 juillet 1944 à Bais. Ces individus dont les noms suivent étaient détenus, depuis le jour de leur arrestation, à la Milice Française. »
Ce commissaire se trompe de date puisque ces hommes ont été arrêtés le 16 juillet et livrés par ce même service aux miliciens. D’après le médecin légiste, Roger Bruchet a été affreusement torturé. Il n’y a aucune trace de balle car il est mort par strangulation ou pendaison.

Les exécutions du 8 juin 1944 au Colombier
Ces exécutions sont parmi les plus importantes effectuées cette année là en Bretagne. Issus de tous les départements bretons, sans avoir forcément de liens entre eux, 32 résistants, dont neuf républicains espagnols, avaient été condamnés à mort le 7 juin par le Tribunal militaire allemand puis fusillés le lendemain matin à la caserne du Colombier. Voilà pour les faits. D'après un rapport du 5 décembre1949, rédigé par le commissaire de police Marcel Henaut sur les crimes de guerre commis par les Allemands à Rennes, il semble que la décision de fusiller ces résistants était déjà prise avant leur procès « Les exécutions du 8 juin 1944 où furent exécutés les patriotes précédemment cités, faisaient suite à un jugement du 7 juin 1944. OR, d'après une déclaration formelle de M. Morel, chargé du service des cimetières de Rennes, un ordre de réquisition avait été envoyé dès le 5 juin 1944 à la mairie de Rennes, pour qu'une fosse devant contenir 32 corps soit creusée à la caserne du Colombier où furent effectivement fusillés et enterrés les 32 condamnés du 7 juin 1944. Dans de telles conditions, il est permis de penser qu'il n'y a jamais eu de jugement et il est probable que les condamnés ont été informés du sort qu'il leur était réservé,par le SD et en l'absence de tribunal. Le fait que le jugement aurait été rendu au siège même de la Gestapo confirme cette hypothèse. D'après le témoignage de Georges Morel, les calculs avaient été faits pour une fosse devant contenir 32 cercueils. Les travaux ont été commencés le 6 dans l'après-midi et terminés le 7 au soir. Les exécutions ont eu lieu le 8 au matin. » Les déclarations de ce M. Morel, doivent être prises avec une certaine prudence. Révoqué de son poste à la Libération, il a été l'objet d'une enquête effectuée par le CDL 35 « Mis au courant des motifs exacts pour lesquels les Allemands voulaient creuser une fosse au Colombier le 5 juin 1944, il 'en a pas averti les ouvriers municipaux, qui cependant désiraient ne pas travailler pour l'ennemi. Mieux encore, il leur a caché volontairement le motif  (Il savait qu'on allait fusiller 40 patriotes). Et il a fait pression sur eux car ils ne voulaient pas travailler. » Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que les préparatifs d'inhumation des fusillés étaient déjà mis en place avant leur procès. Il suffit de consulter le registre des inhumations du cimetière de l'Est pour constater qu'à la date du 6 juin, les entrées étaient déjà inscrites sur le registre des inhumations du cimetière de l'Est sous les numéros 836 à 866, ce qui correspond à 31 cercueils. L'agent municipal de service ce jour là aurait-il sauté une ligne ?  

Registre des inhumations du cimetière de l'Est
Dans l'après-midi de cette journée historique, les Allemands vont donc changer d'avis et ordonner que l'on creuse les fosses à la caserne du Colombier. Que s'est-il passé ? Le débarquement des Alliés ce jour là a probablement bouleversé les plans prévus. Le risque était grand en effet de voir les patriotes rennais venir fleurir les tombes des résistants au cimetière de l'Est les jours suivants. Pour éviter ces manifestations, il fallait donc un endroit fermé et inaccessible au public où les condamnés puissent être fusillés et inhumés sur place. Personne ne devait savoir où ils seraient enterrés. Les gardiens de la prison Jacques Cartier se doutaient bien qu'ils ne reverraient plus ces prisonniers lorsque les
ADIV 1322W15
Allemands sont venus les chercher ce jeudi matin, mais ils ignoraient leur destination. Leurs noms sont inscrits sur la page sortie datée du 8 juin du registre d'écrous de la prison. Fusiller 32 hommes nécessite des moyens importants et contrairement aux exécutions du 30 juin, où d'après les heures de décès on peut constater que les condamnés ont été fusillés par groupes de cinq, nous ne savons pas ce qu'il en a été au Colombier.

C'est le 14 juin que la Feldkommandantur informe officiellement le cabinet du préfet de ces exécutions effectuées « près de Rennes », le lieu n'est pas précisé, avec la liste nominative des 32 fusillés. C'est au préfet de prévenir les maires des communes où résidaient les fusillés afin qu'ils s'occupent des formalités administratives (actes de décès) et informent les familles ou les proches s'il y en a. Or, sur la liste de la Feldkommandantur, on constate qu'il n'y a que trois fusillés domiciliés à
Archives de Rennes 119W7
Rennes : Antonio Sebastian Molero, Pedro Flores Cano, Leoncio Molina Cabre. Le 21 juin, le préfet contacte donc le maire de Rennes pour qu'il fasse des recherches afin de trouver d'éventuels proches de ces trois républicains espagnols. Ce qui sera le cas de Pedro Flores Cano puisque le nom de sa compagne, Alice Tournevache, 14 rue Alexandre Duval, réfugiée dans sa commune d'origine Brusvily (22), est inscrit au bas de son avis d'exécution daté du 21 juin et certifié conforme par le maire le 18 juillet. Elle demande si un enfant né de Flores Cano peut être reconnu. C'est donc à la suite de cette démarche qu'un jugement déclaratif de décès du Tribunal civil de Rennes de 26 juillet 1944, prononce que Pedro Flores Cano est décédé le... 7 juin 1944 au Polygone de Saint-Jacques. 



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Rennes libérée le 4 août, dans la nuit du 5 au 6, lors d'une patrouille dans la caserne du Colombier, deux gendarmes découvrent un « petit cimetière » comportant 32 croix numérotées de 835 à 866, c'est-à-dire les mêmes numéros (le 835 en plus) que l'on retrouve sur le registre du cimetière de l'Est. Lorsque les corps ont été enterrés, il devait logiquement rester un monticule de terre devant chaque tombe, qui n'était probablement pas très profonde. Ce qui expliquerait la confusion de ces gendarmes croyant qu'il y a avait deux rangées de 32 tombes chacune. Quoi qu'il en soit, ce total de 32 victimes correspond bien au registre des écrous et à la liste établie par la Feldkommandantur. Et pourtant, un mois plus tard, le 6 septembre, le Tribunal militaire permanent adresse au préfet un courrier où il est fait état de 31 victimes « Ces exécutions étant le résultat des lois de la guerre interprétées par l'armée d'occupation, il n'y a pas lieu d'ouvrir une information contre X », écrit froidement l'officier. Celui-ci ou son subalterne s'est-il rendu sur place ? Ou bien n'a-t-il pas tout simplement soustrait 835 de 836 pour aboutir à ce total de 31 victimes ? Le problème c'est qu'à partir de ce document d'archive qui indique 31 fusillés, plus les 31 places du registre du cimetière de l'Est, ajouté au fait que Flores Cano aurait été fusillé la veille à la Maltière et non au Colombier, le doute était permis.
L'imbroglio Flores Cano
ADIV 234W46
Cette date du 7 juin 1944, qui figure sur l'acte de décès de Flores Cano, consultable aux mairies de Rennes et de Saint-Jacques, trouve son origine dans un courrier adressé par le préfet au procureur le 22 juillet 1944, sur lequel il est bien stipulé que Flores Cano a été exécuté à Saint-Jacques le 7 juin à 7 h 21 du matin. A cette date, Rennes n'étant pas encore libérée, personne ne sait où ont été exécutés les condamnés, l'indication « près de Rennes » renvoie donc logiquement à la Maltière, lieu habituel des exécutions. Quand à la date du 7 juin, je pense que le rédacteur de cette note a tout simplement confondu la date du procès et celle de l'exécution. En effet, les Allemands n'avaient aucune raison de fusiller Flores Cano seul à la Maltière puis ses camarades de cellule le lendemain au Colombier. Cela n'a pas de sens
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Quoiqu'il en soit, les Allemands partis, le 15 septembre 1944, le préfet informe le Secrétaire général à la police que les exhumations du Colombier ont été fixées au 27 septembre, soit près de quatre mois après les exécutions. Un certain M. Chalons, Contrôleur du Service municipal a même été nommé à cet effet. Nous devrions donc être définitivement fixé sur cette affaire. Les exhumations commencent à 9 heures, puis un hommage solennel est annoncé pour 15 heures par L’Ouest-Éclair en présence Mgr Roques, l'archevêque de Rennes. Depuis la Libération, entre Te Deum, messes d'action de grâce et autres bénédictions, son excellence s'agite beaucoup du goupillon sur les cercueils des patriotes, lui qui fût si discret sous l'Occupation. Les exhumations terminées et les
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procès-verbaux dressés, le doute n'est plus possible, il y a bien eu 32 résistants fusillés puis enterrés au Colombier, dont Flores Cano. Tous les cercueils avaient un numéro qui correspond à ceux qui figurent sur le registre du cimetière de l'Est, le N° 835 manquant étant celui d'Yves Simon. Les neuf républicains espagnols, plus Maurice Prestaut et Émile Le Grevellec, ont été réinhumés au cimetière de l'Est le jour-même. Les autres cercueils ont été emmenés vers leurs communes d'origine par les familles. 


Au total donc, si l'on ne considère que les seuls cas attestés par les archives : 32 condamnés à mort par les tribunaux allemands et français ont été fusillés à la caserne du Colombier et 70 à la Maltière (Y compris ceux du mois de mars dont les noms ne figurent pas sur le monument). Il convient également d'ajouter les six exécutions extra-judiciaires effectuées par la Milice et dont les corps ont été retrouvés le 21 juillet 1944.
Parmi les 79 noms de résistants qui figurent sur cette plaque du site de la Maltière, on relève quelques invraisemblances : Pedro Flores "Garco", Montori-Roméo et Le Champion ont été fusillés au Colombier et Robert Chevrier à Rouen. La question se pose aussi pour André Huet, qui a été abattu par la Milice à Fougères, où alors il s'agit d'un homonyme, et Alexis Corbel sur lequel nous ne disposons d'aucune information.
Pour plus d'informations sur les notices individuelles des fusillés, consultez ce site : http://memoiredeguerre.pagesperso-orange.fr/ Je remercie pour leur aide Nathalie Bidan, responsable du Patrimoine Funéraire Rennais, Cécile Michel et Virginie Suzzarini, des Archives de Rennes.
 Exhumation Flores Cano. Archives de Rennes 119W13