lundi 22 janvier 2018

Quelques interrogations à propos d'une communication d'Hugo Melchior " Les étudiants rennais à l'épreuve de l'occupation allemande"

Bagadoù Stourm
Les mouvements collaborationnistes, et tout particulièrement le Parti National Breton (PNB), étaient l'objet d'une étroite surveillance de la part de la police de Vichy. Si l'on ajoute le fait que ces "collabos", par un penchant tout naturel, avaient une fâcheuse tendance à s'espionner, se dénoncer ou se ficher mutuellement, les archives ne manquent pas. A contrario, les résistants n'ayant pas pour habitude de tenir un journal avec les noms de leurs camarades, les sources sont rares ou parcellaires, le plus souvent des documents ou témoignages rédigés a posteriori, avec leur part de subjectivité. C'est ainsi que Jacqueline Sainclivier, dans son ouvrage de référence "La Résistance en Ille-et-Vilaine", s'est appuyée sur le fichier des demandes de cartes de combattant (CVR), soit 1 329 dossiers, établit après la Libération, pour faire une étude sociologique de la Résistance. Est-ce à dire qu'il s'agit là du nombre de résistantes et résistantes dans le département ? Certainement pas. Bon nombre de patriotes, notamment les femmes, ayant estimé n'avoir fait que leur devoir, n'ont pas jugé nécessaire de faire une démarche de reconnaissance officielle. Une des caractéristiques, qui ressort de cette étude, est la jeunesse de cette population résistante : "Si les 20-24 ans, ont été si nombreux dans la Résistance en Ille-et-Vilaine (20,85%), c'est sans doute aussi parce qu'ils étaient directement menacés par le STO, particulièrement à partir de 1943." Une des conséquences du STO fut incontestablement un afflux de réfractaires vers les maquis au printemps 1943. Cependant, quel était le pourcentage d'étudiants par rapport aux ouvriers ? Difficile de répondre.
Les étudiants rennais dans la Résistance
Dans une communication, intitulée "Les étudiants rennais à l'épreuve de l'occupation allemande", parue dans la revue Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest (Juillet 2017), Hugo Melchior, doctorant à l'université de Rennes 2, s'intéressant : "Au vécu des étudiants rennais sous l'Occupation", fait le constat que : "Si l'ordre universitaire ne fut pas troublé pendant ces années par les étudiants eux-mêmes, il serait faux d'en déduire qu'il n'y eut pas d'engagements à "haut risque" de la part de certains étudiants à Rennes (...) autrement dit qu'aucun n'aurait franchi le Rubican de la Résistance." Cette relative apathie estudiantine serait-elle due au fait que la plupart de ces garçons étaient mineurs, nés en 1924, 1925, voire 1926 ; donc pas soumis au STO, qui concernait les classes 1940, 41 et 42 ? S'appuyant sur les travaux de Jacqueline Sainclivier, à propos de la faiblesse de la Résistance en Ille-et-Vilaine, Hugo Melchior écrit : "La résistance active est restée dans le milieu universitaire, à l'instar de la collaboration, le fait d'une poignée d'étudiants seulement. Jacqueline Sainclivier a comptabilisé soixante-quatorze résistants appartenant à la catégorie "étudiants-lycéens" à l'échelle du département entre 1940 et 1944. Dès lors, si la jeunesse scolarisée a pu fournir, en valeur relative, l'un des plus importants contingents à la Résistance en Ille-et-Vilaine, il n'en demeure pas moins que lorsqu'on compare le nombre d'étudiants ayant été réellement étudiants, quand bien même ce nombre constitue un minimum, avec le nombre d'inscrits dans les facultés, la résistance en milieu rennais, loin d'être un phénomène de masse, n'a concerné qu'une infime minorité d'individus." Certes, en valeur absolue, ce chiffre de 74 étudiants engagés dans un mouvement de résistance (6 % du total d'après Jacqueline Sainclivier) peut paraître faible mais, comme le précise l'historienne, il est calculé sur la base du fichier des cartes CVR et n'est en rien exhaustif. 
Porte-drapeau des JNP
Si la Résistance était souvent une affaire de famille, j'incline à penser qu'il en était de même pour la collaboration, les biographies familiales étant assez discrète à ce sujet... Tous les principaux partis collaborationnistes avaient une permanence à Rennes : MSR, RNP, PPF, Francisme, PNB, etc. Recenser leur nombre d'adhérents est assez compliqué. Non par absence d'archives, bien au contraire, puisque la quasi-totalité des fichiers ont été retrouvés à la Libération. La difficulté consiste surtout à faire le tri, tant les doubles, voire les triples appartenances sont fréquentes. Un étudiant comme Michel Le Roy, par exemple, fils de l'écrivain et journaliste de L’Ouest-Éclair, Florian Le Roy, était affilié à pratiquement tous les partis : "Jeunesses pour l'Europe Nouvelle" (JEN), émanation du groupe "Collaboration", Francisme, PPF, PNB. Cependant, en recoupant toutes ces listes, on peut estimer à environ 1 200, le nombre d'adhérents à un parti collaborationniste en Ille-et-Vilaine. Ce qui est sensiblement équivalant aux effectifs des mouvements de résistance.
Les étudiants rennais dans la collaboration
Bagadoù Stourm
Hugo Melchior rappelle que l'Université française apparaît à cette époque comme une "Pyramide sociale inversée", l'enseignement supérieur : "Étant presque totalement fermé aux fils et filles de la classe ouvrière." Sur ce point, et par expérience, ce n'est pas l'auteur de ces lignes qui le contredira. Cette reproduction sociale est particulièrement évidente dans les facultés de droit et de médecine de la ville, où l'on ne manifestait pas une grande hostilité au Maréchal. En effet, sur les 2 674 étudiants inscrits dans les facultés rennaises en 1941, les deux plus forts contingents étaient les "juridiques", avec 880 inscrits, et les "carabins", avec 838 inscrits. Parmi ces étudiants, combien pouvaient être considérés comme collaborateurs ? D'après Hugo Melchior : "Après consultation aux ADIV des dossiers de procédure des personnes jugées par les tribunaux spéciaux dans le cadre du processus d'épuration mis en œuvre sous la direction de l’État à la Libération, nous avons pu estimer que le nombre d'étudiants rennais identifiés comme collaborateurs ne s'élève lui, qu'à dix-sept au minimum. La marginalité de la collaboration active constatée au sujet des étudiants rennais confirme ce qui avait été relevé respectivement par Stéphane Israël et Gilles Maigron." Marginale, la collaboration chez les étudiants l'était certainement, mais à ce point c'est assez étonnant. Il aurait été souhaitable que ce doctorant nous éclaire sur la méthodologie employée pour extraire ces 17 dossiers de "collaboration active" parmi la masse des jugements prononcés par les tribunaux d'exception : environ 3 500 pour la Bretagne, dont 1 500 pour l'Ille-et-Vilaine. Pour schématiser, les Cours de justice, avec un fonctionnement similaire aux Cours d'assise, avaient à juger les cas les plus graves de collaboration avec l'ennemi, les condamnations pouvant aller jusqu'à la peine de mort ; alors que les délits d'opinion commis sans qu'aucune exaction n'ait été réalisée relevaient des Chambres civiques, qui prononçaient des peines d'indignité nationales. Ainsi donc, au regard du nombre de partis collaborationnistes présents à Rennes, ne considérer comme collaborateurs que les seuls cas d'étudiants traduits les tribunaux me paraît singulièrement réducteur.
Landivisiau, camp des Bagadoù Stourm, août 1943
D'autant plus que ces partis

avaient tous leurs organisations de jeunesse : "Jeunesses Nationales Populaires" pour le RNP, avec 70 membres; les "Chemises Bleues" pour le Francisme, avec une centaine de membres ; les "Bagadoù Stourm" pour le PNB, dont nous n'avons pas de fichier, mais ils étaient les plus nombreux ; les "Jeunes pour l'Europe Nouvelle" du groupe Collaboration, etc. En ces temps de restrictions de toutes sortes et d'interdiction du scoutisme, l'adhésion à l'un de ces mouvements de jeunesse était souvent l'opportunité pour ces garçons et ces filles de pouvoir s'échapper du milieu familial en participant à des camps dans la nature pendant les vacances scolaires, propagande incluse il va s'en dire. Dès lors que leur activité se limitait à cette seule participation, la plupart des dossiers de ces jeunes "collabos" seront classés sans suite par le Commissaire du gouvernement.  
Deux documents d'archive permettent de se faire une idée assez précise de cette collaboration estudiantine : le premier est une liste intitulée "Agents de la Gestapo" de 173 noms, saisie par les Américains au siège du SD à la Libération; puis un second document intitulé "Liste des jeunes gens et jeunes filles étudiants inquiétés pour collaborationnisme", comportant 110 noms, en possession du Comité Départemental de la Libération (CDL). Parmi les agents de la liste Gestapo, j'ai relevé une dizaine d'étudiants, tous PNB, leurs noms suivis de l'indicatif SR et du N° d'agent. Parmi ceux-ci, il en est qui ne figurent pas sur la liste CDL, ainsi ce Yves D., "étudiant, né en 1925, 149 rue de Fougères, agent SR 714 : Travaille pour de l'argent, ne peut être utilisé que pour des renseignements sur la jeunesse et organisations de jeunes, a peu d'expérience, est bavard,  prudence." Au sein du Sicherheitsdienst (SD), le service de sécurité de la SS, situé rue Jules Ferry,
c'est la Section VII, dirigée par le Dr Langer, qui était plus spécialement chargée des "Questions concernant l'université". Langer était la collaboratrice directe de Hans Grimm, de la Section VI, en charge des partis politiques français et des organisations de jeunesse. Le SD disposait donc de plusieurs agents et indicateurs répartis dans les différentes facultés et chargés de repérer les étudiants patriotes. Parmi ceux de la liste CDL, citons ce Robert G., originaire de Vitré "Qui a permis à la police de découvrir que M. Janton, détenait des tracts gaullistes", ou bien encore cet autre étudiant en médecine, Jean R., 23 ans, membre du RNP, domicilié boulevard du Colombier, indicateur du SD, qui est à l'origine de l'arrestation du fils d'Alexis Le Strat, le directeur de l'école publique du boulevard Laennec. Le cas le plus grave, qui figure sur les deux listes, reste cependant celui du jeune René-Yves Hervé, un des plus redoutables agents du SD, étudiant en lettres qui ne devait pas être très
assidu. Passé du PNB au Bezen Perrot, il sera condamné à mort par contumace. Comme souvent avec ce genre de listes, elle doivent être exploitées avec précaution. Il y a des erreurs et des intrus sur la liste CDL. C'est le cas de Guy Vissault, qui habitait Rennes et fut effectivement été étudiant, mais à Paris. Il sera fusillé après la Libération. Quoi qu'il en soit, en recoupant cette liste avec les fichiers des différents partis collaborationnistes, ce sont environ 80 étudiants qui peuvent être reconnus comme collaborateurs, avec une nette prédominance de membres des JNP et de jeunes nationalistes bretons, dont les noms sont suivis de la mention "membres des SS", qu'il faut traduire par Strolladoù Stourm, et non par SchutzStaffel. Ainsi donc, les étudiants ne se distinguaient en rien du reste de la société rennaise. Peu nombreux, on comptait autant de collaborateurs que de résistants. Du moins jusqu'au 6 juin 1944. Après, c'est une autre histoire...

 

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